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Patrimoine Millavois. Le boulevard Sadi-Carnot (2/2)

Disparition de rues

Autrefois Côté Sud du boulevard de Bonald (appelé ainsi depuis 1887) qui portait jusque là le nom de Boulevard du Mandarous, on pouvait voir en partant du Mandarous, en longeant le trottoir la rue du Mouton-Couronné avec son café Mouriès, véritable « assommoir » qui aspiraient presque tous les clients du tour du Mandarous, puis on trouvait la rue Eustache (alors baptisé Saint-Eustache), un peu plus loin on trouvait la rue Malbrough et enfin la rue du Général-Rey (alors rue du Coin-de-Verre) puis on arrivait à la Capelle. La percée allait se faire au niveau de la rue Malbrough.

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La rue Malbrough appelée aussi anciennement « Traversière des fasquets » où vivaient Emile Agulhon gantier et Rosalie Agulhon (12 mars 1895) et Nicouleau, mégissier a disparu en totalité. Parallèle aux rues Eustache (jadis Saint-Eustache) et du Mouton Couronné, allant aboutir sur le boulevard de Bonald, elle avait dû comme celle-ci, emprunter son nom à une enseigne d’auberge ou de cabaret. .  Contrairement à ce qu’affirme Jules Artières (Annales de Millau) elle ne fut pas nommée « Malbrough » en 1883, mais bien avant, puisque ce nom de rue figure dans la presse locale en 1860.

Annonce publiée dans l’Echo de la Dourbie (19 décembre 1868) (DR)

Du boulevard de Bonald ,elle s’arrêtait au niveau de la bijouterie Canac reliant la rue des Fasquets (cette partie de la rue des Fasquets a été supprimée). La rue des Fasquets reprend le long de la bijouterie,  avant son embranchement au coin de Verre (rue du général Rey). On voit la date 1897, année de réédification de la maison suite à l’alignement du boulevard, gravé sur le linteau au numéro 5.

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Le linteau de la maison réédifiée en 1897. (DR)

Une autre rue fut supprimée entièrement : la rue d’Altayrac, du nom d’un des principaux habitants du quartier. Elle longeait approximativement la façade actuelle du Créa, pour rejoindre la rue de l’ancien tribunal (actuelle rue Paul Bonhomme). Si cette rue de l’ancien tribunal pouvait nous parler, elle nous dirait qu’elle abrita l’atelier du coutelier Corchand, dont les idées politiques révolutionnaires étaient bien ancrées et qui fit parler de lui, lors de la fête Dieu, le 29 juin 1851. Laissons la parole à Georges Girard sur ce sujet : « Ainsi, le 29 juin 1851, pendant que la procession de la Fête-Dieu parcourait comme à l’accoutumée les rues de Millau, celle de Notre-Dame passait sur la place de l’ancien tribunal. Antoine-Noël Corchand avait orné la façade de sa maison (aujourd’hui disparue) d’une gravure entourée d’une double guirlande de coquelicots et de cerises rouges, ayant pour titre « Jésus le Montagnard », faisant ainsi allusion aux Montagnards de gauche, ennemis des Girondins, de droite, à l’époque de la Révolution française. La gravure portait en légende (parait-il) une inscription de M. de Lammenais, cet abbé alors récemment désavoué par le pape Grégoire XVI. En raison de cette exhibition d’outrage à la religion catholique, légalement reconnue en France, le sieur Corchand fut incarcéré et jugé en cour d’assises à Rodez le 18 août 1851… Dans le compte-rendu de ce procès, le chroniqueur de l’Echo de la Dourbie ironisait en écrivant ; « Le fils de Dieu s’est bien fait homme, mais il ne s’est pas fait Montagnard. Cependant, la Cour d’assises, faisant preuve d’indulgence, reconnut Antoine-Noël Corchand « non coupable »…Il mourut le 30 mars 1852 à 5 heures du matin, âgé de 55 ans, dans sa maison d’habitation, rue de l’Ancien Tribunal (actuelle rue Paul Bonhomme) (Vieilles maisons…vieilles histoires, les Corchand rue de l’ancien tribunal (Paul Bonhomme) Journal de Millau, 7 novembre 2002).

Si Léon Roux (1858-1935) était là, il nous dirait : « les rues disparues avaient des noms pittoresques : elles s’appelaient rue d’Altayrac, rue Malbrough. Ce qu’elles étaient étroites ces rues ! Deux charrettes ne pouvaient s’y croiser. La rue d’Altayrac qui, comme la plupart des rues de Millau, tenait son nom de la principale famille qui y avait habité, il y a des siècles, partait de la rue Tras la cour pour aboutir rue des Fasquets, et presque en face s’ouvrait, non moins étroite, la rue Malbrough, qui, elle allait aboutir, parallèle à la rue du Mouton couronné, sur le boulevard de Bonald, près du Mandarous. » (Millau hier et aujourd’hui, l’Auvergnat de Paris, 11 août 1934)

D’autres rues ont subi le même sort : La rue Tras Saint Léons, longeant le boulevard Sadi-Carnot entre la halle et la traverse des Cultivateurs. La traverse des cultivateurs a été démembrée. Seule reste la portion entre la rue Général Rey-Thilorier et Sadi-Carnot.

Edouard Mouly (1883-1964)  alias Mylou du Pays Maigre, contemporain de ses transformations, se rappelait ces rues disparues : « Je rêvais aussi aux vieilles rues de Millau…celles qui sont mortes depuis longtemps déjà, tout le dédale de petites rues qui partait de « Tras la Cour » pour aboutir au Boulevard de Bonald. Sur leur emplacement se trouve le boulevard Sadi-Carnot, « le nouveau boulevard », comme l’appellent les Millavois, et la Halle. Dans une de ces rues s’ouvrait une entrée du Couvent de la Présentation, une porte en bois, aux ais disjoints, encastrée dans un grand mur sans ouverture, haut comme un deuxième étage et couronné de ces iris que tout le monde à Millau baptise tulipes » (Alades, par les vieilles rues, juillet 1935)

Le boulevard  terminé (novembre 1896). (DR)

Dans son projet initial, la municipalité vota pour que Le « Boulevard Central » ait une largeur de 20 mètres.  Dans sa séance du 18 novembre 1896, le Maire Etienne Delmas fait part d’une doléance d’un Millavois dont l’habitation était en bordure du Boulevard : « A propos de la vente des excédents de terrain du nouveau boulevard, M. Fabry demande que la largeur soit réduite de 3 mètres ; il estime que le boulevard serait ainsi plus gracieux ; en outre on pourrait retirer un plus grand produit de la vente des excédents, et les immeubles qui s’y construiront pourront être plus grands. M. Castanié combat la proposition en se plaçant surtout au point de vue de l’hygiène. M. le Maire la combat aussi, car elle nuirait à l’ensemble du projet qui consiste à percer la ville de part en part, par une large artère, afin d’aérer le vieux Millau et lui permettre de conserver sa valeur. Pourquoi d’ailleurs avoir exproprié si c’est pour vendre aujourd’hui aux propriétaires le terrain qu’on leur a acheté. La proposition n’est pas adoptée ».

Parallèlement à ce sujet, le maire est autorisé à faire faire un avant-projet pour connaître exactement les conditions dans lesquelles on pourrait édifier une halle couverte sur la nouvelle place. (Messager de Millau, 21 novembre 1896)

Au cours de cette séance, Etienne Delmas fait remarquer que « les travaux de percement touchent à leur fin ».

Les excédents de terrain du Nouveau Boulevard seront mis en vente en avril 1897, suite à la délibération communale du 31 mars.

Vive discussion autour de la halle couverte 

Reste la question de la Halle couverte. Ce même 31 mars, le sujet fut évoqué au conseil municipal : « On sait qu’une halle couverte est projetée sur la nouvelle place de l’Ancien Tribunal. M. le Maire demande que le projet soit voté en principe et que le conseil l’autorise à l’exécution de ce projet qui est évalué à la somme de 60 000 francs, toutes dépenses comprises. Ce qui est adopté sauf 3 voix, celles de MM. Balitrand, Valez et Dardé.

Balitrand s’oppose sous prétexte que les finances de la ville ne peuvent permettre cette dépense, puisqu’on a dû ajourner le pavage de la rue de la Liberté. A cette objection, M. Fabry répond que le pavage de la rue de la Liberté est une dépense ordinaire qui doit être faite sur le Budget ordinaire, tandis que la Halle couverte est une dépense extraordinaire, que le budget extraordinaire permet largement d’effectuer. M. le Maire fait aussi observer à M. Balitrand qu’il ne s’opposa pas, sous l’ancienne administration à un projet de Halle couverte qui s’élevait à 129 000 francs, alors cependant que la rue de la Liberté n’était pas plus pavée qu’aujourd’hui.

Valez et Dardé quant à eux évoquèrent leur refus par le manque d’argent dans les caisses de la ville. Ce à quoi leur furent répondus : « Renseignement pris à la bonne source, nous pouvons dire que le trésor de la ville était avant-hier 31 mars (1897), de 145 382 fr. 12 cts. On voit donc que la dépense pour la construction d’une halle couverte de 60 000 francs est largement possible. Sans doute ce Marché Couvert déparera un peu la grande et belle place qui vient d’être créée sur l’emplacement de l’Ancien Tribunal. Mais ce projet est chose utile et l’utile doit passer avant l’agréable. Les marchés sont difficiles et impossibles à tenir les jours de pluie, dans la situation actuelle. Quand la Halle en question sera élevée, nos ménagères ne tarderont pas à en apprécier l’utilité. Il n’y a du reste qu’à voir ce qui a lieu, sur ce point, dans les villes aussi importantes et même quelquefois moins importantes que Millau. La nécessité d’un Marché couvert s’impose depuis longtemps et, comme l’a fait justement remarquer M. Fabry, il est plus que temps de mettre à exécution ce projet qui complète les grands travaux en cours d’exécution » (Messager de Millau, 3 avril 1897)

Dans sa séance du mercredi 9 juin 1897, « Après le rapport de M. Fabry, au nom de la Commission chargée d’examiner les plans et projets fournis par diverses maisons de constructions métalliques, le conseil (sauf M. Balitrand) adopte le projet Guillot-Pelletier, d’Orléans. La dépense totale s’élèvera  à 66 000 francs, sur laquelle la somme 10 000 francs de travaux seront exécutés en régie par les ouvriers de la ville. Peu de villes de l’importance de Millau sont sans marché couvert. La nouvelle halle métallique qu’on va élever sous peu sur la place de l’Ancien Tribunal sera le digne couronnement des grands travaux exécutés » (Messager de Millau, 12 juin 1897)

Vive discussion autour de la halle couverte. (DR)

On adjugea terrassement et maçonneries aux entrepreneurs millavois Charles Connes et Victor Sérignac.

Projet retenu : 853 m2 avec caves en sous-sol, recouverts d’une structure métallique, construite par la maison Guillot-Pelletier, d’Orléans.

Les travaux commencés fin 1897 se terminèrent en novembre 1898 et tout se passa sans incident. Le 27 août 1898, le drapeau flottait au sommet de ce monument de 853 m2 et la mise en service eut lieu le 1er janvier 1899.

Le conseil municipal décida qu’à partir du 1er mars, les marchés de Millau se tiendraient les lundis, mercredis, et vendredis de chaque semaine abandonnant ainsi l’antique marché de mardi.

Ce nouveau marché couvert aura coûté  en chiffres ronds 70 000 francs, soit 14 000 francs pour les travaux de maçonnerie et 56 000 francs pour les constructions métalliques. On profita des travaux, pour percer une autre rue, entre la rue droite et la place des Halles, qu’on nomma la rue la rue des Halles (délibération municipale, 23 février 1898), renommé plus tard rue Fernand Candon (décision municipale, le 10 janvier 1957).

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Adjudication des excédents du Boulevard Central

 La percée du boulevard n’était que le commencement ou plutôt le milieu de la grande voie qui relierait directement l’église du Sacré-Cœur et l’Hospice. Mais il fallait se rendre à l’évidence, le projet ne pouvait se réaliser en totalité à cause de son coût. Tous les travaux étant terminés depuis mars 1897 aussi bien sur le boulevard que sur la rue faisant jonction à la place de l’hôtel de ville (Foch), le 1er mai, on vendit aux enchères trois parcelles de terrain en bordure sur la première partie du boulevard central.

Le 1er lot, situé à l’entrée de la rue du Général Thilorier, comprenant 78m.35, a été acquis par M. Etienne Graille, dont la maison expropriée s’élevait sur cet emplacement, au prix de 70 francs le mètre carré, soit au total 5 484 fr 50.

Le 2e lot, formant l’angle de la rue des Fasquets, d’une surface de 36m70 a été payé 71 fr. le mètre carré, par Mme Baumel, ancienne propriétaire de la maison que la ville a fait raser sur ce point. Soit 2605 fr,70.

(Sur cette maison on peut voir la date « 1897 » date de la réfection au-dessus du n°5 de la rue des Fasquets)

Le 3e lot, à l’angle droit de la rue des Fasquets, mesurant 40 m.90 est resté à M.C.Carbasse, le plus proche voisin, qui l’a obtenu moyennant 55 fr. le mètre, soit 2249 fr.50.

Cette opération fait donc entrer une somme de 10 339 fr. 70 dans la caisse municipale (Messager de Millau, 8 mai 1897).

Du boulevard central au boulevard Sadi-Carnot 

Le 24 juin 1894, à Lyon, l’infortuné président de la République Sadi-Carnot tombait sous le poignard d’un misérable italien, l’anarchiste Caserio. Ce crime souleva une réprobation universelle, et c’est sous le coup d’une émotion non éteinte encore que notre conseil municipal, en 1898, appela Sadi-Carnot ce nouveau boulevard qui devait assainir une partie des vieux quartiers de la ville.

Il s’agit du seul boulevard qui porte le nom d’un président de la République française. Cette voie aura permis d’apporter de la lumière et de l’hygiène en faisant disparaître de nombreux foyers d’infection  à travers tout un quartier du vieux Millau. Ce nouveau boulevard devint très vite populaire. On peut lire une note manuscrite sur la toute première carte éditée en 1900 : « partie neuve et animée de la ville ».

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En effet,  le boulevard Sadi-Carnot devint, peu à peu, une des artères les plus animées de Millau. Elle donnait accès au quartier des marchés, car simultanément, les halles métalliques se construisaient et la rue Clausel-de-Coussergues s’ouvrait sur la place Foch…

De nombreux commerçants y installèrent boutiques le long de ses larges trottoirs ombragés.

On y voyait dès 1899 un magasin de chaussures au nom peu commun « Le Gaspillage », le café de la Veuve Bouscary y était mis en vente la même année. Les abords ne tardèrent pas à se garnir de constructions modernes, parmi lesquelles le bel établissement de l’Institution libre Sainte-Marie (aujourd’hui Créa), qui font de ce boulevard une de nos plus belles voies.

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Les enseignes « A la Grande Maison » « Au sans pareil », « les Magasins Modernes », la Mercerie et Bonneterie Martel et bien d’autres firent le bonheur, des décennies durant, d’une fidèle clientèle.

De nos jours encore, dans son magasin laissé à l’identique depuis 1901, la famille Arlabosse propose son linge de maison. Depuis très longtemps, chaque année pour les fêtes de Noël et du jour de l’An, elle nous émerveille de sa vitrine animée, minutieusement organisée et commentée.

En 1908, « la Ménagère » vint s’installer. On trouvait de tout dans ce magasin : Literie complète, fabrique de matelas et sommiers, instruments de musique, gramophones neufs ou d’occasion, photographies, disques, poupée sur sa chaise haute…

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L’ouverture de ce boulevard, ou, mieux, de ce tronçon de boulevard, qui va du nord au sud, aurait été insuffisante pour assurer une arrivée facile à la place de l’Hôtel de Ville (Foch). Aussi, derrière les halles part la rue Clausel de Cousergues, nous y reviendrons.

Marc Parguel

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