Causses et vallées

Un glissement de terrain à Paulhe en 1953

Au petit matin du 16 octobre 1953, les habitants de Paulhe sont soucieux, ils viennent de voir apparaître une dangereuse crevasse sous la maison de la famille Pailhas, sur la route traversant la commune pour se rendre à la Cresse. Ce n’est pas la première fois que la commune connaît des glissements de terrain, et l’édile de la commune Clément Deltour récemment élu n’en fermera pas l’œil de la nuit.

Ses craintes étaient fondées. D’heure en heure, la crevasse prit des proportions de plus en plus importantes et brusquement, dans la nuit du 18 au 19 octobre, vers trois heures du matin, un formidable éboulement plaça la salle des fêtes actuelle, les maisons Pailhas et Fabre au bord du précipice surplombant le Tarn.

Vue de Paulhe (DR)

Ce fait nous est rappelé par le journal Midi-Libre : « Un éboulement s’est produit dans la nuit de dimanche à lundi, juste en bordure du village de Paulhe, mettant en danger quelques maisons surplombant verticalement la vallée du Tarn d’une cinquantaine de mètres.

Sous le village passe, au ras des maisons le chemin venant de Millau et allant à Alauzet, et desservant notamment les dépendances de trois maisons aujourd’hui menacées : la cure inhabitée, la maison de M. Pailhas, et celle de M. Fabre. A la suite des pluies diluviennes de la semaine dernière, les habitants de Paulhe remarquèrent vendredi matin (16 octobre) que de légères crevasses zébraient le chemin. De quelques mètres au début, la largeur des crevasses s’accentua si rapidement que dimanche les occupants de maisons s’élevant le long du chemin décidèrent de prendre quelques précautions. Seul, M. Pailhas restait la nuit de dimanche à lundi dans sa chambre, mais sa femme et ses enfants, comme toute la famille de M. Fabre, cherchaient un abri chez des parents ou des amis.

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Et c’est lundi matin que l’on s’aperçut que dans la nuit une partie de la route s’était éboulée sans fracas sur une trentaine de mètres entraînant dans le ravin le mur de soutènement et 500 à 600 mètres cubes de terre meuble. Seule maintenant une bande étroite de 80 centimètres environ sépare le presbytère du vide.

Cet écroulement inquiète, comme on le pense, les habitants du village. D’autres crevasses dans le sol ont été repérées et l’on craint que le poids énorme des vieilles bâtisses ne s’appuyant pas sur le roc, provoque un nouveau sinistre qui serait alors catastrophique. Sur les lieux on remarquait autour de M. Deltour, maire de Paulhe, M. Carbasse, président de l’association d’adduction d’eau de la vallée du Tarn, maire de Compeyre ; de M. Bonnet, ingénieur des Ponts et Chaussées. Rien malheureusement ne peut être actuellement entrepris pour parer à toute éventualité, d’autant plus que les premières constatations laissent supposer que l’éboulement serait dû à un effondrement d’une nappe souterraine.

On a, en effet, l’impression que le pan de mur et l’amas de terre écroulés se sont enfoncés verticalement dans le sol, à une trentaine de mètres en dessous. » (Midi-Libre, 20 octobre 1953)

La route complètement coupée était fermée à toute circulation et les maisons évacuées, seule une bande de terre séparait les constructions de l’abîme.

Alors que se passait-il dans le sous-sol de Paulhe ? Il faut savoir que l’abbé Layrolle alors curé du village et occupant les locaux de l’actuelle mairie, avait, paraît-il, entendu vingt ans plus tôt des grondements sinistres lorsque la pluie tombait en abondance plusieurs jours de suite.

Déjà en 1901 et 1902

En effet, ces mouvements de terrain étaient connus depuis longtemps.

Ainsi peut-on lire en 1901 : « A 7 kilomètres en amont de Millau, sur les bords du Tarn, on rencontre le village de Paulhe accroché à un contrefort de la montagne qui le domine. Ce village est menacé d’une catastrophe. A la suite des pluies diluviennes qui durent depuis des mois, le sol, très perméable en cet endroit, a été détrempé jusqu’à la couche d’argile qui lui sert de base. Les maisons sont ébranlées sur leurs fondements ; des craquements sinistres se font entendre, l’eau jaillit de toutes parts ; des fissures se manifestent dans les murs les plus épais, un glissement général du sol est imminent. La population, affolée, se prépare à un exode général » (Village qui glisse, La Mayenne, 11 avril 1901)

Paulhe en 1902 (DR)

Un an plus tard : « La commune de Paulhe, qui compte 275 habitants, située dans l’arrondissement de Millau, glisse vers le Tarn. Hier (13 mars), à 1 500 mètres en amont de cette commune, près de douze hectares de terrains se sont détachés de la montagne, ensevelissant arbres, vignes, chemin vicinal, maisonnettes. Le glissement ce continue à vingt centimètres par heure » (Village en péril, la Gazette de France, 17 mars 1902).

« Jeudi matin, 13 mars, un éboulement de terrain sur une largeur de 200 mètres et une longueur de 400 mètres, s’est produit à un kilomètre en amont de Paulhe, sur les bords du Tarn, près Alauzet. Le lit de la rivière a été presque complètement changé. Les eaux du Tarn sont troubles comme s’il venait de fondre un orage. Il paraît que le glissement continue encore. Le tracé du chemin vicinal de Paulhe à la Cresse est détruit sur une longueur de plus de 200 mètres. Il est triste de voir ces lieux, il y a quelques jours si beaux, aujourd’hui couverts de crevasses affreuses et s’affaissant dans les eaux du Tarn. Ce sinistre peut être considéré comme un signe précurseur de ce qui pourra arriver au bourg de Paulhe, si on ne prend pas des mesures efficaces pour conjurer le péril qui menace cette localité » (L’Auvergnat de Paris, 23 mars 1902)

« Le village de Paulhe menacé, nouvelles crevasses. Le glissement de la montagne située entre Paulhe et La Cresse, non loin de Millau, continue. Les terrains voisins de ceux qui ont été enlevés, se crevassent et sont entraînés à leur tour dans les flots du Tarn. Les terres sont emportées plus ou moins loin, mais les rochers restent à peu près à l’endroit où ils tombent, de sorte que le lit de la rivière est déplacé. La population du village de Paulhe qui, l’an passé, fut alarmée par un accident semblable, et qui est de plus en plus menacée d’être engloutie toute entière dans ce cataclysme supplie les pouvoirs publics de prendre des mesures pour pouvoir conjurer le danger. Ces supplications ont été produites à la dernière session devant le conseil général mais les travaux à entreprendre sont considérables et demandent des études préalables qui ne sauraient être l’œuvre de quelques jours, il faut espérer qu’à raison des circonstances actuelles, ces études recevront une nouvelle et de plus en plus vive impulsion » (La montagne qui glisse, le Phare de la Loire, 20 mars 1902)

Millau, le 18 mars. On évalue à plus de 500 000 francs les pertes causées par le glissement des terres de la commune de Paulhe dans le Tarn. La rivière du Tarn a une partie de son lit obstruée ; elle roule comme lors des inondations des arbres, des plants de vigne. Des ingénieurs, des agents des ponts et chaussées sont sur les lieux afin d’éviter un plus grand désastre, ils essayent de canaliser les infiltrations d’eaux qui sont la cause première du glissement de Paulhe. Les habitants de ce village sont dans la consternation » (Un village en péril, la Politique coloniale, 20 mars 1902)

Au lendemain de la catastrophe du 19 octobre 1953, on se perd en conjectures sur les solutions à envisager, comme nous le rappelle « Midi Libre » qui s’interroge si cette catastrophe n’est pas liée au programme de modernisation des installations du village : « Au début de la semaine, les habitants de Paulhe ont vécu des heures angoissantes quand, au petit jour, ils constatèrent que le chemin qui longe le village s’était effondré sur une trentaine de mètres et que cet affaissement menaçait directement d’entraîner dans la vallée trois grandes maisons d’habitation. Peut-être même davantage ! Mais il serait bien dommage que ces vieilles demeures ancestrales et la petite église, vieille bientôt d’un demi-millénaire, puisque consacrée, en 1534, par l’évêque de Damas, Mgr Dupuy, disparaissent dans le ravin, anéanties à jamais ! Hélas ! le sentiment est peu compatible avec la réalité et l’effondrement d’une partie de la route cause bien du tracas aux autorités responsables. A propos, peut-on parler de responsabilité dans ce sinistre ? Il est évident que dans le village de Paulhe, on parle beaucoup et chacun- les intéressés et les autres – émet un avis. Mettez-vous à la place des habitants qui sentent que, d’un jour à l’autre, au gré d’une autre pluie diluvienne, par exemple, une partie du village peut sombrer dans le vallon après avoir vécu des centaines et des centaines d’années au flanc du causse, sans notables incidents.

L’œuvre des ans ou des nouveaux égouts ? On en compte un, pourtant, en 1907, une partie du mur de soutènement céda ! Depuis, ce fait localisé était oublié et l’on rejette aujourd’hui sur la « modernisation » les causes profondes de la catastrophe. Où est le vrai ? Où est le faux ? Y a-t-il seulement une part de vérité dans les accusations portées contre les égouts traversant le chemin effondré, égouts mis en place après la récente adduction d’eau et qui par leurs fuites, auraient miné le sous-sol au point d’être à la base de l’affaissement de lundi dernier ?

Laissons donc aux autorités qualifiées le soin de trouver la clé de l’énigme et, surtout de trouver les moyens d’une rapide intervention…aussi coûteuse soit-elle ! » (Midi Libre, 24 octobre 1953)

DR

Clément Deltour se devait de réagir vite pour répondre à l’attente des 114 habitants de Paulhe. Deux chantiers virent le jour : l’un consistait à détourner l’écoulement des eaux pluviales au moyen d’une canalisation qui alla se jeter directement dans le Tarn. L’autre a vu pendant plusieurs mois, des camions venir décharger terre et pierres pour combler l’immense trou.

En janvier 1954, Paulhe est isolé et subit les assauts de la tempête et de la pluie, le ravin de Carbassas (les Loubatières) a été bouleversé si bien qu’on ignorait où se trouvait la vraie route. A Paulhe, un préau est construit pour l’école (aujourd’hui disparu après la fermeture de l’école en 1983) ; les camions continuent à déverser chaque jour des tonnes de pierre dans la brèche insatiable. Des gabions mis en place permirent de tenir les décharges et c’était l’époque où les villageois étaient autorisés à jeter tous détritus (pas de ramassage d’ordures), d’où son surnom local des castres.

Sept mois après l’effondrement catastrophique, la route de Paulhe à la Cresse a été rendue à la circulation.

Depuis, pas de nouveau signe alarmant, malgré l’élargissement de la route départementale dans les années 1980 et la réfection des réseaux en 2007, et malgré aussi des véhicules lourds (parfois non autorisés) qui empruntent la chaussée.

Marc Parguel

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