Sous l’arcade des bergers (Causse Méjean)

Marc Parguel
Marc Parguel
Lecture 9 min.
DR

[dropcap]L[/dropcap]’Arcade des bergers se situe à 3,5 km en amont de la commune des Douzes. On la voit très nettement en levant les yeux depuis la D996 dans la vallée de la Jonte. Elle est signalée par un panneau en bordure de route. E.A. Martel l’évoque dans son ouvrage sur les Causses Majeurs (1936) : « En continuant la remontée de la Jonte, on aperçoit la Baume obscure percée de part en part ; plus loin une fine arcade paraît prête à tomber sur la route ».

Cette magnifique arche, véritable monument naturel domine les Gorges de la Jonte. Elle est, pour certains randonneurs la plus belle, la plus élégante des  Causses, façonnée par les eaux de la région.

Vue de l’arche depuis la D996. (DR)

D’autres noms lui ont été donnés, celui tout simple « d’Arcade de la Jonte », mais aussi celui de « la Montagne percée » en raison qu’elle ressemble étrangement à la pierre percée, curiosité géologique que l’on peut voir en Isère (plateau de la Matheysine). 

Carte postale (DR)

Son nom actuel vient du fait que des bergers y venaient autrefois, empruntant des sentiers vertigineux avec leur troupeau. Une légende s’y rattache aussi, nous allons y revenir. Si les sentiers qu’empruntaient les bergers sont maintenant en partie effacés, des vestiges du passé sont encore bien visibles pour nous témoigner de leurs passages. Une baume est située non loin de l’arcade dans le ravin de l’ouest avec sa belle muraille en pierres sèches qui barrent son entrée. Ce vaste abri qui mesure 10,50 mètres dans sa plus grande longueur pour une hauteur de 3 mètres en moyenne servait de bergerie.

La baume de l’arcade des bergers. (DR)

Une autre baume moins spacieuse (8 mètres de développement) mais plus ajourée, se situe en contrebas. Un mur très visible occupe la partie inférieure du porche d’entrée. Celle-ci fut visiblement aménagée en raison de la source qui s’y trouve toute proche. L’eau étant si précieuse, une petite auge carrée en pierre se trouve également près d’un ruisseau à sec.

Remontons vers l’Arcade et arrêtons-nous quelques instants. Elle mesure environ 7 mètres de large. Bien entendu, elle ne pouvait laisser insensibles nos conteurs locaux qui y situent la relique du fameux pont dû « aux trois fadarelles ». Le récit des trois fées de la Jonte nous est conté ici par Roger Lagrave (1923-2021) qui m’avait envoyé il y a trois ans, une brochure intitulée tout simplement « Le Causse Méjean »

© joedream, 25 juin 2020

Les trois fées de la Jonte

Ils s’étaient rencontrés à la loue des bergers, qui, à la Saint-Michel, se tient à Meyrueis et où se retrouvent patrons, moutonniers, et bergers, des causses voisins ; et aussi les demoiselles qui, en âge de se marier, veulent se faire voir.

Lui, Jeantou, était berger à Hyelzas sur le Causse Méjean et elle, dont j’ai perdu le nom, était servante du côté de Veyreau sur le causse Noir.

Entre Méjean et le Causse Noir, vous le savez, il y a les gorges de la Jonte, avec un seul chemin pour aller de Hielzas à Veyreau…un chemin  bien long et fatigant à travers les combes de Marty, la Jonte qu’il faut traverser sur une planche, le ravin de la Castelle, mais notre Jeantou, tous les dimanches après la messe, prenait ce chemin pour retrouver sa mie dans sa belle robe de printemps.

DR

Un dimanche, Jeantou était resté auprès d’elle plus longtemps que d’habitude, et lorsqu’il prit le chemin vers Hyelzas, la nuit le surprit lorsqu’il traversa la Jonte. A tâtons, dans une nuit trop noire et une pente trop raide, il préféra passer la nuit dans la « grotte du pauvre », il se roula dans son manteau de berger, s’allongea sur le sable jaune du fond de la caverne. 

Aux premiers chants d’oiseaux du matin, il se réveilla et pour se rafraîchir un peu, il alla à la source du Roucadel. Et là, se frottant les yeux, il vit près des amélanchiers en fleurs, nues et riant comme des folles en se disputant l’eau du rocher, trois jeunes femmes comme en or, trois « fades » sans doute ! Les trois fées dont sa grand-mère lui avait parlé autrefois, lorsqu’elle allait garder par ces « travers » et dont il fallait se méfier.

Aussi surprise que le berger, l’une des fées lui dit : « Tu ne dois jamais raconter ce que tu vois ici ce matin. Ce doit être un secret entre nous ; et pour toujours. Mais pour te récompenser du silence que nous te demandons, nous voulons bien, puisque nous avons le pouvoir des fées, exhausser l’un de tes désirs. Fais un vœu et nous le réaliserons ».

Jeantou pensa de suite à ce chemin entre ces deux causses, si pénible, ce chemin qu’il faisait tous les dimanches et qui le séparait si cruellement de sa mie.

« On n’efface pas un chemin, bon ou mauvais » dit la plus jeune des fées. Mais la fée aînée, plus expérimentée proposa de lancer un pont, par-dessus les gorges de la Jonte entre les deux causses.

« C’est cela, dit Jeantou, tout exalté, un pont allant du bord du causse au bord d’en face. Plus besoin alors de descendre pour remonter. Oui, un pont voilà ce que je souhaite »

« Puisqu’ainsi est ton souhait, nous le réaliserons, dit l’une des fées, mais à une condition : tu ne dois rien dire, rien à l’auberge, rien dans les veillées, rien au café à la sortie de la messe, rien à personne ! Ni à ta mie ni à ton patron. Rien à Hyelzas, rien à Veyreau. Absolument rien. Si tu en disais la moindre parole, le pont serait en grand danger et nous avec. »

L’affaire fut conclue ainsi.

Tandis que Jeantou regagnait Hyelzas, les fées se mirent à l’ouvrage. D’abord pour y accrocher leur pont, elles choisirent l’arcade qui faisait promontoire par-dessus la Jonte, puis, abattant et ajustant les troncs de chênes rouvres, poussant nombreux sur la pente, elles entreprirent le pont.

Vue plongeante sur l’arcade des bergers © Guy Chalmeton

Chaque soir, après avoir terminé son travail, il venait vérifier l’avancée du pont qui s’élançait bien dans les airs, traversant peu à peu les gorges, léger, mais solide, soutenu dans le vide par magie : un pont de fée.

L’envie d’en parler le démangeait, mais il se souvenait du silence demandé et gardait fermement le secret.

Le pont terminé, aérien, et se balançant comme une toile d’araignée entre les deux hautes rives, Jeantou ne put s’empêcher de pousser un cri de joie, un cri que les hautes falaises se renvoyèrent de l’une à l’autre en un long écho qui se prolongea longtemps dans les gorges. 

Le pont s’abattit dans un fracas énorme.

Jeantou, courut, comme un fou, vers la source pour retrouver les fées et s’excuser pour la promesse non tenue, mais les trois fées s’étaient figées en trois rochers que l’on peut encore voir, pierres grises dont la plus petite était la plus jeune des fées.

Cette légende est ancienne. Elle a été contée à Armand Pratlong (1924-2015) par son père en 1936. Afin que cette histoire ne soit perdue, Roger Lagrave l’a retranscrite dans une brochure qu’il m’avait fait parvenir il y a trois ans, et qu’il m’a été agréable de vous raconter aujourd’hui.

Marc Parguel

Partager cet article