Lundi 8 novembre 1982, la région de Millau subissait l’une de ses plus grandes catastrophes naturelles. Un véritable désastre que la commune n’avait pas connu depuis le 12 septembre 1875. C’était il y a 40 ans.
Du 6 au 8 novembre 1982, une violente tempête, accompagnée de très fortes pluies, a balayé l’Europe occidentale causant des destructions catastrophiques dans une trentaine de départements et de nombreuses victimes : en France 15 morts et 60 blessés, 12 morts en Andorre.
Le jour où tout a commencé
Dans notre région, tout a commencé le 7 novembre 1982, par une tempête exceptionnelle qui s’est abattue sur le Languedoc-Roussillon et le sud Aveyron. Le journal Midi-Libre se fait écho de ce déchaînement climatique : « Avec des pointes de 155 km/h le vent du Midi a soufflé avec violence toute la journée dans le Millavois, accompagné de rafales de pluie. Les pompiers ont été à l’ouvrage du matin au soir, appelés de toutes parts pour des toitures arrachées, des vitrines brisées, des arbres abattus sur les routes. Mais le plus sérieux accident s’est produit à la Z.A.C. de Calès où le baraquement d’une école maternelle a été écrasé sous un pylône électrique à haute tension. » (édition du 8 novembre 1982). Il était 7h40 du matin, on frémit à l’idée de ce qui aurait pu arriver aux heures de garderie.
Toute la ville de Millau est privée d’électricité une grande partie de l’après-midi après la rupture d’un câble d’alimentation. En soirée, après des pluies incessantes, une première annonce est faite dans la cité du gant, où un risque de crue est prévu pour le lendemain. Mais les habitants n’y croient pas vraiment. Pourtant, on annonçait trois mètres à 21h, et les eaux continuaient de monter. Toute la nuit, les équipes de secours ont parcouru les ruelles des quartiers bas de la ville pour alerter la population, la mettre en demeure de quitter les lieux. Dès les premières heures du lundi matin, une deuxième annonce disait que la crue était imminente, et que le risque d’inondation devenait très élevé. Surprenante sera la montée des eaux.
La crue du siècle
Aux premières lueurs du jour, le 8 novembre 1982, Millau fut touchée à vif… Il aura suffi de quelques heures dans la nuit de dimanche à lundi pour que le Tarn, grossi par les pluies diluviennes qui se sont abattues les jours précédents dans les Cévennes, transforme Millau en ville sinistrée. Des centaines de personnes commencent à sortir dans les rues, des chefs d’entreprises accablés qui prennent tous les risques pour sauver matériels et machines… La montée des eaux est si rapide que certains riverains se sont laissés surprendre et encercler par les flots tumultueux du Tarn gonflés par la Dourbie.
En quelques heures, une crue d’une ampleur colossale dévaste tous les quartiers bas de Millau. Ainsi, tous ceux situés au bord du Tarn, la zone industrielle, la gendarmerie, la cité des Causses, plusieurs garages du tour de ville et de nombreuses mégisseries furent envahis par les eaux du Tarn. Dès 11 heures du matin, des milliers de logements sont sinistrés, avec tout ce que cela comporte de dégâts et de misère. Des biens perdus emportés par un torrent de boue qui a roulé incessamment ses flots bouillonnants de colère à la vitesse de six à huit mètres par seconde, des larmes versées par un bon millier de personnes qui se sont retrouvées subitement à la rue avec pour toute fortune une robe de chambre hâtivement enfilée. Un air de débâcle sous un ciel menaçant qui charriait tout autant de nuages que le Tarn roulait de bois mort.
Au même moment, les mégisseries Alric, Deruy, l’imprimerie Maury, l’usine Canat et autres entreprises millavoises étaient déjà dans l’eau.
Rue de la Saunerie, c’était un peu l’affolement général parmi une population jamais menacée d’aussi près par la rivière. Impasse de la Saunerie, un habitant était porté sur les épaules d’un pompier, dans l’eau jusqu’au cou. « Comment je vais vous remercier », disait ce brave homme à son courageux sauveteur.
Les riverains de l’impasse Victor Hugo n’en revenaient pas quand ils virent l’eau immerger le premier niveau des pavillons, atteignant 2m50 de hauteur, certains restèrent confinés au premier étage, d’autres furent évacués en Zodiac par les pompiers.
Vers 11h30, Millau offrait un spectacle désolant, quand du boulevard périphérique au quai Sully-Chaliès, en passant par le quartier de Cantarane et la rue de la Saunerie, ce n’était que ruisseau de boue et branchage en enchevêtrés qui venaient battre à la porte des maisons, aux vitrines des magasins. L’eau emportait tout sur son passage, fussent même des troncs d’arbres et plusieurs tonneaux ou des citernes de propane qui ont été s’échouer contre les piliers du pont Lerouge. Un ouvrage que l’on pensa un temps s’effondrer, surtout lorsque les flots qui avaient déjà englouti une partie du Vieux Moulin venaient lécher son parapet.
Les plus obstinés qui ont refusé de quitter leur logement en première ligne regardèrent ce lugubre spectacle de leur grenier.
Le quai Sully Chaliès, le quai de la Tannerie étaient inondés sous plusieurs mètres d’eau. A la Maladrerie, les peupliers pliaient et cassaient sous la force du torrent charriant des objets de toutes sortes. Tout à côté, la route était coupée par les eaux devant l’Hôtel Dieu, au boulevard Richard et au Rec, rue Louis Blanc où un imprudent automobiliste se retrouvait dans l’eau… jusqu’au volant.
Une ville coupée du monde
A 14 heures, Millau vivait sa crue du siècle. Jamais encore depuis 1875 où l’eau était montée à 10m30, le Tarn n’avait roulé d’aussi grosses eaux (9m40 au-dessus de l’étiage). Isolée de tout le sud de la France, car « toutes les nationales et départementales étaient coupées, l’électricité et le téléphone aussi. Au pont Lerouge, le Tarn passait par-dessus la nationale 9 ; dans le ciel c’était un ballet ininterrompu d’hélicoptères qui allaient porter secours aux personnes prisonnières des eaux. » (Journal de Millau, 12 novembre 1982).
Certains de ces sauvetages furent spectaculaires, tel celui de la ferme de Cureplat, où il fallut découper le toit pour sortir un homme de son inconfortable position dans l’étable.
La rue Cantarane ressemblait à un véritable torrent. Les HLM du stade baignaient dans un lac recouvrant les voitures, un camion des Nouvelles Galeries et les pompes à essence du magasin Suma près de l’hôtel Larzac étaient submergés. Le stade municipal était sous deux mètres d’eau, on apercevait à peine la barre transversale des poteaux de football. Sur la route de Creissels, le garage Martel, pourtant surélevé, était envahi par les eaux.
L’heure du bilan
Le Tarn entamera finalement sa descente dans la soirée, si bien que dès 20 heures, on commençait déjà à nettoyer. La moitié de la ville retrouvait le courant électrique, mais la télévision n’était pas encore prête à revenir et les routes restèrent longtemps impraticables. Alors que la rivière découvrait peu à peu ses berges et regagnait son lit, les autorités, toutes réunies dans la sous-préfecture où avait été installé le P.C., n’ont pas manqué de noter l’importance de cette catastrophe.
Etaient présents tous les chefs de service (gendarmerie, pompiers, EDF) et Manuel Diaz, alors maire de Millau.
Une décrue lente, mais sûre était constatée, cependant on parlait déjà de plusieurs centaines de millions de francs de dégâts. Image spectaculaire, une cabane à lapins, emportée par les eaux, est venue s’encastrer entre un mur et une usine. Son propriétaire est venu voir ce qu’il en reste. Les lapins avaient été mis en lieu sûr.
Fort heureusement, aucun décès n’est à déplorer. Seuls deux sapeurs-pompiers ont été légèrement blessés dont un mordu par un chien apeuré qu’il secourait. Bilan satisfaisant pour 172 interventions et l’évacuation de 400 personnes par bateau et 20 par hélicoptère. Les dommages matériels étaient cependant inestimables, des dizaines de voitures abîmées, des troupeaux noyés, notamment les vaches appartenant à M. Miquel de la Graufesenque, après avoir nagé de longues heures s’écroulèrent. On ne put que constater les dégâts lorsque l’eau commença à se retirer. Mille personnes ont été délogées et plusieurs centaines d’ouvriers mégissiers se sont retrouvés en chômage technique.
Mardi matin, 9 novembre, un véritable spectacle de désolation s’offrait aux yeux des Millavois, la rue Antoine Guy, l’impasse Victor Hugo, la résidence du stade étaient sinistrées à 100 %. Plusieurs garages n’étaient devenus que de simples hangars. On sauve ce que l’on peut, et surtout l’on essaie de mesurer l’importance des dégâts. Un premier bilan chiffré fait apparaître que cette crue est un véritable désastre économique pour Millau et sa région. Jacques Godfrain, député de l’Aveyron, informe Gaston Deferre, alors ministre de l’Intérieur, du sinistre, et la Chambre de Commerce fait part aux pouvoirs publics des conséquences liées directement à cette situation sur l’emploi et sur l’économie locale. Les cris de détresse auront été entendus et la ville sera classée comme zone sinistrée.
En témoignage d’affection et de solidarité aux Millavoises et Millavois victimes de la crue du Tarn, une plaquette commémorant cet évènement fut éditée quelques jours après la catastrophe. Intitulée tout simplement « Millau, la crue du siècle » elle relate en 60 photos noir et blanc les moments douloureux vécus dans notre ville. Cette plaquette aura permis de recueillir des fonds pour subvenir aux besoins des victimes.
Aujourd’hui, n’oublions pas tous ces riverains du Tarn qui, il y a 40 ans, ont tout perdu. Ce 8 novembre restera gravé dans leur mémoire comme la journée où en quelques heures, ils auront vu l’eau de la rivière engloutir leurs habitations emportant avec elle une partie de leur vie.
Marc Parguel