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Patrimoine Millavois : A propos de la statue disparue de Malbrough

En 1863, au bas de l’avenue de la République (ex-avenue de Rodez), les promeneurs de la Monte pouvaient voir un personnage en plâtre d’une hauteur de 0,92m, surmontant une cheminée de l’ancienne maison Planard. Ce monument de petites dimensions que les Millavois appelaient « Malbrough » attirait les regards, il représentait le général anglais Marlborough (1650-1722)  trônant sur cette longue bâtisse (11 fenêtres de façade à chaque étage) construite peu avant qu’éclate la Révolution française et depuis en partie masquée par d’autres constructions comme celle de la Banque du Crédit Lyonnais.

Le toit de la Maison Planard en partie masquée. (DR)

 En août 1863, on pouvait lire : « Du haut de sa cheminée qu’on lui a donnée pour piédestal, le grand Marlborough contemple d’un œil indifférent cette foule compacte, tantôt bruyante, tantôt calme qui paraît heureuse de se livrer au plaisir de la promenade. S’il pouvait parler, le grand homme, il nous dirait combien de billets doux ont été échangés entre jeunes gens et fillettes, et combien de serrements de mains ont été donnés et reçus sous ses yeux ; mais il est muet le pauvre et, depuis 52 ans qu’il est là, il n’a parlé qu’une fois, ce qui lui fit perdre son chapeau »

La Monte en 1930. (DR)

D’où venait cette statue ?

A cette question, Jean Legros, dans sa chronique parue dans l’Echo de la Dourbie, le 22 août 1863 nous apporte la réponse : « En 1810, le propriétaire de cette maison voulut un jour faire arranger une cheminée fumant mal. Il s’adressa pour cela à un jeune fumiste qui se chargea de la lui guérir. L’artiste se voulant mettre aussitôt à l’œuvre, monta sur le toit pour voir quel vent contrariait la fumée ; il y resta assez longtemps. C’était un jeune homme actif et intelligent, joignant à la profession de fumiste celle de fabricant de figurines en plâtre.

Pour utiliser son loisir, il se mit, tout en regardant les quatre points cardinaux, à confectionner avec de la terre glaise et du mortier un petit bonhomme de 3 pieds de haut, coiffé d’un chapeau gansé, et le planta sur la cheminée.

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Qu’avez-vous placé que ma cheminée, lui dit le propriétaire ?

C’est le grand Marlborough ; idée d’artiste.

Si c’est une idée d’artiste, je la respecte, autrement je ne vois pas trop ce que ce général anglais a a faire sur mon toit, n’importe, vous l’y avez mis, il y restera. »

La statue de Marlborough (illustration). DR

En ce temps-là, l’Avenue de la République s’appelait « l’Avenue de Rodez » et les Millavois de cette époque l’appelaient volontiers « lou Comy Royal ». Cette route n’avait pas du tout la configuration qu’on lui connait aujourd’hui. L’avenue était nettement plus large, bordée par des ormeaux, et les maisons bâties n’allaient pas jusqu’au Crès mais s’arrêtaient au niveau de l’actuelle Place Bion Marlavagne. Les trottoirs n’apparurent qu’en 1852. Forcément il n’y avait pas encore la barrière du chemin de fer, et quand on faisait la Monte, on grimpait d’une traite jusqu’au haut du Crès.

« Faire parler Malbrough »

A peine placée, le buste du général anglais attira les regards, et dès le lendemain de son érection, tous les gamins de Millau et autres personnes qui ne l’étaient pas admiraient le personnage qui trônait sur la cheminée et apprenaient qu’il se nommait Marlborough. C’était le héros d’une de leur chanson favorite : « Malbrough s’en va-t’en guerre, Mironton, mironton, mirontaine…Malbrough s’en va-t’en guerre, ne sait quand reviendra »

Il se trouvait que la très vaste façade de l’immeuble de Planard et celles des maisons lui faisant vis-à-vis, de l’autre côté de la Monte, avaient donné naissance à un écho très sonore, et c’était le jeu des gamins, en passant par là de « faire parler Malbrough ».

Pendant plus d’un an, chaque enfant qui passait tout près disait un mot au mannequin et faisait parler l’écho.

– Dis donc, toi, là haut, c’est bien Malbrough que l’on t’appelle.

– L’Echo répondait : Malbrough l’on m’appelle.

Et le gamin satisfait de la réponse s’en allait content comme le gascon a qui un écho répondit : Je me porte bien.

Marlborough continua d’occuper l’attention d’un certain public pendant quelque temps ; mais peu à peu son souvenir s’affaiblit, et en 1815, il était à peu près oublié.

Il continua cependant de veiller du haut de sa cheminée sous des chaleurs écrasantes, par temps d’orage, par temps de vent violent, rien ne semblait le faire fléchir.

Quand Malbrough perdit son chapeau (1815)

Portrait de Malbrough. (DR)

Sous la Restauration, un banquet royaliste eut lieu en plein air. La France fêtait le retour des Bourbons, et Millau fut du nombre. On chanta dans les rues des chansons de circonstances. Sous les grands ormes qui ornaient à cette époque l’avenue faisant face à la maison Planard, le banquet fut très gai et très convenable, et, tout en manifestant sa joie, le public qui le composait ne blessa personne.

La suite nous est racontée par Jean Legros : « On avait porté tous les toasts que l’on porte dans telle circonstance, et on ne savait plus à qui boire, lorsqu’un convive d’un esprit original proposa de boire à la santé de Malbrough, dont on voyait la statue en face.

Tous les convives chargent leurs verres, et celui qui avait fait la proposition, en élevant le sien, dit, d’une voix d’abord faible qui alla toujours en grossissant : Marlborough, nous buvons à ta santé ; puisse l’usurpateur dont nous avons confié la garde à tes compatriotes se tenir aussi tranquille à Sainte-Hélène que tu le fais sur ta cheminée, ce général audacieux et entreprenant s’est échappé de l’ile d’Elbe, mais de Sainte Hélène, jamais il ne reviendra !

Il reviendra, répond une voix sonore et accentuée. » 

C’était évidemment une facétie de l’écho, rendue plus explicable encore si le porteur de toast avait, par une incorrection familière assez courante, omis la négation « ne » après le mot « jamais ». Quoiqu’il en soit, beaucoup de convives, étrangers à la ville, connaissant mal les yeux ou tout simplement éméchés, s’y trompèrent.

Un frisson parcourt l’assemblée, les convives se regardent avec des yeux effarés et sans rien dire, la frayeur leur a coupé la parole, jusqu’à ce qu’un jeune du quartier ait montré du doigt le coupable.

– Oui, c’est Marlborough qui a fait parler son écho…

Reprenant leur courage, après avoir été vert de peur et repassant au rouge sous l’effet de la colère, les banqueteurs ou du moins certains d’entre eux dont les libations avaient été sans doute plus copieuses s’amusèrent à pousser des gamins à aller démolir le portrait de ce Marlborough qui leur avait causé tant d’émotion.

– Tu mérites jeune homme, une récompense ; tiens bois ce verre de bon vin et avec deux ou trois de tes camarades, montez sur le toit de la maison Planard et foutez moi Marlborough par terre, il mérite d’être puni.

Le gamin eut bientôt réuni 2 ou 3 camarades pour cette expédition : armés de bâtons, ils montent sur le toit et essayent de renverser le mannequin. Leurs efforts sont inutiles, ils parviennent seulement à lui faire tomber le chapeau et à lui couper le bras ; de guerre lasse, ils se retirent.

Il est possible que le propriétaire ou un occupant de la maison soit intervenu à temps pour sauver sa cheminée.

Il se peut aussi que, comme ce couvre-chef devait rappeler plus ou moins, par sa forme, le « petit chapeau » de l’Usurpateur abhorré, sa destruction ait suffi à apaiser les démolisseurs avinés. Quoiqu’il en soit, en 1863, c’est nu-tête et mutilée que le bonhomme continuait de contempler la jeunesse millavoise faisant la Monte.

Dans l’Avenue de la République, la Maison Planard en partie masquée. (DR)

L’immeuble Planard sera rebaptisé « maison Bonnefous » en 1866, où l’avoué Lacroix annonçait qu’il y transférait son étude. Toujours bien posée sur sa cheminée, Malbrough mutilée et sans chapeau continua a regarder passer les Millavois, puis il tomba dans l’oubli le plus complet. Sans doute lors d’une réfection de la cheminée, il a fini son existence dans un galetas ou qui sait, son propriétaire l’a envoyé à une casse définitive. Oublié des mémoires, il le sera encore plus lorsque l’immeuble sur lequel il reposait sera en partie masqué par de nouvelles constructions comme celle du Crédit Lyonnais (architecte Paul Victor Lacure) dont l’ouverture se fera le 1er juillet 1914, sous la présidence de M. Barbut, précédemment gérant à Alais, dans l’alignement de l’édifice de la Banque Villa (1872-1876) reconvertie depuis 1936 en Mairie.

Marc Parguel

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