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Patrimoine millavois. La place Lucien Grégoire

Pour illustrer le sujet d’aujourd’hui, nous publions une vue datant du début des années 1930, d’un commerce de graines et fleurs, tenu par Alexandre Laurens situé au n° 6 de la place Lucien Grégoire. Sur le seuil figurent Mme Alexandre Laurens et sa petite fille, Mlle Portal. On remarque dans l’enseigne, l’étoile à six branches du Mérite Agricole, dont Laurens père était chevalier.

La placette Lucien Grégoire se situe entre la rue Droite (limitée par les porches) et la place Foch (couverte sud-ouest, limitée par les colonnades).

La place Lucien Grégoire

Cette minuscule place, anciennement connue sous le nom de « Place aux Fruits », et plus anciennement encore sous le nom de « Place aux herbes » est un petit rectangle, de 20 mètres sur 8. Elle est référencée comme « voie communale à caractère de Place n° 9, surface 200 m2 ». Pour certains, elle représente plutôt un élargissement de la rue droite avant d’arriver aux porches.

Dans le prolongement de la rue droite. ©DR

Son nom de « Place aux herbes » lui venait du fait que les maraîchers y portaient leurs produits les jours où le marché n’était pas tenu. Ensuite on l’appela « Place aux Fruits » jusqu’au début des années 1920.

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Annonce parue dans le journal « L’Écho de la Dourbie » 25 juillet 1868. © DR

Dans sa séance du 22 décembre 1922, le conseil municipal décida de la nommer « Place Lucien Grégoire », ce qui enthousiasma l’historien millavois Jules Artières : « Nous ne regrettons pas sa « débaptisation », puisque son nom actuel rappelle le souvenir du bon poète ouvrier, vrai troubadour du XIXe siècle, qui a chanté avec tant de cœur sa ville natale, l’auteur des chansons si populaires : Conten toutes en cur, Mihau ol trobal, Milhau en festo, etc. » (Millau, ses rues, ses places, ses monuments, 1924.)

Nous lui devons la plus populaire chanson des fêtes millavoises.

Lucien Grégoire vit le jour le 3 mars 1866 à Millau, rue du Corps-de-Garde (actuelle rue Pasteur), au sein d’une famille ouvrière de gantiers. Comme aimait à le rappeler Georges Girard : « Enfant studieux avant de devenir bon père de famille et ouvrier gantier lui-même, Lucien Grégoire formera avec Terral et Julié, une trinité de poètes-ouvriers millavois demeurés très populaires et qui ont maintenu notre langue » (Des rues, des hommes, 1987).

Il épousa Eugénie Célestine Valentin, à Millau le 29 novembre 1895. Il chanta sa profession, sa ville natale « sons egalo, sons ribalo » et aussi les personnages illustres de son époque. Comme son propre père, il travaillera dans cette industrie gantière qui constitua durant fort longtemps la principale ressource de notre cité.

Lucien Grégoire décèdera le 8 juin 1911, au 31 boulevard Richard à Millau, à l’âge de 45 ans, mais son souvenir, à travers ses chansons, reste présent chez bon nombre de Millavois. Ses mérites lui avaient valu d’être fait Officier d’académie, distinction très rarement accordée à cette époque à de simples ouvriers.

Une place commerçante. © DR

De tout temps la place Lucien Grégoire fut commerçante. Les vestiges des beaux immeubles qu’on y voit encore nous rappellent que la plupart des vieilles familles importantes de Millau y possédaient leur demeure, familles bourgeoises, ayant fait fortune dans le négoce.

Au n° 4 de la place

La Maison Renaissance (11 décembre 2021)

Voici la maison familiale des Malzac, orfèvres, au n° 4. Le faste s’affiche sur cette façade Renaissance (avec rampe de balcon XVIIIe siècle) Jean-Gabriel Malzac, orfèvre, épousa à la fin du XVIIIe siècle une demoiselle Vaissière.

La cinquième de leurs enfants, prénommées Clara, mais qu’on appela toujours Clarisse, y naquit le 26 novembre 1808. Cette maison avait été récemment acquise en 1806 par Malzac père des héritiers d’un avocat millavois, Louis Guiraud, dont les initiales L. G. se voient sur la belle grille du balcon de cet immeuble où Clarisse Malzac passa toute une vie marquée par la piété et la générosité.

Bienfaitrice, elle reportera son affection sur la vieille église toute proche de Notre-Dame de l’Espinasse à laquelle on doit le financement d’une belle mosaïque portant ses initiales, une cloche également porte son nom dans la tour octogonale. Elle fit énormément de dons également à l’hôpital-hospice (Hôtel Dieu). C’est dans cette demeure qui la vit naître de la place aux fruits que Clarisse Malzac devait décéder le 25 février 1890, dans sa 82e année.

Les initiales apparaissent sur le balcon en ferronnerie. © DR

La richesse ornementale de la façade de cette maison, dite « Maison Renaissance » ou « Maison des Malzac », donne à penser qu’elle fut très probablement construite par un marchand si on en juge par la boutique du rez-de-chaussée, qui servit, semble-t-il, à des orfèvres.

La maison s’ouvre par un portail cantonné de colonnes galbées toscanes. Elles soutiennent un fronton que l’adjonction du balcon du XVIIIe siècle a en partie masqué. D’après Alain Bouviala : « Les deux colonnes d’ordre toscan soutiennent l’entablement dorique. La corniche est agrémentée de cinq triglyphes et de métopes à fleurons. Un fronton triangulaire en assure le couronnement. C’est bien typique du néo-classicisme de la Renaissance, imitation de l’Antique. »

Le portail. © DR

Mais la maison se démarque surtout par la richesse de sa façade ostentatoire : l’encadrement des baies : de colonnettes cannelées reposant sur des consoles à volutes supportent l’entablement finement mouluré. Une rampe continue en fer forgé très ouvragée du XVIIIe siècle limitant le balcon : tout ceci représente un vrai travail d’architecture financée par une famille bourgeoise.

Cette splendeur masque cependant l’austérité de la partie intérieure. D’après Françoise Galès : « Au fond du couloir d’accès, un sobre escalier dessert les niveaux d’habitation. Occupant la totalité de sa parcelle (124 m2), la construction ne laisse place à aucune cour ou jardin d’agrément, l’esprit est à la rationalisation de l’espace ».

Au N°2 de la place

Le renard dévorant la poule au départ du couloir d’entrée

À l’angle sud-ouest de la place Foch. Maison Renaissance appelée « L’hôtel de la poule et du renard » ou maison dite de l’Amour, vocable dictée par des bas-reliefs romantiques. Cette demeure où se mêlent Gothique et Renaissance fut occupée par une famille d’orfèvres, les Taillefer. couloir voûté et sculpté (anges musiciens). Voir chronique Patrimoine Millavois : l’Hotel de la Poule et du renard.

Au coin sud-ouest de la place Foch, à l’entrée de la place Lucien Grégoire, sous une galerie, se trouvait au Moyen Âge, la Table ronde, Taula redonda. Voir chronique Patrimoine Millavois : La table ronde de Millau.

Avant de quitter les lieux, jetons un coup d’œil sur l’angle de la place, vers cette gracieuse tourelle extérieure. Comme le mentionne Alain Bouviala : « cette tour au faîte qui servit un temps de pigeonnier, dont on a occulté les trous d’envol, comme en témoignent la ceinture de lauzes en déport et le cordon vertical au centre, procédés pour empêcher les rongeurs grimpeurs.

La tourelle. © DR

Enfin, toujours côté place Lucien Grégoire, remarquons au niveau des colonnes, sur le tailloir du dernier chapiteau, l’ancienneté de ces érections et les initiales du sculpteur.

Date sur tailloir. © DR

Marc Parguel

 

 

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