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Les cafés de Massebiau

Au XIXe siècle, l’activité commerciale des foires et les échanges de toutes sortes se traduisaient par l’existence de nombreuses auberges, remises et autres relais. Les Millavois fréquentaient les petites auberges rurales pendant leurs jours de repos. Dans celles-ci, on servait le vin au litre ou au pinton. On y allait le dimanche matin après la messe et on y faisait bombance les jours de foire. Parmi les aubergistes les plus anciens, citons Besombes au Monna, Aldebert à Massebiau.

Les propriétaires de Plaisance, de Laumet, servaient à boire et à manger et représentaient l’industrie hôtelière. En 1858, l’Echo de la Dourbie du 7 août , nous informe que « sur les propositions de M. le sous-préfet, M. le préfet, par arrêté en date du 2 août, a ordonné la fermeture du cabaret tenu à Massebiau par le sieur Cluzel. » En ce temps-là, de nombreux cabarets dans la ville de Millau et aux environs étaient régulièrement fermés à cause des bagarres, du bruit et de l’argent dépensés trop abondamment par les jeunes.

Le café-restaurant de la gaieté

Avant d’arriver à Saint-Lambert, on trouvait le restaurant de la Gaieté, situé à une trentaine de mètres avant Beaulieu qui n’existait pas alors. Ce restaurant de la Gaieté était tenu par Castan – l’homme aux chapeaux aux larges bords ; on était sûr d’y manger une bonne friture de goujons ou de truites, une omelette, un poulet sauté, et tout cela pour deux francs.

Une bagarre survint à  la Gaieté le 3 janvier 1898 : « Lundi soir, M. Castan, maître d’hôtel à la Gaîté, sur la route du Monna, se prit de querelle avec trois individus qui se mirent à lui porter des coups. M. Castan ne dut qu’à sa force herculéenne de n’être pas tout à fait assommé par les agresseurs dont un pris la fuite, un deuxième dont le rôle semble avoir été moins agressif, n’est pas poursuivi et enfin le nommé Grégoire Jouanneau, âgé de trente ans, a été arrêté et mis à la disposition du parquet » (L’Auvergnat de Paris, 9 janvier 1898).

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Dans ses souvenirs, Albert Jonquet nous relate cette histoire : « Au sujet de Castan, je me souviens d’une petite anecdote qu’il faut que je vous conte. Castan faisait partie d’une bande de francs lurons qui étaient surtout ses clients. Dans cette bande se trouvait Hilarion Balsan, fabricant de gants, qu’on appelait « l’Américain » et sur lequel s’était établi la légende qu’il avait traversé les chutes du Niagara à la nage. Un jour, un voyageur qui était descendu à l’Hôtel de France, s’était assis au café des Deux-frères, situé en dessous de l’hôtel, lorsqu’il fut interpellé par Hilarion Balsan :

– Monsieur, allez quitter ce chapeau.
– Mais, Monsieur, répondit le voyageur, j’ai le droit de porter un chapeau, je suppose !
– Non, Monsieur, répliqua Balsan, il n’y a qu’une personne à Millau qui ait le droit de porter un chapeau à larges bords, c’est Monsieur Castan.

Le voyageur ne voulant pas démordre, Balsan passa aux actes. C’était un colosse de 1m90 de hauteur, un hercule. Il prit le voyageur par les épaules, le fit rentrer dans l’hôtel et lui dit gentiment : Allez déposer votre chapeau et ne revenez pas. Cette farce fut rapportée et bien entendu diversement critiquée. (La vallée de la Dourbie, L’Avenir Millavois, samedi 25 août 1951)

Continuons notre route jusqu’à Massebiau, à 4 kilomètres de Millau entre Causse Noir et Larzac. Banlieue de notre cité, Massebiau fut jusqu’au milieu du XXe siècle, le rendez-vous des pêcheurs du dimanche et des gantiers qui s’échappaient des ateliers et qui allaient à leur vigne.

Massebiau à la belle époque (DR)

Albert Jonquet nous servira de guide : « Il y avait le sympathique Père Besombe, qui habitait là (Massebiau) depuis certainement plus de 60 ans. Il est mort à un âge très avancé, ainsi d’ailleurs que sa femme ; ils jouissaient tous deux de la grande sympathie des gens qui venaient à Massebiau, car ils avaient ouvert un petit bistrot où l’on pouvait faire des repas frugaux et bon marché. En face cette ancienne chamoiserie se trouvait une maison qui devint très sympathique ; c’est là que vers 1895 s’ouvrit le Restaurant Lavabre. Monsieur Lavabre qui tenait déjà le café des Lilas, donna en peu de temps une certaine activité à ce restaurant qui fut fréquenté par les gourmets de Millau. Madame Lavabre était une cuisinière comme on en voit peu ; il faut avoir mangé chez elle une truite cuite au gras de jambon ou un perdreau à la catalane pour en connaître les délices. Monsieur Lavabre était le père du sympathique Pierre le faiseur de gants ».

Au début du XXe siècle, on trouvait à Massebiau un très bel établissement appelé Café-restaurant des Lilas. Le 5 avril 1909, le journal « le Messager de Millau » nous fit part de son agrandissement : « Le public est informé que le restaurant et café des Lilas, situé dans la magnifique vallée de la Dourbie, est ouvert depuis le 1er mars, le dimanche et le lundi. Une nouvelle salle avec terrasse très spacieuse y a été aménagée afin de permettre à un plus grand nombre de visiteurs de pouvoir jouir de ce splendide panorama. Cuisine excellente. En leur  temps, poissons et écrevisses toujours fraîches. Consommations de marque : bière et limonade. Spécialité de la maison : Vins blancs : Muscats mousseux, Tokay, Beaujolais. Cet établissement se recommande surtout aux familles aimant la bonne tenue et le confort. N.B : Indépendamment des jours d’ouverture indiqués, il est fait dans la semaine des repas sur commande. S’adresser au café des Lilas, 16 bd de l’Ayrolle » .

Pour ceux et celles qui n’avaient pas de véhicules, l’Indépendant Millavois, le 11 septembre 1909 nous fait part d’un nouvel avantage proposé : « Restaurant du Café des Lilas a Massebiau. A partir de demain 15 août et dimanche suivants, il sera fait un service d’omnibus entre Millau et Massebiau.

Départ du café des Lilas 1er départ, à 3 heures de l’après-midi
2e à quatre heures de l’après-midi
3e à cinq heures de l’après-midi
Prix des places : aller,  0 franc 30 centimes
Dernier retour de Massebiau : 9 heures et quart.
Au restaurant du Café des Lilas, dans l’après-midi Grand Bal
Cuisine recommandée. Bière et limonade très fraîches ».

Et on savait se vendre ! « Le restaurant des Lilas met à la disposition des gourmets millavois, sa salle spacieuse, sa grande terrasse d’où l’on aperçoit le splendide panorama de la vallée de la Dourbie et du confluent de cette rivière avec le Tarn. Ils sont assurés d’y trouver tous les dimanches et lundis du poisson et des écrevisses de première fraîcheur, une tenue irréprochable, une cuisine confortable et excellente. Indépendamment des jours indiqués, il fait dans la semaine des repas sur commande. S’adresser au Café des Lilas, 16 boulevard de l’Ayrolle – Service de voitures. » (L’indépendant Millavois, 20 août 1910).

La passerelle et le rocher du Lion en arrière plan (DR)

On y jouait aux cartes, et à ce sujet voici une anecdote qui me fut raconté il y a une vingtaine d’années : En face de Massebiau, côté Larzac il y a un grand rocher que les massaboviens appellent communément « le rocher du lion », ce dernier est repérable, car à son plus haut niveau, il y a une énorme ouverture, une entrée de grotte d’où l’on doit avoir un magnifique panorama sur Massebiau. Les plus anciens se souvenaient y être descendus avec une échelle de corde, de dessus. Au café-restaurant, il était de coutume dans nos campagnes de jouer à la belotte et de miser parfois de l’argent, parfois des terrains, et un beau jour, le propriétaire de ce grand rocher du lion qui était de la famille de Louis Balsan, misa sa grotte et la perdit à la belote.

Changement de propriétaire

L’Indépendant Millavois du 10 février 1912 nous informe que « M. Cornu a l’honneur de prévenir ses amis et connaissances qu’il s’est rendu acquéreur du Café des Lilas dont il a pris possession le 1er février courant . Le public est prévenu qu’un bal de famille aura lieu, demain dimanche, au café des lilas, ainsi que les 18, 19, et 20 février, les trois derniers jours du carnaval (L’Indépendant Millavois, 10 février 1912). Il ne semble pas que le café-restaurant fasse d’énormes bénéfices, l’organisation de fêtes et de bal démontre bien l’acharnement du nouveau propriétaire à faire prospérer son café.

« Restaurant des Lilas à Massebiau. Est recommandé aux personnes et familles aimant la bonne tenue et le confort, tous les dimanches, à midi, table d’hôte, au prix de 3 francs le repas, et le soir dîners sur commandes, au goût des clients comme par le passé.

Consommations de marques. – Cuisine bourgeoise renommée. Pour des repas dans la semaine, s’adresser au Café des Lilas, boulevard de l’Ayrolle. » (L’Indépendant Millavois, 30 mars 1912).

Concurrence

Comme partout il y avait de la concurrence :

Ouverture du Café-Restaurant du Pont à Massebiau. Bon vin, bonne cuisine. Grandes salles pour bal, noces et banquets. Consommations de marque. Prix modérés. Ecurie pour chevaux.

(Messager de Millau, 23 novembre 1912)

Firmin Manenq se rappelait de cette période : « Il y avait deux bistrots partout à l’époque. A Massebiau, il y en a eu jusqu’à trois. Les Millavois venaient. Ils faisaient la semaine anglaise. Nous autres qui venions de la campagne, nous ne connaissions pas cela. Mon père disait : « Quelles putes de Millavois, ils pensent qu’à faire la noce ! ». Ils venaient ici parce qu’il y avait un bistrot et faisaient ainsi la collation, ils mangeaient de la saucisse ». 

Panorama de Massebiau (DR)

En juin 1914, la salle du restaurant des Lilas sert aux réunions des habitants qui délibèrent pour la construction d’un pont à Massebiau, et puis vient la guerre et l’on perd trace du café des Lilas dans la presse. Il faudra attendre 1923, pour que le messager de Millau dans son édition du 24 novembre, nous apprenne que le propriétaire du café-restaurant : « M.Louis Besombes à l’honneur de prévenir sa clientèle que le restaurant de Massebiau a été transféré à côté du pont ». Un nouveau restaurant vient s’implanter dans la vallée de la Dourbie avant Massebiau, il s’agit du restaurant Beaulieu, ce dernier est présenté dans un encart publicitaire de l’Indépendant Millavois : Restaurant Beaulieu. M. Paul Galtier a l’honneur d’informer le public qu’il vient de prendre le Restaurant Beaulieu. Il se recommande au public pour sa bonne cuisine.- Terrines supérieures. – Truites tous les jours. – Bons vins de pays- Consommations de choix. Le meilleur accueil sera réservé au public.(L’indépendant Millavois, 15 février 1913)

On le retrouve dans le Messager de Millau sous la forme qui suit : « Restaurant Beaulieu site très agréable sur les bords de la Dourbie, à 1 km de Millau, cuisine recommandée. Dîners, collations, soupers, gibiers, truites, écrevisses, jambons et saucissons renommés du pays » (20 septembre 1924). Nous verrons qu’il fit la guerre au café restaurant des Lilas durant les temps de fêtes.

Le café restaurant des Lilas change une nouvelle fois de propriétaire et on le voit apparaître une dernière fois dans la presse le 31 juillet 1926, voici ce qu’on pouvait lire à l’époque dans le Messager de Millau : « Fête de Massebiau le 1er août. M.Caisso, propriétaire du café restaurant des Lilas, prévient sa nombreuse clientèle, qu’à l’occasion de la fête, des repas seront servis à toute heure sur commande ; les consommations seront fraîches et de premier choix ; le meilleur accueil est réservé aux visiteurs. Grand Bal. Le service d’autocar sera assuré par la St Jeantaise » (31 juillet 1926). Le café-restaurant des Lilas fermera définitivement ses portes quelque temps après.

Le café-restaurant de la Dourbie (1936). DR

Mme Kessler me disait au sujet des cafés qu’il y avait à Massebiau « Il y avait M. Besombes à côté du pont,son café ne tenait que dans une pièce, il ne l’a pas tenu longtemps, il l’a ouvert dans les années 1920.Ensuite mon père a ouvert un café en 1936, jusque dans les années 1942-1943, on n’avait pas un grand choix de boissons, car on n’avait que des petites licences.Ce café-restaurant s’appelait « Restaurant de la Dourbie ». En dessous du panneau on pouvait lire « Bière Montplaisir » sur une grande bande de tissu » (Entretien à Massebiau, 4 octobre 2004).

Marc Parguel

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