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Patrimoine Millavois : Quand on fêtait la Saint-Napoléon le 15 août (2/2)

La Saint-Napoléon était redevenue fête nationale suite au coup d’État du 2 décembre 1851, nous l’avons vu, dès le 15 août 1852, et elle fut couronnée de succès. Nous étions encore dans les derniers mois de la deuxième république qui fut supplantée le 2 décembre 1852 par le Second Empire, sous le règne de Louis-Napoléon Bonaparte. Durant tout le Second Empire, les fêtes de Saint-Napoléon continueront sous le nom de « Fête de l’empereur ». Elles disparaîtront avec le Second Empire.

Ainsi, en 1853, la circulaire épiscopale, adressée aux curés du diocèse disait : « Pour nous conformer aux pieuses intentions de l’Empereur…je vous invite, Monsieur le Curé, à faire chanter, le jour de la fête de l’Assomption de la Très Sainte Vierge, un Te Deum en actions de grâces, à l’issue de l’office divin. Vous aurez soin d’y inviter les autorités civiles et militaires et vous vous entendrez avec elles pour régler les dispositions relatives à cette solennité religieuse… » (L’Echo de la Dourbie, 13 août 1853).

Cette année là, on vit apparaître quelques nouveautés : « Lundi 15 août, à sept heures du matin, la compagnie des sapeurs-pompiers s’est assemblée sur la place du Mandaroux, où elle a été passée en revue par M.le sous-préfet, assisté des autorités municipales. De là, elle s’est rendue à La Grave, où a eu lieu le tir à la cible, dont le prix était un beau fusil de chasse. Le pompier Nicouleau, qui a le plus approché du but, a été proclamé vainqueur…A l’église Notre-Dame, une grand’messe a été chanté par M. le curé Constans.  L’après-midi a été consacrée à des divertissements. » 

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La Saint-Napoléon à la caserne (estampe, août 1853) © Gallica

De nouveaux divertissements

« A une heure, il y a eu course au sac sur la place d’Armes. Six prix, de cinq francs chacun, ont été gagnés ; le dernier a été disputé entre les vainqueurs des cinq premières courses. Comme l’année dernière, cet exercice avait attiré une foule considérable qu’il a constamment intéressée et amusée.

A deux heures et demie, six courses à pied ont eu lieu sur l’avenue de Rodez. Les élèves des écoles des Frères ont pris part aux cinq premières, et des jeunes gens à la sixième. Une bourse contenant 5 francs était la récompense du plus habile coureur.

Après la procession, il y a eu mât de cocagne sur la place du Mandaroux. Ce mât était incliné et avait été dûment lissé et savonné. Il s’agissait d’aller, debout et sans balancier, enlever un drapeau planté à l’extrémité. Les équilibristes malheureux tombaient sur un vaste lit de sangles dressé au-dessous de l’arbre, et qu’on avait recouvert d’une couche de noir de fumée. – Cette malice, nous devons le dire, a tourné contre ses auteurs : à la première chute, un nuage des plus épais a enveloppé les autorités qui s’étaient établies juges du camp au pied du mât, et les a mises en fuite. Ce jeu piquant a égayé, jusqu’à sept heures du soir, les innombrables curieux qui se pressaient sur la place et aux fenêtres. Le soir, les édifices publics et bon nombre de maisons particulières ont été illuminés. On a remarqué le brillant éclairage de l’hôtel de la sous-préfecture, de l’hôtel de ville et du palais de justice. » (L’Echo de la Dourbie, 20 août 1853).

Le jeu du mât de Cocagne. (DR)

Et d’année en année, outre les offices religieux, le programme comportait la revue des sapeurs-pompiers, passée sur le Mandaroux, par le Sous-préfet. Parmi les réjouissances, avec les feux de joie et d’artifice, bals, jeux divers, figuraient les illuminations. Cependant les jeux et autres divertissements furent supprimés plusieurs fois en raison des circonstances : expéditions militaires en cours, crises économiques, épidémie, etc. Les fonds qui y étaient normalement affectés étaient alors employés en distribution de vivres.

Un compte rendu de Jean Legros (1864)

Jean Legros (DR)

Jean Fabry (1807-1892) qui s’était fait surnommer Legros, à cause de son embonpoint et qui se décrivait ainsi « Ce Jean est gros, apoplectique, aussi rond qu’un bouchon de barrique », était un fin observateur des événements de la ville de Millau et il publia diverses chroniques sur l’Echo de la Dourbie, cet auteur malheureusement  oublié était aussi l’auteur du recueil « Faplos e Couontes en Proso » (1889).

Voici le compte rendu de son passage lors de la fête de Saint-Napoléon :

« La fête de l’Empereur a été des plus brillantes et des plus animées. Millau étant une ville essentiellement commerçante et industrielle, notre population comprend que c’est à l’initiative du chef de l’Etat que le commerce et l’industrie doivent leur développement et leur prospérité ; aussi est-elle heureuse quand elle trouve l’occasion de montrer son dévouement à Napoléon III.

La fête a commencé par une distribution de pain aux indigents, et a continué par un Te Deum solennel, chanté par M. le curé de l’église Notre-Dame, auquel ont assisté toutes les autorités, civiles, judiciaires et administratives. Avant de se rendre au Te Deum, les fonctionnaires, réunis à la sous-préfecture ont félicité M. le Sous Préfet (M. Chassoux que l’empereur a nommé chevalier d’honneur)…

Un public nombreux, composé en partie de dames en grande toilette, assistait au Te Deum et remplissait l’église. Lorsqu’on a entonné le Domine Salvum fac, les voûtes de l’église répercutaient harmonieusement ce chant national que les voix douces des dames rendaient plus mélodieux et que les hommes chantaient avec enthousiasme.

Notre-Dame de l’Espinasse (DR)

A 5 heures, après la procession, la population s’est portée sur la place d’Armes pour voir la lutte entre les grimpeurs du mât de cocagne. Cet exercice qui a duré deux heures, a beaucoup amusé le public, malheureusement il n’y a pas eu de vainqueurs. Personne n’avait pu grimper jusqu’à la cime du mât, et les montres et les saucissons qui excitaient l’ardeur des lutteurs, sont restés intacts. Les sergents de ville qui avaient savonné le mât n’avaient pas assez économisé le savon ; faut de la vertu, pas trop n’en faut ; certains gamins que j’ai entendu causer prétendaient que cet adage aurait dû être appliqué au savon. Consolez vous, ardents lutteurs, l’autorité municipale ne voudra pas que vous ayez grimpé pour le roi de Prusse, et ceux qui se seront le plus rapprochés du but, recevront la récompense qu’ils auront méritée et pourront manger une tranche des succulents saucissons qui s’agitaient sur leurs têtes.

Le soir, les édifices publics et un grand nombre de maisons particulières ont été illuminés, avec un grand luxe de lampions et de lanternes vénitiennes. Un feu d’artifice, le plus joli qu’ait eu Millau depuis longtemps, a été tiré sur la place du Mandaroux… Un incident, à 10 heures du soir, est venu troubler un moment la fête et donner au public une vive émotion. Un reste de fusée romaine étant tombée sur une meule de paille qui se trouvait dans une vaste cour lui a communiqué le feu. La foule s’est aussitôt portée vers le lieu du sinistre, quelques seaux d’eau ont suffi pour éteindre l’incendie et chacun a repris sa place pour voir la fin du feu d’artifice dont le bouquet a été délicieux.

Les tambours des pompiers et une musique allemande ont alternativement animé la fête et égayé le public qui s’est retiré en chantant le refrain d’une chanson nationale que jouait la musique et en répétant avec enthousiasme les cris de : Vive l’Empereur.

Tandis que cette foule joyeuse et bruyante s’écartait, je me suis mis à contempler la lune qui éclairait en plein la place du Mandaroux et dont les rayons argentés faisaient avantageusement concurrence aux lampions et aux lanternes vénitiennes. Un véritable amateur de pyrotechnie est venu m’accoster :

– Comment trouvez-vous ce feu d’artifice ?

– Très bien ! très bien ! Pourtant il y manque quelque chose.

– Quoi donc ?

– J’aurais voulu voir là un de ces beaux soleils comme savait les faire notre ancien artificier

– Eh bien, monsieur, ne pouvant voir le soleil, faites comme moi, regardez la lune et allons nous coucher. » (Chronique, l’Echo de la Dourbie, 20 août 1864)

En 1865, on pouvait lire aussi concernant les soirées de cette fête de l’Empereur :  « A la tombée de la nuit, les lampions, les bougies, les lanternes vénitiennes ont fait leur brillante apparition aux fenêtres et sur les façades des édifices publics et des maisons des particuliers. Les promeneurs s’arrêtaient un moment avec plaisir devant l’hôtel de la Sous-préfecture, la Mairie, les deux Cercles du commerce et de l’Industrie, et le pavillon du château de M. de Sambucy habité par M. Lanteirès, ingénieur ordinaire du chemin de fer, qui se faisaient remarquer par une illumination pleine d’éclat et de bon goût » (L’Echo de la Dourbie, 16 septembre 1865).

La place du Mandarous en 1891. (DR)

La fête de l’Empereur en 1866

Voici le compte rendu relaté par l’Echo de la Dourbie (édition du 18 août 1866)

« Mercredi à 6 heures du matin, toutes les cloches de nos églises ont été mises en branle et ont annoncé aux habitants de Millau le commencement de la fête de l’Empereur. Le son grave et majestueux du bourdon du Beffroi se mêlait à ce carillon retentissant.

La ville s’est empressée de mettre ses habits de fête et de se pavoiser, tous les établissements publics ont hissé leurs pavillons tricolores et les façades de nos monuments ont été ornées du drapeau français.

Notre population ouvrière, bruyante et joyeuse, a bientôt animé par sa présence nos rues, nos places et nos boulevards, heureuse de prouver une fois de plus son attachement à Napoléon III… Notre municipalité a ouvert la fête par une distribution de pain, de vin et de viande aux indigents.

A onze heures, toutes les autorités et fonctionnaires publics se sont rendus à l’église paroissiale de Notre-Dame pour assister au Te Deum solennel…la musique des pompiers précédait le cortège, dont faisaient partie les membres de la nouvelle société des anciens militaires ainsi que les médaillés de Sainte-Hélène. La compagnie formait la haie… A une heure, le public se pressait autour d’un mât de cocagne planté sur la place d’Armes, et les grimpeurs attendaient avec impatience que le sergent de ville préposé à sa garde donnât le signal.

Nous avons admiré avec le public les qualités gymnastiques et les forces musculaires des amateurs et nous faisions des vœux pour que les efforts de certains d’entr’eux fussent couronnés d’un succès : mais hélas ! à peine arrivés au milieu du mât, ils retombaient sur leurs jambes et étaient obligés de recommencer.

Si les saucissons et les montres en argent suspendus en haut du mât, récompenses futures des vainqueurs, étaient un puissant excitant qui doublait leurs forces, le savon dont on avait frotté l’arbre était un empêchement encore plus puissant, et nous avons vu plusieurs amateurs sur le point de se retirer… Après la procession, a commencé le tir à la cible, auquel ont pris part tous les pompiers, qui ont prouvé par la justesse de leurs coups que s’ils savent se servir de la pompe pour protéger les citoyens de Millau contre l’incendie, ils pourraient au besoin se servir convenablement du fusil contre les ennemis de la France…

Le soir, tous les établissements publics ont été illuminés ainsi qu’un très grand nombre de maisons particulières…Une foule compacte et joyeuse parcourait nos rues et nos boulevards. Les jeunes gens lançaient de temps en temps quelques fusées et quelques serpenteaux dans les groupes de jeunes filles, qui provoquaient de la part de celles-ci des cris de surprise et d’effroi.

Une robe prend feu 

Il y a trois ans, à pareil jour, un jeune homme lança une fusée dans un groupe de jeunes filles de sa connaissance ; elles en furent fort effrayées, et l’une d’elles nommée Marie C. eut le fond de sa robe brûlé.

Le lendemain, la jeune fille ayant rencontré le jeune homme lui fit le reproche d’avoir mis le feu à sa robe.

Comment ! c’est précisément vous que j’ai allumée, alors mon but est atteint.

Je ne vous remercie pas de la préférence et encore moins de la manière dont vous vous excusez.

Ecoutez-moi, Marie, attentivement : Il y a longtemps que je vous aime, j’ai essayé de vous le faire comprendre, mais vous avez fait la sourde oreille. Voyant qu’il m’était impossible d’enflammer votre cœur, j’ai cherché à incendier votre robe, afin qu’il y eut chez vous quelque chose qui brûlât pour moi ou par moi.

Parlez-vous sérieusement Jean ?

Oui, très sérieusement.

Venez, demain, trouver ma mère.

Trois mois après, M. le Maire unissait en mariage, M. Jean B. et Mademoiselle Marie C… qui font très bon ménage et sont fort heureux…

Le feu d’artifice tiré sur la place du Mandaroux a été très brillant et très varié ; les flammes de Bengale que lançaient avec leurs fusils les pompiers, divisés en deux camps, faisaient très bien et la pièce du bouquet a été d’un effet mirobolant »

Notre Dame de l’Espinasse vue du champ du Prieur (1912), dessin d’Edmond Valton (1862-1932). (DR)

Cette fête n’avait plus cependant que quelques années à vivre. En 1867, on déplace au champ du prieur le « tir à la cible » :  « L’exercice du tir à la cible faisant partie des réjouissances de la fête du 15 août et auquel seuls les pompiers devaient prendre part avait été renvoyé, pour cause de mauvais temps, au dimanche 25 du courant. Il a eu lieu ce jour-là, au Champ du Prieur, avec le concours toujours si agréable du corps de musique. Un fusil de chasse, offert par la mairie, devait être le prix du vainqueur. Cette arme a été gagnée par le caporal Julien, ancien grenadier de la garde impériale, portant sur sa poitrine les médailles de Crimée et d’Italie. » ( L’Echo de la Dourbie, 31 août 1867).

En 1868, à cause de la violence du vent, le tir à la cible, les illuminations et le feu d’artifice furent ajournés, mais au fameux jeu du mât de Cocagne, qui se tenait sur la place d’Armes « tous les prix ont été gagnés successivement et trop promptement au gré des nombreux spectateurs, par deux frères, les jeunes Cance ». Le lendemain, à 5 heures du soir eut lieu enfin le tir à la cible. Le prix unique, consistant en un très beau fusil offert par la ville, a été gagné par le sieur Philippe Gal, fourrier de la compagnie (d’après l’Echo de la Dourbie, 22 août 1868).

DR

Une dernière fête pour l’empereur à Millau

On ne peut pas dire qu’elle fut mémorable. Beaucoup plus simple que les autres, vu les ressources modestes qu’avait la ville de Millau cette année-là, la fête du 15 août 1869 qui marquait le centième anniversaire de la naissance de Napoléon 1er a surtout était bien perturbée.

« Après les offices habituels, à 6 heures du soir, absence complète de pompiers au Champ du Prieur pour le tir à la cible, faute de balles qui pussent s’adapter au canon de leurs nouveaux fusils. A 8 heures, illuminations des édifices publics et des maisons des particuliers qui ont été contrariées par le vent. Leur nombre et leur éclat en ont beaucoup souffert. Enfin, à 9 heures, sur la place du Mandaroux, où depuis la tombée de la nuit éclataient des bombes et pleuvaient les fusées, a été tiré un beau feu d’artifice dont quelques pièces ont été justement admirées et applaudies. La fête ne devait pas se terminer ainsi en fumée, mais le public, ce grand enfant, en a bien vite pris son parti ; il a fait à lui tout seul sa retraite avec tambour, mais sans trompettes et flambeaux, marchant tranquillement, les deux mains dans ses poches, et sifflant entre ses dents l’air : des lampions. » (L’Echo de la Dourbie, 21 août 1869).

De 1852 à 1869, dans le droit fil de la tradition établie par le Premier Empire, dix-huit célébrations officielles consécutives de cette fête eurent lieu dans toute la France. Il n’y eut aucune célébration en août 1870, la France étant en guerre avec la Prusse ; chaque commune fut invitée à célébrer des prières publiques pour le monarque et l’armée. Après la chute du Second Empire (4 septembre 1870), la Saint Napoléon ne sera plus célébrée officiellement le 15 août, excepté à Ajaccio et redeviendra alors à part entière la fête de l’Assomption et la fête nationale sera ramenée au 14 juillet.

Marc Parguel

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