Patrimoine millavois

Ces métiers disparus : Le distillateur de lavande

Depuis très longtemps, sur les terres arides du Causse, on voyait des parcelles de lavande. Nos grands-mères parfumaient le linge  entreposé dans les armoires, avec des sachets de lavande.

Les hommes utilisaient le vinaigre de lavande, obtenu après macération, d’environ 40 jours des fleurs dans du vinaigre. Filtré, cela donnait alors de l’eau de Cologne des pauvres.

Dans notre région, il y eut plusieurs cultivateurs-distillateurs de lavande, notamment les Espinasse des Vignes et de Peyreleau. On les retrouve mentionnés fréquemment dans les journaux de l’époque :  « Peyreleau. Comme tous les ans, notre compatriote M. Espinasse, le dévoué distillateur de la région, distille la lavande et l’aspic, deux essences de nos causses. La saison s’avance, avis aux amateurs de parfums » (L’Auvergnat de Paris, 4 septembre 1926)

« Les Vignes. M.Espinasse vient de terminer la distillation de la lavande et de l’aspic. La saison a été médiocre en raison de la sècheresse » (L’Auvergnat de Paris, 18 septembre 1926).

Achille Espinasse à Peyreleau, devant l’alambic en fonctionnement (1922) avec l’accordéoniste Emile Sahuquet © Al Canton

Il s’agissait d’Achille Espinasse dont le fils Marcel (1921-2005) reprendra le flambeau, et sera un des derniers distillateurs de lavande du Massif central. Se rappelant des débuts de  son père, il disait : « Je me souviens, qu’on allait couper la lavande à la faucille et qu’on la ramenait sur le dos ». Cette lavande sauvage poussait presque exclusivement sur les bons plateaux du côté du Massegros en Lozère, de Mostuéjouls ou de la Rouvière, près de Peyreleau » (Midi-Libre, les heures bleues, le dernier des distillateurs de lavande, 8 juillet 1985).

Facteur de Peyreleau, mais également maire de ce village, il faisait son eau-de-vie dans un garage qu’il possédait juste à côté du cimetière. Il utilisait également un champ appelé lo bosc del curat à Saint-André-de-Vézines où il ramassait de la « Sauvage ». Ce bois qui fut donné par les héritiers du curé Luche (1882-1945) à la paroisse lui servit à développer ces plants de lavande pendant de nombreuses années. Même aujourd’hui, 60 ans après avoir été plantés, cette lavande continue à pousser abondamment.

Champs de lavande à Saint-André-de-Vézines. (DR)

Pour «distiller la lavande » la famille Espinasse utilisait  d’anciens alambics de « Brutlaires » (distillateurs, bouilleurs de cru).

Six hommes et un enfant récoltant de la lavande (lavanda, aspic) commune de Peyreleau 1962 © Al Canton

Cette essence de lavande était souveraine contre les brûlures, les douleurs rhumatismales, la goutte, les refroidissements, etc. C’était avant toute autre chose un précieux souvenir pour le touriste de la région qui visitait les Gorges-du-Tarn. Pas un bon hôtel ou restaurant de la région ne se permettait d’ailleurs d’inviter le voyageur dans sa vitrine aux souvenirs, sans le guider avec l’essence de lavande signée Marcel Espinasse.

Marcel Espinasse ayant pris sa retraite en 1985 ne restait qu’Emile Maurin qui continuait l’exploitation de la lavande à Lanuéjols (Gard). On pouvait voir, bordant la route de Lanuéjols aux Mazes, ses champs de lavande  attendant la « coupe » (récolte) saison après saison.

Entre lavande et lavandin

 Une confusion fréquente se produit dans le public profane entre la lavande et le lavandin. La lavande ou « aspic » dans le parler local, pousse en touffes qui ne dépassent pas 20 à 30 centimètres, à une altitude minimale de 700 m, parfum très fort.

Le lavandin est un hybride de la lavande. Son parfum est moins fin que celui de la lavande. Il pousse en basse altitude et même dans la plaine languedocienne. Les touffes peuvent atteindre 80 cm à 1 m. C’est un désinfectant, il est employé en pharmacie. Dans les jardins, il constitue une plante d’ornement.

Culture de la lavande

En août 1984 et 1986, Pierre Solassol, accompagné d’Albert Sigaud et de Raymond Capelle ont rencontré celui qui fut le dernier distillateur de lavande de la région, Emile Maurin à Lanuéjols (Causse Noir), laissons leur la parole : « M. Emile Maurin commença la culture de la lavande il y a 30 ans (1954). A cette époque, la publicité dans les journaux incitait à cette culture. Il y vit là un complément de revenus à celui de son troupeau. A l’origine, les plants lui ont été fournis par des cultivateurs de Valensolles (Alpes Maritimes) ; depuis M.Maurin produit lui-même ses plants. Il prélève, en octobre, des branches de lavande pour en faire des boutures. Possédant des terres dans la région de Nîmes, à proximité de canaux d’irrigation, après la saison des pluies, il creuse une tranchée où il met en terre ces boutures par petits fagots. Il les arrose fréquemment et abondamment.

Quand les boutures ont raciné, il les plante à Lanuéjols. La première récolte n’intervient qu’au bout de deux ou trois ans.

Dans les champs cultivés, la lavande se plante en rangées espacées de 1,60 m ; dans la rangée il y a 40 cm entre chaque plant. La lavande ne demande pas d’autres soins qu’un labourage léger d’automne et de printemps pour éliminer les mauvaises herbes.

En bordure de route (© Fonds Pierre Solassol)

Elle ne craint ni le froid ni la maladie ; les terrains secs, pierreux et ensoleillés, l’altitude du Causse (800 à 900 mètres) lui conviennent parfaitement. Il faut remplacer les plants chaque quinze ans. Ce serait la culture idéale pour l’utilisation de mauvais « parcours ». De l’avis de M. Maurin, par la culture de la lavande, il y aurait un débouché pour des agriculteurs qui voudraient se reconvertir ou, tout au moins, s’ajouter un supplément de revenus. Il faudrait alors qu’ils s’organisent en coopérative d’exploitation et de vente. Les champs de lavande de M.Maurin couvrent actuellement 15 hectares. » (D’après les cahiers Los Adralhans : printemps 1986, n°2, 1987).

Récolte

C’est la graine qui donne le parfum. La lavande est mûre quand tombent ses fleurs et, du bleu, elle vire au gris. Le moment idéal de la récolte se situe entre le moment où les abeilles ne viennent plus butiner et avant que les oiseaux ne viennent picorer les graines. La pluie fait tomber les graines. Il vaut mieux « couper » (c’est le verbe utilisé pour récolter) la lavande avec le soleil. Lors des vendanges, celui-ci augmente le degré vinique, de même il améliore et augmente la production de l’huile essentielle de lavande.

Traditionnellement, la lavande se coupe à la faucille. Dans les Gorges du Tarn, la récolte pouvait être l’affaire des femmes du village. La cueillette était amenée en bord de route. Le kilogramme de fleurs était payé 0,40 F en 1937, 0,60 f en 1938, sachant qu’un kilogramme donne 0,68 gramme d’essence brute.

Mais M. Maurin a mis au point une faucheuse – en coupe haute puisque seules les graines sont intéressantes – qui se continue par un tablier lequel entraîne la lavande dans une petite trémie attenante au tracteur.

La récolte dure environ dix jours. La lavande fermentant deux heures après la coupe, il faut la distiller de suite.

Il faut 20 hectares pour faire vivre une famille de la culture de la lavande ; un terrain calcaire et de bonne exposition ; suivant les années, dans les 300 kilos de lavande sont nécessaires, pour obtenir entre 4 et 5 litres d’huile essentielle.

Distillation et commercialisation

La chaudière de l’alambic était traditionnellement chauffée au bois ou au charbon ; elle l’est maintenant au fuel lourd. La lavande est compressée dans une cuve aux deux tiers dans le sol (de 2 m x 1) par un vieux pneu garni de ciment, puis fermée par un couvercle. La vapeur d’eau, provenant de la chaudière, traverse la lavande de bas en haut. Elle charrie au passage l’essence qui coule dans un serpentin lequel sillonne deux cuves ouvertes de 2 m de haut sur 1,50 m de large. La distillation était souvent difficile en raison de la chaleur de l’alambic qui s’ajoutait aux chaleurs estivales de juillet et août.

Schéma d’Albert Sigaud. (DR)

A la sortie, dans le récipient de réception (l’essencier), l’huile plus légère se sépare de l’eau – sans perdre une seule goutte d’huile – par simple phénomène de différence de densité. On laisse décanter deux jours, l’huile ainsi reposée est mise en bonbonnes de fer et expédiée vers les parfumeries (Grasse). Il peut se faire entre 7 et 10 cuvées par jour. Les résidus de lavande sont jetés aux champs.

L’huile sert de base aux parfums. Elle a une couleur jaune paille. Elle peut se dédoubler jusqu’à 50 fois avec de l’alcool. Quelques Caussenards ramassaient des lichens de pins, ils servent à fixer les parfums.

L’huile essentielle de lavande, produite par M. Maurin est vendue tant à des parfumeurs à Grasse que sur place, conditionnée en flacon de 1/4, 1/8, 1/16 de litre. Selon les circonstances, toute la lavande n’est pas distillée à Lanuéjols, elle est alors livrée en camion et vendue à Grasse. Tant à Lanuéjols qu’à Valensolles, si la récolte de la lavande est le revenu principal, il doit être complété par le rapport des troupeaux et des terres. Il existe des distilleries de lavandin à Alès (coopérative) et à Quissac.

Maurin ayant pris à son tour sa retraite, d’après Pierre Solassol « Yannick Martin, son petit-fils a ensuite repris l’exploitation. Il a fait sa formation professionnelle à la fois en école d’agriculture et sur le tas avec son grand-père ». (Vagabonds des grands causses, Journal de Millau, 25 juillet 2002). Aujourd’hui la récolte et la distillation de la lavande ont disparu de notre région.

Linguistique 

Lavande, en occitan se dit lavanda (dictionnaire Alibert). Ce mot francisé est communément employé sur le Causse. Pour désigner la lavande sauvage « lavandula spica », M. Maurin ainsi que les Caussenards emploient le mot aspic. Un toponyme sur la commune de Lanuéjols témoigne de l’usage de ce mot : « Plan d’Espic » (cadastre de 1828), déformé au cadastre de 1983 en « Plan des Pies ».

Marc Parguel

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