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Patrimoine Millavois : Sur les pas d’Emilie Arnal (1863-1935) dans le Millau d’autrefois (3e partie)

Dans l’azur

A Paris, alors qu’elle professait le français et la littérature, elle se lia avec beaucoup de personnalités du milieu artistique et puisant son inspiration souvent dans les évangiles, elle suscita l’intérêt des écrivains par la puissance de son lyrisme. Georges Girard évoque le spiritualisme délicat de son œuvre et l’envolée lyrique de sa versification. Il ajoute : « Un critique d’alors écrit d’elle « qu’elle s’avère la muse française de cette poésie immatérielle et céleste, jadis préconisée par Platon ». C’est peut-être ce qui l’a empêchée d’atteindre un public plus étendu et fait apprécier de la seule élite. Elle planait trop dans l’azur. Comme Eugénie de Guérin, qu’elle affectionnait, elle aura maintenu sa poésie sur des cimes inaccessibles au commun et passé en ce monde en sauvegardant toute sa pureté » (Des rues, des hommes, 1987).

Publiant aux éditions Sansot, son premier recueil de poésie intitulé « Vers les sommets » en 1908, Auguste Dorchain, critique littéraire écrivait : «  On devine qu’elle n’est plus une adolescente, que sa jeunesse a déjà beaucoup pensé, beaucoup lutté, qu’elle a regardé la vie avec des yeux lucides et non à travers la vague illusion de celles qui ont eu tout le loisir de rêver en paix sans avoir jamais à confronter la réalité et le rêve.

Dans cette confrontation, la vie lui est apparue d’autant plus digne d’être vécue qu’il y avait plus d’obstacles à vaincre pour la vivre dignement. Aussi point de rêverie imprécise : une claire aspiration vers un très noble idéal fait d’amour s’il se peut, fait de renoncement s’il le faut ; une espérance inquiète, mais fervente ; une volonté généreuse ; une tendresse délicate enfin, et sans égoïsme, à laquelle il serait plus doux encore de donner que de recevoir » (Les muses  françaises, 1908). Ce premier recueil reçoit le prix Sully-Prud’homme.

Emilie Arnal (d’après le journal « Limoges Illustré » (1909)) DR

Elle publiera ensuite en 1909 un roman aux Editions Plon : Marthe Brienz. Un ouvrage qui a pour sujet l’histoire d’une courageuse jeune fille aux prises avec les nécessités d’une laborieuse existence, finalement brisée par les étroits préjugés de son époque. Ce roman a paru aussi en feuilleton dans le « Messager de Millau ».

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M. Boisguillaume dira de cet ouvrage : « Le talent de Mlle Arnal a toute ma sympathie. Son style est sobre, chaque mot porte et je sais tels passages, vibrants de passion contenue, qui pourraient fort bien la conduire à l’honneur des futures anthologies. Je la soupçonne même et c’est une sympathie de plus, de ne pas avoir fait œuvre impersonnelle et d’être de quelque manière la Marthe Brienz qu’elle nous a donné d’admirer.

Il me paraît impossible en effet, de traduire, et avec quelle intensité, les sentiments qu’elle a traduits, sans les avoir, ne fut-ce que brièvement éprouvés ; et s’il n’est pas là une presque autobiographie. Mlle Arnal est une imaginative d’une puissance et d’une vérité qui appellent l’unanimité des suffrages » (Limoges illustré, 15 décembre 1909)

Suivra la Maison de Granit, poème d’amour  publié chez Plon (en 1910). Cet ouvrage obtiendra le prix  Archon-Despérouses de l’Académie française en 1911.

Elle publia ensuite un nouveau recueil de poésie intitulé « Les chansons d’Aëllo » aux éditions Sansot en 1925 dont je possède un exemplaire dédicacé.

Dédicace du recueil « Les chansons d’Aëllo ». DR
Article de presse. (DR)

Ensuite, elle publia en 1927 un nouveau recueil de poèmes, d’une haute inspiration spirituelle : « Le Pays de Lumière » chez Plon.

Agé de 65 ans, elle publia un nouveau recueil de poèmes évangéliques et mystiques en 1928 chez le même éditeur parisien : ce sera l’Hôte divin. Cet ouvrage sera couronné par un nouveau prix de l’Académie Française.

Le château de Cureplats

L’heure de la retraite ayant sonné, elle voulut retrouver sa ville natale, dont elle avait gardé la nostalgie et qu’elle venait retrouver à chaque vacance scolaire comme elle aimait à le rappeler : « Je reviens chaque année au pays que j’adore. Ce qui ne change pas, c’est l’émouvant décor, c’est le contour des monts, aux couronnes de pierre, c’est le saphir du ciel, c’est la saveur de l’air, les raisins bleus, le miel des figues violettes.

Ce qui ne change pas, c’est la voix de l’automne dans les longs peupliers balancés par le vent, c’est le chant des grillons, le soir, dans la vallée, le bruit de l’eau, brisée aux arches des vieux ponts » (Extrait du texte : « Ce qui ne change pas »).

Avançant vers Cureplats, à la sortie du pont, elle lève ses yeux et son regard se porte vers deux grands bâtiments. A droite, l’ancien couvent de Notre-Dame-de-la-Salette, et à gauche la belle demeure de Cureplats appartenant aux tanneurs corroyeurs Baumevieille qui l’avait acquise des Chauchadis en 1881.

Vue du quartier Cureplats- La Salette. (DR)

Voyant la Dourbie couler à ses pieds, elle dit : « Cette eau me ferait peur quand elle vient si vite, et pourtant, j’aimerais habiter la maison qu’on voit au confluent des deux folles rivières. Elle est si retirée dans son nid de verdure ! On doit être si bien dans cette solitude pour évoquer la grande histoire du passé ! » (Extrait du texte : « L’eau pure du rocher »). Emilie Arnal acheta en 1928 aux Beaumevieille cette belle demeure de Cureplats.

La demeure d’Emilie Arnal à Cureplats. (DR)

Un dernier ouvrage de poésie vit le jour sous sa plume : Les Annonciateurs (1929).Véritable testament poétique reprenant une synthèse de toute son inspiration : la nature, l’amour, le divin.

En 1930, les félibres de la Basse-Auvergne lui ont décerné le prix de poésie pour l’ensemble de son œuvre. Elle collaborera à la Veillée d’Auvergne.

Dans son ermitage millavois, profitant d’une paisible, mais féconde retraite, elle se replongea dans ses souvenirs d’enfance avec « Un oiseau dans l’azur » (1932) dont de nombreux extraits ont été repris ici pour rallumer la flamme de sa mémoire. Son ouvrage commence ainsi : « Que c’est long et très court une existence humaine ! Que de jours ont passé dans leur fuite rapide, jours tout mouillés de pleurs ou fleuris d’espérance, depuis l’heure où j’étais une petite fille aux yeux pointillés d’or, aux lourds cheveux de soie, couleur d’ambre, de miel et de feuilles rouillées ! Et qui sait combien d’ans s’écouleront encore avant ceux du silence et de l’ombre éternels ! Je voudrais retenir un moment devant moi le divin souvenir de ces jeunes années où tout ne fut que joie, rayonnement, délice, lorsque je m’élançais au-devant de la vie comme un oiseau qui va se perdre dans l’azur ».

Comme nous le rappelait son ami Marc-André Fabre : « Enfant, Emilie Arnal, comme le prescrit l’Evangile, avait voulu le redevenir. Et c’est sans effort qu’elle avait retrouvé l’âme qu’elle avait lorsqu’elle portait des cheveux bouclés et des robes courtes et que les herbes folles du Levezou caressaient, au passage, ses jambes nues. A cette époque, on l’appelait Lili et sa vieille bonne Julie lui chantait, tout le long du jour, de bien jolies chansons que nous retrouvons dans le livre Un oiseau dans l’Azur et dont chaque mot rappelle au poète tant de souvenirs qu’il croyait avoir oubliés » (La Croix, 3 novembre 1935).

Cet ouvrage obtint le prix Fabien-Artigues de l’Académie des jeux Floraux de Toulouse.

Deux autres ouvrages devaient voir le jour, mais la santé chancelante de sa sœur cadette Lucie, ancienne religieuse de Notre-Dame fit avorter ces projets. Ainsi « le Dieu » drame lyrique en 3 actes ne verra pas le jour, pas plus que le roman « La fleur vivante ».

Elle alla chercher pour sa sœur, un autre nid de verdure, dans un petit château des environs de Toulouse :  le Fossat. Elle y rejoignit son cousin, l’éminent professeur de l’Institut Catholique de Toulouse, Mgr Louis Saltet, théologien et historien de grande valeur, millavois comme elle, et qui fut son exécuteur testamentaire.

C’est là qu’elle s’éteint le 7 octobre 1935. Selon ses volontés, elle a été inhumée à Millau, dans sa tombe familiale.

Le journal « La Croix » dans son édition du 3 novembre 1935 nous rappelle ses obsèques : « Le 10 octobre à eu lieu l’inhumation, au cimetière de Millau, de notre distinguée compatriote, Mlle Emilie Arnal. Le deuil était conduit par la famille, par M. le chanoine Saltet, de l’Institut catholique, et par M. le Dr Quézac, adjoint au maire de notre ville. » Ainsi, une âme éblouissante nous a quittés, sans bruit, tout comme elle avait vécu, une âme dont la dépouille mortelle désormais repose, selon le vœu qu’elle avait formé, dans le sein de cette terre millavoise si passionnément aimée :

Terre de mon berceau, terre de ma jeunesse, terre des clairs printemps de mes premiers beaux jours, Ah ! c’est toi que je veux pour abriter ma tombe, lorsqu’il faudra quitter ma trop chère maison, Et lorsque, douloureuse et plaintive colombe, Ma jeunesse aura dit sa dernière chanson … »

La ville de Millau l’honorera en donnant son nom à l’ancienne rue Bénézech, reliant l’avenue Gambetta à la rue de la Paulèle (décision du 10 janvier 1957).

Lors de la commémoration du centenaire de sa naissance, célébré avec quelques retards dans les premiers mois de 1964, une plaque de marbre a été apposée, par les soins du comité organisateur, sur  son humble tombe, nous rappelle les dernières phrases de son testament spirituel qui s’adresse à Millau : « Je ne vous verrai plus ô vallée, ô Montagne, mais je vivrai pourtant d’une vie plus secrète, silencieusement unie dans le mystère à tous ceux qui m’ont fait une âme avec leur âme, à mon pays, à mes amours, à mes ancêtres. »

La plaque au cimetière où le texte est difficilement lisible. (DR)

Mais malheureusement, les craintes qu’éprouvait Emilie Arnal à la fin de sa vie étaient fondées lorsqu’elle se confiait à son ami Marc-André Fabre : « Je ne survivrai pas longtemps dans la mémoire, de ceux que j’entraînais au rythme de ma voix » (La Croix, 3 novembre 1935).

Après 1964, seul Georges Girard l’a honorée dans son livre « Des rues, des hommes » en 1987.

Sa tombe abandonnée, et récemment désherbée par la municipalité porte sous le crucifix la plaque où désormais ses pensées sont illisibles.

Que cette humble chronique réveille en chacun de nous son souvenir, car plus que tout autre, Emilie Arnal, par ses écrits, sa culture, et par son amour pour notre ville fait partie de notre Patrimoine Millavois.

Marc Parguel

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