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Patrimoine Millavois. L’Hôtel du Commerce et le Maire du Mandarous

A la place de l’Hôtel du Commerce, c’est-à-dire à l’intérieur et à côté de la porte du Mandarous avait été installée, en 1742, la résidence des jésuites qui venaient de s’installer à Millau. Ils y restèrent jusqu’à ce que leur ordre soit supprimé en 1762. Les religieux disparus, le bâtiment servit d’hôtellerie. La maison Loirette fut la première connue, puis ce fut l’hôtel du Mouton Couronné en 1827. Il rivalisait avec trois autres grands hôtels : Hôtel du Nord, du Commerce (situé autrefois sur l’autre côté de la place ,sur le côté nord-ouest du Mandarous), et du château Rouge. Cet établissement était facilement reconnaissable par les gens de passage. Sur son enseigne trônait le fameux « mouton couronné ». Après que les Loirette aient loué cet hôtel aux Privat, ce fut Redon qui le dirigea en 1845. 

L’Hôtel du Mouton couronné chez Redon (à droite) vers 1865. (DR)

Léon Roux (1858-1935) s’en souvient : « Sur le Mandarous, se trouvait le plus grand, le plus achalandé des hôtels de la ville, l’hôtel Redon, renommé pour sa bonne cuisine et par son confort qui, sans être moderne – et peut-être à cause de cela – n’en était pas moins agréable. C’est là que descendaient, sortant de la diligence de l’entreprise Bimar, les voyageurs de commerce venant de Paris et des grandes villes, les visiteurs de marque, les hauts fonctionnaires en tournée d’inspection. Pas de touristes ; les Gorges du Tarn étaient encore ignorées, oserai-je ajouter, même des Millavois. » (Au siècle dernier, le Mandarous, Messager de Millau, 9 janvier 1932). En 1868, cet hôtelier Redon fit faillite, et entre temps Guillaumenq avait acheté ce bien aux héritiers Loirette.

Qui était cette famille Guillaumenq ? Un cordonnier de vaillante trempe s’installa au début du XIXe siècle dans la maison située à l’angle de la place du Mandarous et du Boulevard de l’Ayrolle, maison qui devait devenir plus tard sa propriété, celle-là même portant le numéro 1 et où se trouve l’actuelle Banque Courtois. Le cordonnier ayant épousé la fille d’un aubergiste millavois, Marie Calmels, opta pour la profession de son beau-père et devint traiteur ; ainsi naquit la dynastie hôtelière des Guilhaumenq qui assurèrent les belles années de l’hôtel du Mouton couronné devenu par la suite l’Hotel du Commerce.

Dès 1868, Guillaumenq transféra sur le côté sud de la place son Hôtel du commerce en agrandissant l’ancien hôtel du mouton couronné. 

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Echo de la Dourbie, 22 août 1868. (DR)

Les travaux furent terminés en 1869, comme le rappelle le millésime placé à la fenêtre du premier étage. 

DR

Dans son voyage sentimental dans les Gorges du Tarn (1898), Dominique de Saint-Léons évoque l’hôtel et son patron Paul  Hippolyte Pierre Guillaumenq en ces termes : « M. Guilhaumenq, le patron, membre du club Alpin, nous reçut en camarades ; mit à notre disposition, pour la durée de notre séjour, le magnifique salon du premier, le chasseur et le pêcheur de l’établissement. Depuis longtemps nous n’avions posé nos inexprimables sur des sièges moelleux, aussi, lorsque nous nous écroulâmes sur des divans rebondissants, nos yeux se fermèrent. »

Un menu de l’hôtel Guillaumenq (1894) © Millavois.com

L’ancien Hôtel du mouton couronné renommé « Hotel Guillaumenq » en 1868 prendra définitivement le nom actuel d’ « Hôtel du commerce » en 1912 lorsqu’il passa aux mains de la famille Canac.

Entre-temps, le propriétaire  avait fait d’importants travaux en 1901, date à laquelle l’Horloger-bijoutier Peyre (à qui Portes succeda plus tard) vint s’installer. Guillaumenq après avoir vendu son hôtel à la famille Canac, devait décéder, célibataire, à l’âge de 53 ans en 1927 (L’Auvergnat de Paris, 24 décembre 1927)

Cet hôtel si bien situé tint le premier rang dans l’hôtellerie millavoise. Cette période d’ailleurs est justement celle où notre ville s’est affirmée comme le premier centre du tourisme du département.

Devant l’entrée de l’Hôtel Guillaumenq en 1908 au 8 place du Mandarous. (© Millavois.com)

Le maire du Mandarous

Carrefour central d’où partent les grandes artères drainant la circulation en ville ou vers l’extérieur, le Mandarous n’a cessé d’être, depuis les toutes premières années du XIXe siècle qui lui donnèrent sa forme demi-circulaire, le cœur vivant de notre Cité. Cette fameuse place se vit dotée, par la voix du peuple, d’une sorte de magistrat bonhomme dont le mandat se prolongea, de longues années durant, sur ce territoire aimé de tous et qui l’avait vu naître. Ce fut le maire du Mandarous. Pour l’état civil, il était Jean-Paul Louis Guillaumenq. Fils du savetier-hôtelier, Edmond Clément marié à Célina Poujol d’Aguessac, notre « maire du Mandarous » naquit dans la maison paternelle le 22 juin 1883.

L’Hôtel du commerce. (DR)

Georges Girard aimait à se souvenir de cet homme grand ami de son père : « Qui a connu Guilhaumenq ne l’oubliera jamais. Son appartement du 2e étage où, célibataire endurci, il avait vécu longtemps avec sa mère veuve à 45 ans et décédée en 1923 offrait la plus magnifique collection d’animaux naturalisés. En effet, il se disait grand chasseur devant l’Eternel : en lui palpitait l’âme d’un authentique Tartarin. Chasseur, il l’était bien un peu à ses heures : quand l’envie le prenait de se dégourdir les jambes ou de se dépayser un moment, mais il se doublait d’un affabulateur plein de rouerie et jamais à court de verve. Il avait dans son sac une provision d’histoires personnelles qui laissaient bouche bée les auditeurs qui ne le connaissaient point encore assez ; néanmoins elles semaient la bonne humeur chez tous ceux qui, le connaissant bien, ne pouvaient s’empêcher d’admirer ses remarquables prouesses verbales : qualité de l’imagination, de la mimique, de l’art de conter. Et plus d’un rappelle à son sujet cette rocambolesque histoire des gendarmes de Peyreleau qu’il aurait entraînés à le poursuivre, un jour défendu – et durant plus de 10 heures, – dans la montée de Capluc et par les travers du Causse.

Qui est chasseur est presque toujours pêcheur. Pêcheur, il l’était aussi, et dans les mêmes conditions, se vantant de prises, incomparables en nombre et en qualité, dont son panier d’osier et ses « lignettes » n’avaient jamais sûrement connu le poids annoncé. De par ailleurs, il ne négligeait rien de ce qui pouvait affirmer son image de marque ; aussi sa panoplie vestimentaire était-elle riche en bottes et cuissards, en fusils de tous calibres et en cannes à pêche imposantes. Et lorsque notre Tartarin partait en campagne, flanqué de son fidèle compagnon chien, il offrait le plus joli modèle d’indigène que pouvait souhaiter un peintre en mal de pittoresque.

Ce pittoresque lui avait conquis, inévitablement, une solide notoriété. Ses péroraisons sur la place où il montait la plus vigilante des gardes entre sa maison et le café Benoit lui valaient de nombreux auditeurs amusés. De plus, le nez en l’air, il vous humait le temps en connaisseur et, météorologiste averti, vous prédisait vent, pluie ou soleil, avec une exactitude qui éclipserait aujourd’hui la science bien approximative de nos Radios-Télévisions.

En contact permanent avec l’homme de la rue, il connaissait ainsi toutes les nouvelles qu’on lui confiait au passage et qu’il s’empressait de diffuser à son tour, en les amplifiant souvent à plaisir et en y ajoutant de savoureux commentaires de son cru. Ah ! ce Maire du Mandarous, quelle gazette ! Politique, écologie avant l’heure, préhistoire, spéléologie, tout lui était matière à glose. Sa constante disponibilité était d’ailleurs fort utile, car, omniprésent sur tout le territoire, il remplissait à merveille et non sans quelque joie, la fonction de guide, renseignant les passagers aussi parfaitement que le bénévole qui, un temps, assura dans le kiosque du Syndicat d’Initiative, sur la place, cette fonction indispensable à une cité touristique.

Ainsi par lui chacun connaissait les richesses architecturales de la ville, la puissance de ses industries et de ses commerces, la qualité de ses hôtels, les horaires des cars ou des trains, les excursions à mettre au programme. Quelquefois il lui arrivait de s’amuser un peu à leurs dépens. Se présentait-il quelque amateur d’art en quête d’antiquaire ? Le brave Guillaumenq les aiguillait vers une boutique de l’autre côté de la place où une enseigne indiquait « Seguin Jeune ». Vous vous imaginez la tête du touriste qui voyait arriver pour l’accueillir un vénérable vieillard aux cheveux blancs, à col raide empesé et la démarche sautillante tenaillée par de tenaces cors aux pieds, tous attributs n’ayant rien de bien commun avec la jouvence annoncée au fronton. Et de loin, de son observatoire, le Maire du Mandarous n’en perdait pas une ! » (Du maire de la Tine au maire du Mandarous, juin 1981)

La Marianne sur le Mandarous. (DR)

Que d’évènements aussi s’étaient déroulés sous ses yeux, au fil des ans, sur ce Mandarous ; il y avait vu planter en 1897 cette même « Marianne » de Denys Puech qu’il verra bien plus tard, quelques mois avant sa mort et non sans quelque humeur, « déportée » au Parc de la Victoire. Il avait assisté à la succession de « l’Hotel Guillaumenq » qui passa à la famille Canac sous l’appellation « Hôtel du Commerce » en 1912. Il avait assisté à la ronde renouvelée des kiosques éphémères, qu’ils soient à journaux ou de police  autour de la place. Celui à journaux, créé en 1880,  fut démonté et déplacé durant l’été 1926 à l’endroit où fut établie une vespasienne devant la remise Vaissier, aujourd’hui Pâtisserie Saint-Jacques. Un édifice jumeau du kiosque à journaux fut établi, à la même époque, sur le côté ouest de la place, devant la maison Quézac.

Cars et voitures de tourisme apparaissant en juin 1927, près de ce kiosque, qui abrita la police puis le Syndicat d’Initiative, il s’était amusé à contempler les multiples mutations de « l’œuf » central devenu indispensable par suite d’une circulation de plus en plus intense et dont les dimensions réclamaient de nécessaires et incessants aménagements. Sous ses yeux, charrettes et breaks s’étaient successivement mués en cars confortables, en automobiles de plus en plus élégantes, bicyclettes et motos s’étaient emparées de la route, et le flot envahissant des touristes avait enflé d’été en été, tandis que le gaz livide des majestueux lampadaires qui ornaient alors toute la place s’était vu largement éclipsé par la féerique électricité. Oui, que de changements au cours de sa vie !

Le Maire du Mandarous en canotier (1927). (DR)

Comme le montre cette carte postale, le kiosque est fermé, mais pour tous renseignements, voici, en canotier, le « Maire du Mandarous » en personne, M. Guillaumenq : une gazette vivante ! (D’après un siècle d’images millavoises, 1972)

Laissons la parole à Georges Girard pour évoquer ses souvenirs : « Quand mon père voulait passer un bon moment de détente après le travail, il me disait : « Viens ! allons voir Guillaumenq ». Nous nous hâtions tous deux vers la place où nous étions sûrs de le joindre en pleine séance oratoire, agitant sa tête maigre coiffée de la casquette, du chapeau ou du canotier, et entrecoupant le récit de ses arguments par d’abondants jets de salive dont il zébrait le pavé du trottoir.

Les dernières années avant la guerre de 1939-45 lui ménagèrent un voisinage digne de lui : en effet, lorsque vint s’installer dans le kiosque à journaux du café Benoît l’inoubliable plantureuse « Monteillette », Guillaumenq hérita là d’une partenaire « à la Madame Angot » dont la faconde tenait souvent tête à la sienne. Les diatribes s’avéraient à certains moments très passionnées, fort discordantes et la place en tremblait. Il fallait toute la diplomatie feutrée et l’autorité souriante de celui qu’on nommait « le Sous-Préfet du Mandarous » mais aussi M. Clément Unal pour ramener les antagonistes à la raison. Mais l’accord final intervenait, toujours parfait. Le Mandarous ne pouvait pas s’imaginer sans ses trois citoyens à qui personne ne songeait à disputer la légitimité. » (Du maire de la Tine au maire du Mandarous, juin 1981)

La « Monteillette » en 1936. (DR)

Durant un bon quart de siècle, Louise Monteillet fut avec la « Marianne » du monument patriotique de 1870 et Guillaumenq, « Maire du Mandarous », l’un des éléments typiques de notre place principale. Forte personnalité, c’était une des figures les plus marquantes du quartier, et si le « Maire du Mandarous », le brave Guillaumenq n’avait été un célibataire endurci, il aurait trouvé dans « la Monteillette » ainsi qu’on l’appelait familièrement, une maîtresse aussi représentative que lui. Elle était d’une corpulence aussi remarquable que son amabilité.

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Les derniers mois de sa vie, le brave Guillaumenq, homme de la rue et de la foule, rentier de toujours à la totale indépendance d’esprit, libre de son horaire et de ses choix, il les passera prisonnier des murs impitoyables du Couvent de Saint-Joseph tout proche. Dans sa retraite solitaire, il lui sera donné cependant la bonne fortune, qu’il appréciera de posséder comme compagnon une figure non moins légendaire que la sienne et dont Millau se souvient toujours, longue silhouette chevauchant une bicyclette, le général-baron de Gissac, alors plus que nonagénaire. Un jour que le Maire du Mandarous demandait au Grand Officier de la Légion d’honneur de quel titre il devait l’honorer : général ou baron, Guillaumenq s’entendit répondre : « Baron, c’est mon père qui me l’a donné ; appelez-moi donc général, car, là, c’est moi qui l’ai gagné ! ».

Et le 8 août 1951, Jean-Paul-Louis Guillaumenq quittait pour toujours son Mandarous pour entrer, sinon au Paradis, tout au moins au Panthéon de ces figures typiquement millavoises qui firent en leur temps, le charme et la joie de notre cité.

Marc Parguel

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