Causses et vallées

Millau. Raoul Dhombres (1898-1989), la plume au fil de l’eau

Raoul Dhombres est né à Mende le 17 avril 1898. Son père était un chapelier très honorablement connu depuis 1875 dans la cité du gant. De fervente lignée protestante, il avait intérieurement la grande rigueur morale réformée, mais extérieurement très atténuée chez lui par de vives qualités d’approche et de communication.

Il passa quatre ans à peine, au lieu de sa naissance avant de passer toute sa jeunesse dans la cité du gant où il fit ses études. Elève appliqué et doué au collège de Millau, il fut tout jeune mobilisé en 1917, à peine âgé de 19 ans. Il se battit avec un grand courage, fut gravement blessé et obtint la Croix de guerre pour sa conduite héroïque.

De retour au pays, il suivit les cours d’un centre universitaire spécialement créé à Montpellier pour les mutilés de guerre. Un concours des Postes franchi avec succès en 1921 le conduisit à Paris où il commença une carrière dans l’administration. Après vingt ans de vie parisienne, il continua en 1943 son activité dans la région cévenole qu’il aimait beaucoup.

Il fut receveur des Postes à Saint-Jean-du-Gard, d’où était native son épouse. Il termina à Bessèges, toujours dans le Gard, en 1957 avant de prendre sa retraite à Millau.

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Un grand sens de la solidarité l’habitait. A ce titre, il fut fait chevalier du Mérite social.  Mais Raoul Dhombres se fit surtout remarquer par ses riches qualités littéraires et musicales.

Quand il fit carrière dans les Postes, il n’eut rien de comparable aux fameux ronds de cuir raillés par Courteline. Dès 1933, il devint membre de la Société des auteurs et compositeurs de musique, après avoir composé paroles et musique de « Quand le soleil descend ». Il avait déjà produit six œuvres pour pouvoir être admis à concourir.

Pêcheur de rêves

On ne peut mieux dire que parler de « violon d’Ingres » pour le receveur écrivain. Si Raoul Dhombres conduisit l’archet à merveille, son « second violon » prit les traits de sa plume, traçant sur le papier des mots captivants, grands dispensateurs de rêves. Ses premières œuvres écrites traduisent merveilleusement son amour profond de la nature et de la pêche. Tout d’abord des nouvelles telles Coin d’ombre ou Sévérac le pêcheur.

Un pêcheur dans la Dourbie en 2014. (DR)

Raoul Dhombres livrait volontiers que le goût d’écrire lui était venu très jeune, dès l’âge de 16 ans, avec des contes et nouvelles non publiés. Elu des Muses, sans le savoir, il rencontra dès 1936 l’écrivain André Chamson. Ils furent dès lors deux grands amis liés par le même goût de la nature et spécialement du pays cévenol.

Très fin pêcheur le long de nos rivières caussenardes et cévenoles, il publia entre autres deux petits chefs-d’œuvre romanesques : La truite de Saint Christol (Robert Lafont, 1953) une œuvre de haute envolée. En 1964,  La sonate au bord de l’eau, la suite du précédent ouvrage chez Arthème Fayard, remporta brillamment le prix Edouard Herriot manqué d’une voix en 1953. De belles pages sur la vie millavoise au début du XXe siècle,  chantant admirablement en termes exquis les joies de la pêche et tout le charme pittoresque de nos vallées, sans oublier de savoureuses théories et constatations halieutiques.

Premiers chapitres d’une vie liée à nos rivières 

Le cours supérieur du Tarn « brèche recoupée de gouffres et de rapides, sous les murailles du Causse », est de toute évidence le domaine de la truite. Au village de Saint-Christol, raconte Raoul Dhombres, « l’un de ces fuseaux d’argent, filant entre deux eaux » a été divinisé par les habitants de la rive, à la suite d’un miracle, ainsi entre-t-il dans la légende. Seul, parmi ses compatriotes, le braconnier voit en lui un poisson « plein de muscles et de chair ».

Bête ou dieu, la truite restera-t-elle maîtresse de son royaume ? Partageant la vie mystérieuse de l’animal symbolique de cette région, l’écrivain raconte l’histoire du poisson le plus racé des eaux douces, dans le pays des gorges et des causses peuplés de légendes.

A la fois livre de nature et roman d’aventures, La truite de Saint-Christol plaît bien sûr aux pêcheurs, mais aussi à tous ceux qui, par besoin d’évasion, recherchent ce contact avec les créatures de l’eau et de la terre, par amour de la nature.

Dans la préface de La Truite de Saint-Christol, André Chamson, de l’Académie française écrivait : « Il a fait plus que contempler les fuseaux d’argent filant comme un trait dans la transparence des gouffres. Il a su partager la vie mystérieuse de l’animal symbolique de cette étrange région. Il a vécu sa biographie de repos et de batailles, d’alertes et de flâneries, de haine et d’amour, si la haine et l’amour ont encore un sens au-delà de notre existence d’hommes. »

DR

La sonate au bord de l’eau relate l’histoire d’André Sévérac, qui, jeune adolescent, très doué pour la composition musicale, découvre en accompagnant son père, pêcheur passionné, une source d’inspiration au bord des rivières du pays. La truite aussi se trouve mêlée à cette inspiration, quelques années plus tard, alors que les dons du jeune compositeur s’affirment dans une sonate. Une truite qui l’entraîne dans des aventures avec le braconnier de la région. Ce livre reprend le texte de « Séverac le pêcheur » feuilleton de 1947-1948 rebaptisé pour l’occasion. On y lit de très belles pages sur la vie millavoise au début du XXe siècle et sur des paysages familiers. « Ces descriptions fouillées et sensibles témoignent de beaucoup de finesse et d’un fervent amour du terroir », écrivait le poète aveyronnais Pierre Loubière.

Voici un extrait : « Place de la Tine, devant l’hôtel du « Lion d’or », le cocher de la patache du courrier de Florac venait de dételer. Un relent de cuir et de sueur imprégnait l’air moite. Cou allongé, tête basse, les chevaux se dirigeaient pesamment vers la vieille fontaine en pierre d’un autre âge. Leur chanfrein s’enfonçait à la limite des naseaux dans l’eau couleur de mousse où godillaient des têtards. Paupières mi-closes, ils buvaient à grands traits ; leurs joues veinées se gonflaient ; de lentes pulsations cheminaient le long du cou jusqu’au garrot. Des voyageurs de commerce, descendus de la diligence, s’affairaient autour de leurs malles bourrées d’échantillons » (La Sonate au bord de l’eau, 1964)

En 1985, Raoul Dhombres réunit les deux ouvrages dans Le Roman de Trutta autour de Sa Majesté la truite que nous suivons, depuis sa naissance dans les eaux calmes à la jetée de Peyre jusqu’aux eaux tumultueuses des gorges du Tarn. Il écrira aussi : « Tant que les rivières chanteront » (Editions la Pensée universelle). Ces pages d’imagination composent un recueil de petites nouvelles, inspirées par la poésie de l’eau, l’amour de la pêche autant que par l’amour des êtres et des choses. Des vérités simples, pensées dans les eaux claires, source de toute vie. Il est également l’auteur de trois pièces de théâtre, Une nuit chez les bohémiens, en 1937, pièce en un acte ; Notre village sous le soleil, en 1945, une comédie musicale en trois actes ; un bateau s’en alla, en 1947, une pièce en un acte. Il a écrit aussi maints articles de grande qualité, notamment dans la revue Causses et Cévennes du Club cévenol auquel il était très attaché et dont il fut pendant de nombreuses années le fidèle et très actif président de la section de Millau.

Raoul Dhombres avec Gérard Deruy. (DR)

Paroles et musique

Très talentueux musicien comme l’avait été son père, il composa différentes petites œuvres et surtout les paroles et la musique de l’hymne des villes jumelées, sur un arrangement de René Rieux, chant mondialement connu maintenant. L’hymne fut créé par la Gantieirelo, lors du jumelage Millau-Louga. L’on sait la part que l’ancien député-maire de Millau, Charles Dutheil, prit à ce mouvement international.

« Plus localement et plus tard, il écrivit les paroles de l’Hymne des 100 km sur une musique de Robert Angles.

Raoul Dhombres obtint le prix Edouard Herriot pour l’ensemble de son œuvre littéraire. Il était aussi chevalier du Mérite et officier des Palmes académiques » (d’après Jacques Cros-Saussol, Midi-Libre, 26 janvier 2009). C’est dans le quartier enchanteur de Millau, tout au bout de la rue Paul Delmet, au pied du pic d’Andan que s’est endormi pour toujours le 16 janvier 1989, Raoul Dhombres, celui qui transcrivit amoureusement, en cascades d’eau vive, les mille et une fusées, rapides comme l’éclair des truites futées et insaisissables. Ses obsèques au temple de Millau, réunirent, dans la sobre ferveur réformée, nombreux de ses fidèles amis.

Par décision municipale, la ville de Millau a donné son nom à une impasse dans le quartier de Bellugues (décision du 28 mars 1995).

Marc Parguel

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