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Patrimoine millavois. La plaine des Ondes

Le quartier des Ondes, situé à l’ouest de Millau et s’étalant largement au bord du Tarn portait autrefois le nom de Paulelas (1347). Le nom de « Paulelas » viendrait des marécages d’après L. Massip (Journal de l’Aveyron).

À l’image du bas quartier de Cantarane, sujet aux inondations où les grenouilles pullulaient au Moyen âge et faisaient entendre leurs bruyants et peu harmonieux coassements, d’où le nom de « cantarane » (cantare : chanter ; rana : grenouille), la plaine des Ondes tire son nom des flots, de l’eau qui jaillit en bouillonnant (de Óundo : onde, flot, eau agitée. L’óundo emprisounádo, l’onde emprisonnée, d’après le dictionnaire patois-français, d’Aimé Vayssier, 1879).

L’implantation de la zone industrielle sur cet espace a bien transformé le caractère jadis bucolique de cette plaine dont le nom seul, porté au cadastre, aurait pu mettre en garde nos compatriotes bâtisseurs des dangers d’inondation qu’on y déplore trop souvent et tempérer leur soif de constructions. Il semble désormais, avec la création des jardins partagés sur une superficie de 2700 m 2 que la vocation première de la plaine des Ondes propice à la culture des légumes et des arbres fruitiers reprennent sa destination initiale.

Ces « jardins partagés » en quarante parcelles permettent depuis avril 2022 aux cultivateurs du dimanche de profiter d’un lopin de terre sur une terre propre où sera « interdit notamment l’usage de produits phytosanitaires ».

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Les jardins partagés © Millavois.com

Il y avait sur le terroir des Ondes autrefois un moulin : lo moli de las Ondas, que nous trouvons mentionné dans un acte de 1236.

En 1275, noble Brenguier Durand reconnaît tenir du comte de Rodez, vicomte de Creyssels, « le terroir et repaire de las Ondas » et autre appelé de Prodéjac, sous l’albergue de deux sergents (Archives du comté de Rodez).

Dans ses « documents sur la ville de Millau » (1930), Jules Artières cite cette transaction avec le Vicomte de Creissels en 1325 : « Instrumen de accordi am Moss. Lo Vesconte. Item y a ung instrumen de accordi et transhactiou fach entre los messenhors Cossols de Melhau de una part et moss. lo Vesconte de Creycelh d’autra, per loqual apar cossi fonc accordi de certanas cessas degudas per alcunas vinhas situadas a las Ondas, de lasqualas es facha mencio en lod. Instrumen passat l’an M CCC XXV »

Le moulin des Ondes qui existait encore en 1342, était grevé d’une redevance curieuse : le propriétaire était tenu de donner chaque année la moitié d’une rose au couvent des sœurs Minorettes de Millau (minutes des anciens notaires de Millau, les Moulins de Millau, 1992).

Toujours en 1342, un pré proche le moulin des Ondes, confrontait le chemin public de Millau à la Croix de Calès.

Durant des siècles, cette plaine des Ondes était alors, à peu près nue, ne voisinant qu’avec la ferme de Calès, elle était occupée surtout par des jardins maraîchers. Les berges du Tarn n’étaient qu’un terrain vague où, parmi les graviers végétaient de maigres « abicasses ».

La traverse des Ondes part de l’avenue de Calès au chemin des ondes (voie publique n° 103, longueur 240 mètres sur 5 à 6 mètres de large).

Le chemin des ondes (voie publique n° 102) partait de l’avenue du Pont Lerouge à la propriété Soulayrol (Longueur 700 mètres sur 2 à3 mètres de large). Un bac a fonctionné dans ce quartier de la destruction du pont vieux à la construction du pont Lerouge.

Vue générale avec la plaine des Ondes sur la gauche en 1904

Le bac des Ondes

Quand le pont vieux fut détruit par la crue le 8 janvier 1758, on y installa deux bacs qui fonctionnèrent tant bien que mal jusqu’à la construction du Pont Lerouge. Un à la Maladrerie et l’autre aux Ondes. Appelé « la barque basse », en aval du Pont (aux rivages des Ondes et du Théron) disent les documents de l’époque, cette barque était interdite aux véhicules.

Ceux-ci utilisaient obligatoirement la « barque haute », installée à peu près à l’endroit où plus tard s’élança le pont suspendu, dit « pont de fer ».

Ces deux bacs connurent de nombreuses avaries : le 5 octobre 1758, le bac s’étant échappé de la corde qui le tenait ne s’arrêta qu’à Creissels. Il y eut trois noyés. Un mois après exactement, le 5 novembre périrent noyés cinq marchands du Languedoc et un du Millavois. Ce nouvel accident jeta l’épouvante et la terreur. La méfiance naquit. Plus personne ne voulait se hasarder à emprunter le bac. Le petit bac des Ondes, touchait le fond de la rivière à la suite de plusieurs crevasses, le 21 août 1760. Un courrier spécial s’empressa d’aller quérir un spécialiste, très loin de la ville pour le restaurer.

Mais un nouvel hiver revint, et avec lui la montée des eaux. Début novembre, c’est le grand bac de la Maladrerie qui est emporté jusqu’au-delà de Peyre par une forte inondation. Inutile de dire combien il est endommagé par les grands coups reçus, avant d’échouer piteusement sur le rivage.

Pièce par pièce, le bac est démonté, sous la surveillance de Domergue, bourgeois et d’Étienne Champels, serrurier. Le tout est porté sur le chantier de reconstruction aux Ondes, à côté du petit bac. Cet emplacement de « la barque haute » à la Maladrerie fut vivement critiqué. Pourquoi ne pas placer les deux aux Ondes ? À cette interrogation, l’on préfère investir dans une corde plus solide qu’on commande au cordier millavois Valès. De plus des pontons seront placés pour faciliter l’accostage du bac.

Alors que celui de la Maladrerie était enfin rétabli, le petit bac des Ondes alla se briser lamentablement sur un îlot du côté de Creissels.

Vue générale des Ondes

Le 6 décembre 1763, Jean Bourles, boulanger devient adjudicataire pour trois ans. En 1768, au mois de mars, la communauté se déclare très satisfaite de l’activité et de la vigilance de Jacques Oustrières, le jeune fermier des bacs, qui vient de reconstruire le bac des Ondes. C’était un excellent batelier, indispensable au passage des bacs, surtout en temps d’inondation (crue spectaculaire de novembre 1766, où le Tarn s’éleva à 8m77).

En novembre 1766, le gravier s’étant amoncelé aux Ondes et gênant l’abordage, on dut procéder à un dragage. Suite à l’inondation, le chemin de communication du faubourg du Pont avec le bac inférieur ne montrait même pas l’ombre d’un vestige. Doléances des habitants de ce quartier : « Nos auberges ne sont plus achalandées, les étrangers allant loger dans d’autres auberges étrangères au faubourg. »

Le temps passe. Nous voici en 1777 et le rôle de « batelier expérimenté » se perpétue dans la famille. Cette année-là, un Joseph Oustrières est adjudicataire « homme de l’art en batellerie ».

Depuis dix-neuf ans, Millau n’a plus de pont en aval de la Dourbie. En novembre 1779, le fermier des Bacs, Oustrières, a perdu à cause d’une crue considérable, quantité de cordages et de chevrons. (délibérations communales, B. B. 20 1772-1787).

Trois piles et trois arches du vieux pont disparaissent victime des crues, rien n’est fait pour sauver ce qu’il reste. Pire, prévenant des dangers à venir, le 2 mai 1790, il est décidé de faire fermer « à chaux et à sable » le porche de la grande tour placée sur le pont après la troisième arche.

Les Ondes vers 1860

Le bac des Ondes et ses installations d’accostage se détériorent aussi de plus en plus. Des plaintes parviennent à la Maison Commune, où M. de Bourzès nouvellement élu maire, se rend en personne aux Ondes pour constater que ce petit bac ne fonctionne plus. Il traverse le Tarn sur une barque pour s’apercevoir que de l’autre côté, les installations ne sont pas meilleures.

Les pièces de bois, notamment servant à tendre le câble, sont en très piteux état. Plusieurs semaines après, le 25 janvier 1791, malgré toutes les menaces municipales, le bac des Ondes n’est pas réparé. L’on parle de poursuivre les trois adjudicataires : Jacques Oustrières, Félix Hortolan et François Pradet, devant les tribunaux compétents (délibérations communales, B. B. 21 1787-1791).

La période révolutionnaire n’arrangea pas la situation. Des plaintes cette fois-ci des adjudicataires se sont entendre : le 8 mars 1794, l’adjudicataire des bacs, Joseph Oustrières, demande un dégrèvement en raison des pertes éprouvées par le passage gratuit, presque continu, des troupes républicaines, équipages et bestiaux. Ces passages, particulièrement encombrants, ne manquent pas également de dégrader les bacs.

Même doléance pour le bac de la Maladrerie, où le 23 mai 1794, le Maire Fajon en train de se restaurer reçoit la visite du batelier tout essoufflé, avec un morceau de la corde qui reliait le bac au câble de traversée. Aucun doute possible, cette corde a été coupée avec un instrument tranchant. Une enquête fut ouverte afin que le coupable soit retrouvé et sévèrement puni. En attendant, l’on réquisitionne ouvriers et manœuvres pour remettre le bac en place.

En 1805, le conseil municipal lança à son profit l’adjudication des deux bacs. Celui de la Maladrerie desservant la route de Millau à Lodève avait 16 mètres 18 sur 4 mètres 20. Celui des Ondes au service de la route Millau-Saint-Affrique mesurait 15 mètres sur 3. L’on demandait aux adjudicataires de n’employer que « des bateliers âgés d’au moins 21 ans, de bonnes vie et mœurs, discrets envers le public et bien au fait de la navigation ». Les ingénieurs des Ponts et chaussées étaient tenus à deux inspections l’an. Étienne Prévôt, aubergiste devint adjudicataire détrônant pour la première fois la lignée des Oustrières (Délib. Municipales 1D 27 1799-1811), mais neuf ans, plus tard, Jean Oustrières, batelier et meunier de Millau reprendra la responsabilité des bacs jusqu’à la construction du Pont Lerouge dont la première pierre fut posée le 18 juin 1818. Les jours des deux bacs étaient comptés.

Ainsi, le 31 décembre 1820, Louis Montels, appariteur municipal signifia à Jean Oustrières, de ne plus passer qui que ce soit, l’inauguration du Pont Lerouge étant prévue pour le 1er janvier 1821.

En 1843, la propriété des Ondes était en vente comme nous le rappelle cette annonce parue dans le journal local l’Écho de la Dourbie dans son édition du 3 décembre :

Extrait du journal l’Écho de la Dourbie, 3 décembre 1843

C’est dans ces vastes étendues qu’on retrouva le corps d’un infortuné, un matin de décembre 1849 : « Samedi dernier (8 décembre), le nommé Louis Loubière, ouvrier mégissier âgé de quarante-deux ans, a été trouvé mort dans un champ dit des Ondes, près de Millau. M. le procureur de la République et M. le juge d’instruction, accompagnés de M. Pougens, docteur-médecin, se sont rendus sur les lieux, pour procéder à la levée et à l’examen du cadavre. Il a été constaté par l’autopsie que Loubière a succombé d’un épanchement dans le cerveau. Ce malheureux, atteint d’aliénation mentale, avait disparu de son domicile depuis quinze jours. Le vendredi, on l’a vu errer dans les environs de Millau. Il est à présumer que le froid et le défaut de nourriture ont déterminé le désordre cérébral qui a occasionné la mort » (L’Écho de la Dourbie, 15 décembre 1849).

Un lieu prisé des baigneurs

La situation privilégiée du quartier des Ondes attirait bon nombre de Millavois, mais la baignade n’était pas sans danger comme nous le rappelle cet article paru en juillet 1852 : « Dimanche dernier (11 juillet), vers cinq heures du soir, quatre enfants se trouvaient sur les bords du Tarn, au quartier des Ondes. L’un d’eux, nommé Jacques Barbier, âgé d’environ quatorze ans, fils d’un marchand de parapluies de cette ville, défié par ses camarades, voulut leur prouver qu’il savait nager. Il se dépouilla de ses vêtements et se jeta à l’eau ; mais ce malheureux fit de vains efforts pour lutter contre la rapidité du courant : il fut entraîné et disparut. L’alarme fut donnée. M. le substitut du procureur de la République et la gendarmerie se rendirent immédiatement sur les lieux. L’eau était devenue tellement trouble, par suite des derniers orages, que les recherches faites dans la rivière n’amenèrent aucun résultat. Le cadavre de l’enfant n’a été découvert que mercredi soir, près de Saint-Rome-de-Tarn. » (L’Écho de la Dourbie, 17 juillet 1852).

Les noyades de plus en plus nombreuses et le laisser-aller de certains amenèrent la municipalité à prendre les mesures nécessaires : « Le Maire de Millau rappelle à ses concitoyens les dispositions de l’arrêté municipal, en date du 5 juillet 1855, sur les bains des rivières ainsi conçu :

Art.1. Il est défendu aux hommes et aux jeunes garçons de se baigner dans la rivière du Tarn, depuis le ruisseau de la Cabre et le quartier des Ondes.

Art 2. Les femmes et les filles ne pourront se baigner que dans la partie comprise au-dessous dudit ruisseau de la Cabre et le quartier des Ondes.

Art 3. Il est formellement interdit de se baigner, sans caleçons, dans les rivières du Tarn et de la Dourbie ainsi que de se livrer à aucun exercice contraire à la décence et à la morale publique.

Art 4. Les contraventions au présent arrêté seront constatées par procès-verbaux et poursuivies conformément aux lois. Le maire de Millau, Achille Villa » (L’Écho de la Dourbie, 9 juillet 1864)

Jusqu’à la fin du XIXe siècle, la plaine des Ondes garda son côté banlieue rurale, où l’on ne voyait que quelques fermes ou maisonnettes isolées. Dans l’une d’elles, Marie Anne Elisabeth T., ménagère, âgée de 38 ans, fut condamnée à 10 francs d’amende pour avoir mis en vente une certaine quantité de lait falsifié par addition d’eau (condamnation du 22 février 1866) citée dans l’Écho de la Dourbie, 10 mars 1866.

La plaine des Ondes vit apparaître ses premiers grands édifices en 1896. Cette année-là, les Sœurs de la Sainte Famille de Villefranche fondèrent à Millau, avenue de Calès, en bordure de la voie ferrée, le couvent du Bon Pasteur autrement dit Refuge.

Cette œuvre charitable et moralisatrice a pour but la préservation des jeunes filles qui seraient exposées à se perdre, dans le monde et le relèvement de celles qui seraient tombées. Encadrées et entourées des sœurs, ces personnes vulnérables sont occupées à la vie du domaine, tâches ménagères, entretien, lavage du linge et jardinage. Il y fut adjoint l’école Sainte Emilie de Rodat. Les bâtiments du « Refuge » devinrent ensuite « le Bon Pasteur » puis « les Charmettes ». C’était un édifice très isolé sur la route de Calès.

Un projet de vélodrome

Le cycle millavois

En 1897, le Cycle millavois qui venait d’être fondé avait lancé le projet enthousiaste d’un vélodrome. Voici ce qu’on pouvait lire dans le Messager de Millau en date du 27 mars de cette année-là : « Nous recevons d’un de nos amis, vétéran de la pédale, l’aimable communication qui suit :

Cher Ami,

Ne vous êtes-vous jamais demandé, cher ami, pourquoi notre ville si peuplée ne possédait pas un Vélodrome ?…Comment un entrepreneur quelconque n’a-t-il pas eu l’idée d’acheter ou louer un mauvais champ, pour y aménager 3 ou 400 mètres de tour cyclable, sur un sol convenablement affermi ? Il aurait mis, à l’entrée de son manège impromptu, un guichet ouvert pour recueillir un modeste pactole, alimenté par les cyclistes qui y seraient allés bravement de leur 50 centimes ou même 1 fr. pour vélocer en paix et à pédale que veux-tu ! Cet intelligent spéculateur de l’« agitation humaine » aurait pu installer une baraque dans l’un des coins de cette ébauche de vélodrome.

Son logement en plein air, le bénéfice des consommations servies ajoute au rendement des entrées, voilà des profits ignorés qu’on aurait pu effectuer depuis longtemps déjà. À quel taux serait parvenu un modeste capital, ainsi utilisé ! Vous êtes certainement de mon avis. Cela va donc vous engager à faire à ces réflexions les honneurs de vos colonnes » (Article signé, un ancien).

L’endroit idéal fut projeté dès l’année suivante dans cette étendue bien plane des Ondes sur le terrain Carrière, mais entre l’idée et la réalisation, le pas ne fut pas franchi.

L’établissement Buscarlet

Peu après, les bâtiments des Gants Buscarlet prirent place dans les premières années du XXe siècle.

Maurice Artières, fils, créa l’usine de colle-gélatine au début des années 1870. C’était une fabrique d’albumine : le jaune pour la brillance de la peau et le blanc, que l’on faisait sécher pour en faire de la poudre, pour le tannage. Auparavant au Pont de Fer, ce n’est qu’en 1907 que la manufacture s’installa aux Ondes. Certains n’en gardent pas un des meilleurs souvenirs olfactifs, selon le vent, les odeurs nauséabondes des « colles Artières » faisaient pincer le nez et grincer les dents des habitants.

Depuis longtemps le quartier des Ondes a perdu son caractère de banlieue rurale. Entièrement urbanisée

Limitée par l’avenue de Calès et la rivière du Tarn, la zone industrielle des Ondes supporte de nombreuses usines ou ateliers qui, à la suite de la ganterie Buscarlet, de l’usine des colles Artières, se sont groupés pour former un ensemble très actif. On y voyait aussi Miquel puis les fils de Jules Prévôt, puis Marcel Alric. Avec la création des jardins partagés, ce quartier retrouve désormais un peu de sa fonction des temps passés.

Marc Parguel

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