[dropcap]L[/dropcap]’affaire qui suit fit grand bruit, non seulement dans le canton de Nant, et l’arrondissement de Millau, mais aussi dans tout le département de l’Aveyron.
Le jeudi 10 août 1905, Mme P. et Mlle Louise C., âgées de 16 ans, du mas du Pré, commune de Nant, pêchaient tranquillement l’écrevisse dans le ruisseau du Durzon lorsque survint le nommé Louis G. Il faisait paître des bœufs à peu de distance et, très grossièrement, les somma de quitter les lieux, disant que l’on pêchait sur son terrain et qu’il s’y opposait.
Il les injuria et menaça de les frapper hurlant qu’elles pêchaient dans un ruisseau longeant un de ses prés. Ces dames se retirèrent en toute hâte, criant : « Au secours ! ».
Quelques instants après, croyant que G. était plus calme, Mme P. s’étant aperçue qu’elle avait oublié une balance dans le ruisseau, retourna pour aller chercher son matériel.
Plus furieux que jamais, G. fondit sur elle et la frappa comme un vrai fauve, celle-ci s’affaissa pour ne plus se relever. Il l’avait étendue, raide morte d’un coup de couteau. En effet, ce dernier atteignit la malheureuse femme au-dessous du sein gauche et pénétrant profondément entraîna une mort foudroyante.
Pendant ce temps, Mlle C. appelait au secours ; ses cris furent entendus par son père qui travaillait aux champs, non loin de là, et qui s’empressa d’arriver pour la défendre ; mais G., qui déjà voyait rouge, l’assaillit avant qu’il eût eu le temps de dire un seul mot et l’abattit en deux ou trois coups de son arme, puis il s’acharna sur lui et le larda avec une fureur incroyable. Atteint mortellement, C. expira quelques instants après. On a compté vingt et une blessures presque toutes mortelles sur le cadavre de ce malheureux.
Louise C., cherchant à défendre son père, fut aussi blessée de deux coups de couteau, comme nous le rappelle le journal de l’époque « Le Petit Parisien » dans son édition du 13 août 1905 : « Mlle C., en essayant de retenir la main du meurtrier, a reçu aux bras et aux épaules quelques enfilades sans gravité.
Après le crime, G. est rentré tranquillement chez lui ; il a été écroué à la prison de Millau » (Révoltante férocité, deux personnes tuées à coups de couteau. Pour quelques écrevisses)
On imagine dans quel état devait être la rescapée de ces horribles crimes. Quelques jours plus tard, on écrit de Millau :
« le magistrat instructeur vient de confronter Mlle C., le principal témoin du double crime avec G., l’auteur de l’attentat. Mais la jeune fille était encore en proie à une prostration morale telle que l’on craint pour sa raison. Elle a supplié le magistrat pour qu’on lui épargne encore cette confrontation, et le parquet a cru devoir déférer à ce désir.
Il résulte de l’enquête que si le prétexte de l’horrible attentat a été la pêche à l’écrevisse faite par les victimes sur le terrain du meurtrier, le véritable mobile était la haine que depuis longtemps le coupable avait vouée à la famille de ceux qu’il a égorgés.
L’assassin a fait des aveux complets et il a indiqué à la justice l’endroit où il avait jeté le coutelas dont il a frappé les victimes » (La Lanterne, 17 août 1905)
Le lundi 21 août, G., l’auteur de ce double assassinat, a subi un interrogatoire. À son arrivée, la foule millavoise l’a hué (L’Auvergnat de Paris, 27 août 1905).
La cour d’assise de l’Aveyron, dans son audience du 22 décembre 1905, fait comparaître, Louis-Gabriel G., né le 25 janvier 1856, au Mas du Pré, commune de Nant, propriétaire-cultivateur pour meurtres, coups et blessures volontaires.
La salle d’audience est comble comme au grand jour des causes criminelles restées célèbres dans les fastes judiciaires.
G. est accusé d’avoir le 10 août 1905 sur le territoire de la commune de Nant :
- Commis un homicide volontaire sur la personne de la nommée S. S., femme P. ;
- Commis un homicide volontaire sur la personne du sieur C., ledit meurtre ayant précédé, accompagné ou suivi le crime ci-dessus spécifié.
- Volontairement porté des coups et fait des blessures à la nommée Louise C.
Cette lecture terminée, il est aussitôt procédé à l’appel des témoins, quinze à charge et vingt à décharge.
Comme nous le rappelle le journal « Le temps » dans son édition du 26 décembre 1905 : « À l’audience, G. ne manifeste aucun regret de son double crime. Il se contente de dire qu’il a été provoqué et n’a fait que se défendre. De nombreux témoignages viennent confirmer qu’il était peu sociable et qu’il était même détesté dans le pays. Il n’a jamais eu néanmoins de démêlés avec la justice. Ses antécédents lui valent l’indulgence du jury et lui permettent d’échapper à la peine capitale ».
Les débats sont clos à minuit. Le jury rentre dans la salle de ses délibérations et demie-heure après en rapporte un verdict affirmatif.
Le verdict est négatif sur la question connexe à celle relative au meurtre de C. « ledit meurtre ayant précédé, accompagné ou suivi le crime ci-dessus spécifié ».
À la majorité, des circonstances atténuantes sont accordées en faveur de l’accusé.
Vu la réponse du jury, la Cour condamne G. Louis-Gabriel à la peine de quinze ans de travaux forcés.
Par un second arrêt, la Cour faisant droit aux conclusions de Me Raynaldy, condamne G., à payer à la famille C., la somme de 10 000 francs de dommages, qui seront ainsi répartis : 3000 francs à la veuve ; 7000 francs entre les quatre enfants. (Journal de l’Aveyron, 31 décembre 1905)
Marc Parguel