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Patrimoine millavois. Une histoire oubliée : comment le patois a sauvé la vie d’un Millavois ?

Cette histoire est très ancienne, elle remonte à 1812. Jusqu’à la Grande Guerre, elle fut contée et racontée au cours des veillées millavoises, pendant que les châtaignes grillaient dans une vieille podéno percée de trous ou dans un vieux panier à salade, suspendu ol crémal.

Plus de soixante ans après l’avoir entendue pour la première fois, Léon Roux, exilé à Paris, où il était rentré à l’hospice Debrousse, rue de Bagnolet le 24 octobre 1918, voulut à son tour la raconter le temps d’une chronique.

C’est dans la bibliothèque de l’hospice, que notre auteur surnommait son « pigeonnier », qu’il l’écrivit à l’âge de 76 ans en avril 1934.

Voici les faits tels qu’il nous les a rapportés : « J’ai comme beaucoup de mes compatriotes, connu le dernier descendant de l’un des acteurs de ce petit drame qui se passa bien loin de Millau, très loin en Russie, mais dont les acteurs étaient des Millavois de vieille race rouergate : l’un de noblesse remontant aux Croisades, l’autre d’origine plébéienne remontant à toujours.

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Lorsque, avant 1870, pour aller à l’école des frères, partant de la Place, je suivais la rue Droite, je voyais souvent un homme déjà âgé, sur la porte d’entrée de « l’ancienne commune », attenante au Beffroi.

Le Beffroi. © DR

Où est-il est question du marquis de Tauriac ?

Bien qu’âgé, ai-je dit, cet homme était encore droit et tout en lui attestait la force et la puissance de la race rouergate… c’était le marquis Antoine de Tauriac, ancien colonel dans l’armée royale, après le retour des Bourbons et démissionnaire après le départ de Charles X en Angleterre et les Trois Glorieuses. La robustesse du marquis de Tauriac justifiait doublement le taureau de son blason parlant.

Pendant la Révolution, le père du marquis avait émigré. Fit-il partie de l’armée de Condé ? Je n’ai pas sous les yeux les documents généalogiques de De Barrau, mais toujours est-il que, jusqu’en 1815, il resta dans l’empire et les armées du tsar Alexandre 1er.

Or, en 1812, lors de la retraite de Russie, sous la neige, du terrible passage de la Bérézina, en Lituanie, un autre millavois se trouvait aussi en Russie, mais dans l’armée en déroute de Napoléon.

Ce cap dé férré fut fait prisonnier. Quelle peccadille commit-il pendant sa captivité pour être condamné à être fusillé ? L’histoire ne le dit pas. Ce qu’elle dit, c’est que marchant au poteau, entouré de cosaques, il ne put s’empêcher de dire à haute voix et dans sa langue maternelle : « O quos malhurous débéni pourta sous ousossés tont luen ». (C’est malheureux de venir porter ses os aussi loin)

« Qué disés » (Qu’est-ce que tu dis ?) lui demanda un brillant officier qui se trouvait là.

Le Millavois répéta sa phrase patoise dans un sourire à la fois amer et narquois. « Nou, lous pourtoras près dé Tar ». (tu nous les apporteras près du Tarn)

Le cimetière de Millau se trouvait alors, en effet, presque sur le bord du Tarn, à côté de l’hospice (hôtel-Dieu).

Et le marquis de Tauriac, le père de celui que je voyais, rue Droite, en allant à l’école, obtint la grâce de son compatriote et lui facilita le retour à Millau et, certainement, il repose sur les bords du Tarn, s’il est mort avant 1824 ».

(D’après Lou Potouès, histoire où il est démontré que parler patois sauva la vie d’un homme, L’Auvergnat de Paris, 28 avril 1934)

Léon Roux qui nous a transmis cette histoire continua encore à écrire quelques chroniques, mais avancé en âge, il eut un souhait avant de mourir : celui de revenir à Millau, revoir le Couvert où son père de guerre revenu (celle de Crimée), sans son bras droit, mais avec l’étoile de la Légion d’honneur et la Médaille militaire, avait ouvert une petite buvette où le vin du pays arrosait échaudés et gimbelettes de chez Andral, le rôtisseur de la rue des Jacobins.

Hélas, il ne put assouvir son désir le plus ardent. Le 10 février 1935, un jour de brouillard, il disparut. On peut dire qu’il écrivit jusqu’au dernier jour dans son « pigeonnier », où on le voyait, portant allègrement ses années, avec ses longs cheveux blancs, parmi un fatras de livres et de papiers, rassemblant des notes pour ses articles.

Que son travail de mémoire soit ici salué, et que son nom soit à jamais associé à notre histoire millavoise.

Marc Parguel

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