Actualité

Commémorations en Aveyron : Quelques nouvelles du front (1914)

En ce jour de commémoration de l’armistice de la  guerre 14-18, nous évoquerons le début de conflit à partir de correspondances, de carnets, d’archives de journaux, et d’autres documents millavois.

En 2014, en mémoire du centenaire du début de la guerre, chaque commune du département avait reçu en juillet une réplique de l’affiche de la mobilisation à apposer en mairie. Le secrétaire d’Etat aux anciens combattants avait demandé en outre, aux maires de toutes les communes de célébrer ce centenaire en faisant retentir les cloches de nos édifices. De nombreuses communes avaient répondu à l’appel, comme Paulhe, où le Maire s’était rendu dans l’église pour lancer à la volée les cloches pendant une dizaine de minutes, il était 16 heures… Cent ans plus tôt… le1er août 1914, c’était la Mobilisation générale. Les soldats se pressent dans les gares, acclamés par une foule joyeuse. On part « la fleur au fusil », comme l’écrit Galtier Boissière dans le Crapouillot, journal des tranchées de 1915.

La fleur au fusil. (DR)

La propagande a dressé les Français à la haine du « boche ». Ce sera la « der des ders », la revanche après la défaite de 1871. Une fille de cultivateurs, âgée de 14 ans, Emilie Carles rappellent ce qui se passa en Hautes-Alpes, son témoignage pourrait facilement être commun à ce qui se passait dans nos villages : « Août 1914, c’était la pleine moisson. Quand on a entendu les cloches sonner, on s’est demandé pourquoi… C’est le garde champêtre qui nous a annoncé la nouvelle… – C’est la guerre ! – Mais avec qui ? – Ben, avec les Allemands ! Quand les ordres de mobilisation et les feuilles de route sont arrivés dans les familles, les gens ont commencé à se rendre compte que la guerre était bien réelle. Tous les hommes valides recevaient leur feuille, la guerre c’était d’abord ça, la séparation. Le village était complètement bouleversé. Il y en avait qui prenaient ça à la rigolade, ça va vous faire des vacances en plein été, nous qui n’en avions jamais eu, il faut en profiter. Mais il y avait les autres, les inquiets qui voyaient tout en noir. Pour ceux-là, la guerre c’était la fin de tout et ils n’en voulaient pas. Il y a eu des cas de bonshommes qui allaient se cacher en forêt. Finalement ils sont tous partis. En l’espace d’une semaine, le village avait changé du tout au tout. Il n’y avait plus un homme entre 20 et 30 ans » (Emilie Carles, une soupe aux herbes sauvages, Pocket, 2004). « Je pars le cœur léger » écrivait à sa mère, Henri Andrieu, jeune millavois en août 1914. Dans son carnet-journal, jour après jour, il nota au crayon les moindres détails des jours passés sous la mitraille dans le secteur de Lunéville. Comme le mentionne André Maury, qui a eu le carnet du jeune appelé en main : « Une précaution toutefois, sur la page de garde : En cas de mort, veuillez adresser ce carnet à ma mère. ».

L’abbé Gabriel Desmazes, né à Lalauzet (commune de Paulhe) le 17 avril 1875, avait 39 ans quand la guerre éclata. Il fut d’abord mobilisé comme infirmier dans un hôpital temporaire puis bon pour le service armé et embarqua pour Salonique. Dans une lettre écrite à sa famille, il détaille l’équipement du soldat : « Toute la journée du dimanche a Perpignan, l’on a été occupé à nous équiper de neuf : capote, veste, pantalon, sac, tente, couverture de laine, deux chemises, un mouchoir, une ceinture de flanelle, un caleçon, une serviette, deux paires de souliers, une gamelle, une cuillère, un bidon, une musette, une hache…on nous avait donné auparavant à chacun des vivres pour plus d’un jour, pain, viande, fromage, biscuit de soldat, boites de conserve, etc. ». Confiant sur la durée de cette guerre et sur sa place dans celle-ci, il ajoute : « Quand partirons-nous de Marseille ? Il est à peu près certain que nous irons à Salonique. Notre vie ne sera pas bien en danger. En mer, des bateaux doivent nous protéger ; et là-bas, nous resterons probablement dans les hôpitaux. De plus jeunes iront au front. Par conséquent, n’ayez pas à vous chagriner sur mon compte. Au contraire, je serai dans la suite, très content d’avoir fait cette expédition. Conservons toujours l’espoir qu’avec la grâce de Dieu, nous serons victorieux» (Lettre d’un soldat à sa famille, guerre 1914-1918, document aimablement communiqué par M.Bernard Brengues).

Publicité
DR

La guerre met en sommeil toute activité communale importante. Le Maire accomplit plusieurs centaines de fois la lugubre démarche de l’annonce d’un soldat tué à la famille. En effet, dans la boue et la mitraille, l’enthousiasme va vite s’évanouir. Paul Cousy, natif de Millau, écrit : « Le 9 octobre 1914, à 4 heures du matin, on nous réveille subitement dans la grange où nous étions, à Esnes. Pourquoi ? On va faire la relève dans le bois de Malencourt ! Le bois de Malencourt ! Ce nom fait passer un frisson, car ce n’est pas seulement un bois où tout est bon aux embuscades, c’est aussi et surtout un immense lac de boue, dans laquelle on s’enfonce jusqu’à mi-mollet, jusqu’aux genoux à certains endroits et dans lequel il faut vivre les pieds dans l’eau et mal ravitaillés jusqu’à la relève suivante. » (Cris de la tranchée, septembre 1986)

Pour contrer les problèmes de froid que les soldats connaissent sur le front, le conseil général de l’Aveyron à grand renfort d’annonces dans la presse locale lance des appels à l’aide : « Nous avons vu de pauvres blessés revenir du champ de bataille vêtus d’une malheureuse chemise en loques. L’hiver approche, le froid sévit déjà, les nuits sont glaciales. L’expérience de la guerre de 1870 nous a démontré que nous avions perdu plus d’hommes terrassés par les maladies contractées par le froid et l’humidité que par les boulets et les balles allemandes…N’oublions pas que notre département a, par sa situation géographique, l’immense privilège d’échapper à l’invasion. Nous ne voyons pas nos villes et nos villages envahis, nos maisons incendiées, nos récoltes foulées aux pieds, nos vieillards, nos femmes et nos enfants maltraités et fusillés par une soldatesque effrénée. Nous ne subirons pas les horreurs de la guerre, nous n’avons pas à déserter nos demeures, chassés par l’exécrable envahisseur ! Nous avons donc l’impérieux devoir de nous consacrer tout entier au soulagement de nos malheureux soldats. A ce devoir sacré, personne n’a le droit de se dérober. Le moindre sentiment d’égoïsme serait un crime monstrueux… Qu’il n’y ait pas dans notre Aveyron une seule famille qui n’apporte son obole ou le fruit de son travail pour cette œuvre d’admirable patriotisme…Nous nous adressons à tout le monde sans distinction d’opinion, aux Maires, aux Instituteurs, aux Curés. Des circulaires imprimées vont leur être remises incessamment. Qu’ils acceptent tout ce qu’on voudra bien leur donner : tricots, gilets de flanelle, ceintures, foulards, couvertures, gants, chaussettes, caleçons… tout ce qui peut préserver du froid nos chers combattants. Ces Messieurs enverront au chef-lieu de canton tous les objets remis, et le Conseiller général les fera parvenir à la Commission départementale, Hôtel de la Préfecture, d’où on se hâtera de les expédier à leur destination. Mes chers compatriotes, songez à vos fils, à vos frères qui grelotent en plein champ ou dans les tranchées humides. C’est pour nous qu’ils souffrent, c’est pour nous qu’ils luttent, c’est pour nous qu’ils bravent la mort. » (Docteur Augé, Député, Conseiller général de Pont-de-Salars, Journal de l’Aveyron,11 octobre 1914).

DR

Un soldat millavois livre ses impressions à ses parents dans une lettre envoyée le 5 octobre 1914 : « Cher Parents, J’ai reçu votre dernière lettre, ainsi que les chaussettes qui étaient annoncées… Ces jours derniers, on nous a distribué des tricots et le mien me tient chaud… Cela n’empêche pas d’avoir froid quand même, surtout sur le matin, car il tombe une gelée très forte et les brouillards restent jusqu’à onze et même midi, pour reparaitre à trois heures du soir. Hier nous étions au repos. Aussi le matin le capitaine aumônier a dit la messe des Morts au village, où nous étions cantonnés. L’église était trop petite pour nous contenir. On a chanté en chœur le Requiem, le Dies irae et le De profundis. C’était très émouvant et surtout impressionnant d’entendre chanter toute cette masse d’hommes. Après cette messe l’aumônier militaire a fait une courte allocution, qui fut très écoutée. L’impression que j’ai eue de cette messe me restera gravée dans mon cœur pendant toute ma vie, si j’ai le bonheur de me sortir de cette guerre ; car cela est très impressionnant de voir des hommes de trente et trente-cinq ans prier, et recueillis comme de véritables moines. Rien plus à vous dire pour le moment. Donnez le bonjour à tous les amis et voisins. Votre fils affectueux A. P.S. La conclusion que j’ai tirée de cette messe et surtout de l’allocution, c’est que d’un côté, les Allemands s’acharnent, à mesure qu’ils reculent, à détruire les églises, tandis que nous autres, dès qu’un jour de repos se présente, le matin même on dit une messe de Morts où un grand nombre d’hommes y assistent. Aussi Dieu qui est infiniment bon et juste, nous protègera et nous assurera la victoire » (L’éveil de Livinhac-le-Haut, novembre 1914).

Une offensive en Alsace (août 1914) © The Art archive

La mitraille cependant fait mouche sur les cibles bleu et rouge. Henri Andrieu, jeune millavois qui était parti « le cœur léger » s’affaisse touché au cou et au poumon. Louis Bretou rappelant la communication d’André Maury sur ce sujet nous donne plus d’informations : « Plus d’un jour à attendre sur un brancard, pratiquement en plein vent… Hémorragie pulmonaire. Le jeune millavois n’a plus la force d’écrire et arrête son carnet. Voyant la mort venir, Henri remet livret, montre et autres petits objets à un copain. Dès qu’il le pourra, celui-ci les remettra à la mère. Toussaint 1914 emportait à jamais Henri Andrieu. Longtemps après, la mère prendra possession des chères reliques et de mandats non encaissés. Longtemps, longtemps plus tard, la maman recevra des restes de fleurs fanées recueillies sur la tombe du disparu dont plusieurs monuments millavois rappellent le souvenir » (Journal de Millau, 8 mars 2001)

Le front 

« Le Front ! mot magique de tant de gloire et d’héroïsme qui résume tout ce que l’être humain contient de plus noble et de plus beau : l’abstraction complète de l’individu pour la sauvegarde de la nation, l’effacement jusqu’à l’oubli volontaire de tout ce qui est nous, l’abnégation jusqu’à la mort », ces phrases écrites par Jacques Civray, alors officier de liaison résument bien l’état d’esprit du soldat prêt à verser son sang pour la mère patrie.

Représentation des soldats français du 5e régiment d’infanterie dans une tranchée. (DR)

Les premiers mois de guerre sont particulièrement redoutables pour nos soldats et chaque semaine ce sont plusieurs noms qui figurent dans les colonnes des « morts au combat, tué à l’ennemi… ». Mon arrière-petit-cousin Paul Duchatelle sous-lieutenant (1885-1917) dont la mère était originaire de Livinhac le Haut écrivait dans l’un de ses carnets : « L’ennemi envoie quelques grosses marmites sur la tranchée à gauche de la route. L’ordre nous est donné de commencer le feu sur le barrage de Marchéville, je donne l’ordre à ma demi-section, et je tire moi-même ; à peine ai-je tiré une quinzaine de coups que je reçois un coup extrêmement violent sur le côté gauche derrière la tête et je suis complètement étourdi. Je me mets sous un petit abri.A ce moment arrivent, dans l’abri, deux hommes qui venaient de la tranchée arrière dont un avait été blessé pendant le parcours. Le valide panse le blessé qui, touché aux jambes et à la tête, demandait à son camarade de lui écrire une lettre.A ce moment, le bombardement commençait. Arrive une marmite de 150 dans la gabionnade en face de nous et le volatilise, me crève ma gamelle et éventre mon sac et me laisse inerte pendant deux heures. Les camarades Dervet et Broudin me croyaient mort. Je me relève avec un violent mal de tête… c’est à se demander si cela va continuer encore longtemps avec la longueur de cette guerre, le bombardement ennemi, l’absence de riposte de notre artillerie, le peu de perspective d’une issue à cet égorgement de l’Europe; que va-t-il advenir de toute cette folie, et il y a des gens que nos poitrines mettent à l’abri qui hurlent jusqu’au bout …mais qu’ils y viennent donc ici, sous les obus ! Si nous avions eu du matériel, des canons lourds, des mitrailleuses, nous aurions été victorieux, mais il n’est pas possible de l’être avec du gâchis et des embusqués. Maintenant la moitié du régiment est embusqué. Ce sont toujours les mêmes bons bougres qui sont aux tranchées, mais les permissions, les croix de guerre, ce n’est pas pour eux, ils sont tous à la peine. Ce n’est pas toujours celui qui sème le blé qui le mange. ».

Paul Duchatelle tombera le 21 août 1917, à la côte 304 (secteur Avocourt).

Parmi les originalités de ce début de grande guerre, trois articles ont retenu mon attention, les voici :

Un mort qui ressuscite. – L’autorité militaire avait informé, il y a quelques semaines, la Mairie de Millau du décès de Justin-Auguste-Emile-Léon Mourrut, de Millau, soldat au 61e régiment d’infanterie, qui aurait été tué le 20 août à Dieuze. Or le prétendu mort avait été simplement blessé et fait prisonnier. Il est aujourd’hui au Camp de Lager Lechfeld, d’où il a écrit déjà, à plusieurs reprises, à sa famille et à ses amis. Tant mieux ! Combien d’autres morts nous voudrions voir ressusciter ainsi !(Journal de l’Aveyron, 15 novembre 1914)

Huit fois blessés. Notre compatriote, le capitaine Deniau, un des trois fils de l’ancien et premier chef de gare de Rodez, n’a pas reçu moins de huit blessures face à l’ennemi ; cinq de ces blessures sont graves. Le Capitaine Deniau est soigné à Verdun. Voilà un brave qui honore sa famille et son pays ! Son frère, le chansonnier Emile Deniau, trouvera là, après la guerre, le sujet d’un beau chant ; nous espérons que ce ne sera pas une élégie.(Journal de l’Aveyron, 22 novembre 1914)

Le capitaine Deniau. Dans notre dernier numéro, nous annoncions que le capitaine Deniau avait été grièvement blessé, et nous exprimions des vœux pour sa guérison. Hélas ! ils n’ont pas été réalisés ; nous en recevons la triste nouvelle par son frère, le chansonnier Emile Deniau ; « Au feu, sans arrêt, depuis le 7 août, nous écrit-il, atrocement blessé – huit fois – le 10 octobre et luttant chaque jour depuis. Amputé et mort le 15 novembre ». Héros et martyr, le capitaine Deniau… Nous nous inclinons respectueusement sur sa tombe, et nous prions son frère et tous les siens d’agréer l’expression de notre bien vive sympathie.(Journal de l’Aveyron, 29 novembre 1914). L’hôpital de Millau regorgea de blessés militaires et, comme partout ailleurs, il fut nécessaire de créer des hôpitaux auxiliaires. Ils étaient dans notre ville, au nombre de quatre, installés au collège des garçons, au pensionnat du Sacré-Cœur, au collège des filles, enfin à la Présentation Sainte-Marie.

Carte postale (DR)

Il ne faut pas oublier la place des femmes dans cette guerre, sur les 150 000 monuments aux morts et plaques commémoratives que compte la France, rares sont ceux où sont mentionnés les noms des infirmières victimes de leur dévouement. N’oublions pas non plus les mères de ces valeureux soldats : le Monument aux morts de la Forêt du Temple dans la Creuse en est un témoignage émouvant. Les trois frères Fernand, René et Maurice Bujardet ont été « tués à l’ennemi » en 1915, 1916 et 1917. A la suite de leurs noms est gravé celui de leur mère Emma, avec cette mention : « Morte de chagrin, 1917 ».

Marc Parguel

Bouton retour en haut de la page