Causses et vallées

Veillées d’autrefois

La veillée est un élément important de la vie de nos aïeux, qui marque le besoin de la rencontre des hommes, qui souligne le sens de la solidarité, qui les unit et qui avec la messe dominicale constitue un aspect de la vie communautaire. Destinée à meubler les longues soirées d’automne et d’hiver, elle réunit des familles amies à tour de rôle chez l’une ou chez l’autre. De 16 heures, quelquefois un peu plus tard elle se termine vers les 22 heures, se prolongeant parfois jusqu’à Minuit.

Dans la vaste salle commune, les veilleurs sont assis en un grand demi-cercle devant le feu. Toute la veillée se déroule dans une demi-obscurité. Les plus pauvres même, ne peuvent entretenir leur calel pendant des heures et se contentent de la lueur vacillante des flammes et des braises Les recoins de l’oustal sont bien sombres dès que l’on s’écarte un peu du cantou. Dans cette pénombre les histoires de revenants ne peuvent qu’impressionner les esprits craintifs des paysans. Ce n’est pas la faible lumière qui dissipera cette atmosphère pesante.

A ce sujet voici ce que Juliette Ribas née Baumel (1914-2018), me racontait : « 1922. Maintenant, c’est la veillée au coin du feu, où le bois de pin, même vert, brûle sans difficulté. Et là, on raconte des histoires à vous faire pâlir et trembler de peur même si elles ne sont pas toutes véridiques ! Tantôt c’est le feu follet qui vous suit dans la nuit, ou bien une procession qui sort de l’enclave d’un rocher, ou l’histoire de Jean Grin qui volait les enfants et les mangeait. Avec ça, si vous voulez dormir faites de beaux rêves ! » (Entretien oral, 6 janvier 2004).

Groupés frileusement autour de l’âtre, les joues en feu, les genoux brûlants, mais le dos parfois glacé, on causait de choses et d’autres. Le grand-père était chargé d’entretenir les flammes dansantes, en veillant sur le feu, en rapprochant les bûches rougeoyantes et en ajoutant une ou deux nouvelles au fur et à mesure que les heures s’écoulaient. La ménagère avait le souci de ne pas perdre la chaleur de cette « alade » et elle n’oubliait pas d’accrocher à la crémaillère la grosse marmite de cuivre noirci, la « couïre », contenant les pommes de terre, les betteraves, et les glands, nageant dans l’eau et destinés à la bouillie du porc pour le lendemain. Les enfants assis sur leur petit banc « le sellou », entre les genoux des grandes personnes, écoutaient ravis de tout cela, quelquefois somnolents, transis de peur, ou éclatants de rire.

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Juliette Ribas se souvenait : « Pour l’instant, je suis assise sur une sellette au coin du feu. Mes joues sont rouges à la lueur de la flamme. Maintenant, nous allons assister à la prière du soir avant que Pépé et mémé rejoignent leur chambre. Le tonton s’occupe du cheval qui a bien mérité une paillasse d’avoine.Je revois encore (Le patriarche) à genoux le dos tourné vers le feu qui se consume et nous tous qui faisons de même pour écouter (De profondis) qu’il récite avec ferveur pour ceux qui ne sont plus là. » (Entretien oral, 6 janvier 2004). Bien souvent, trait caractéristique du Caussenard, qui mélange toujours une pointe d’humour aux choses qu’il considère pourtant comme les plus sérieuses, un des hommes présents avait soin de dire : « Nous corrio bé fa un ploum poun de prégaïres » : il nous faudrait bien faire une pleine poignée de prières. « Cal la crida » :il faut la faire à haute voix, disait l’aïeul. Cet honneur revenait à l’aïeule qui récitera seule à haute voix la prière en entier (qui figurait sur les anciens catéchismes). Les autres lui donnaient les répons. Et chacun rejoindra son lit que la maîtresse de maison aura eu soin de bassiner avec le chauffe-lit de cuivre à demi plein de charbon ardent.

Les personnes invitées devaient faire preuve de prudence pour rentrer :  « Le nommé Mazoyer, Léon de Saint Germain de Calberte avait passé la veillée avec sa famille chez un de ses amis,  le 18 du mois dernier (décembre 1871). Il se retirait vers les 11 heures ; sa femme et ses enfants en bas âge prirent le droit chemin, tandis que le mari prit un sentier de traverse pour abréger le parcours. La femme arriva la première au logis et ne savait pas à quoi attribuer le retard de son mari. On se livra à des recherches et on trouva ce malheureux qui était tombé dans un champ à une quinzaine de mètres de la maison. Il avait succombé à une attaque d’apoplexie foudroyante » (Moniteur, repris dans la Revue Religieuse de Rodez, 12 janvier 1872).

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Parler, travailler, s’amuser tels sont les trois aspects d’une veillée réussie.

Les paysans évoquent les nouvelles, discutent de la conduite de leur exploitation. La veillée rajeunit les anciens auxquels on demande d’évoquer leurs souvenirs, leurs histoires et leurs contes de ce temps-là où eux aussi étaient jeunes. Elle cimente enfin l’esprit familial et communautaire en rassemblant toutes les générations (D’après l’enquête folklorique sur le Rouergue).

La veillée permet d’accomplir certains petits travaux. Comme l’oisiveté pèse aux gens de la campagne, chacun se trouve une petite occupation. Les hommes tressent des paniers d’osier et les femmes en général tricotaient avec de la laine qu’elles filaient…pour en faire des chaussettes, des bas et d’épais tricots.

Juliette Ribas se souvenait : « Tata Juliette tricote des bas au point fantaisie» Et le plus souvent l’on « dénoyait » les amandes et les noix.

En automne, aux premières pluies de l’équinoxe, les fruits du noyer et de l’amandier devenaient vulnérables, le sol en était littéralement jonché. Aux veillées commençantes, c’était un grand branle-bas : on « rascalait ». Pour cette tâche, amis et voisins se réunissaient, ils se mettaient en route dans l’obscurité, après le repas du soir. Avec leurs lumignons ils allaient fouiller les branches, et c’est par sacs et même charretées que la récolte s’engrangeait. Après les salutations d’usage, on prenait place, autour d’une table ou dans un premier temps les sacs se vidaient un à un. Sans souci de se teindre les doigts, toute la maisonnée s’attelait à sortir noix et amandes de leur coque verte. Ce travail terminé, on étendait celles-ci sur des planches afin que s’évapore leur humidité. Dans un deuxième temps, on les concassait pour les « denouhailher ». C’était l’énoisage, une autre occasion de se réunir (D’après « Hier on rascalait », Journal de Millau, 3 novembre 1978)

Un ou deux hommes, muni d’une masse de bois ayant entre leur jambe un tronc de bois vertical coupé à la hauteur des genoux, d’un coup sec, bien ajusté, ni trop léger pour ne pas seulement fêlé la coquille, ni trop lourd pour ne pas l’écraser, cassaient les noix ou les amandes posées sur la coupe du tronc d’arbre. C’était presque un art de spécialiste. Les enfants triaient les noix et les amandes. Les cerneaux ou la partie comestible de l’amande étaient recueillis dans des corbeilles. Cela constituera les nourrissants desserts de l’hiver ; et les cerneaux feront surtout la bonne huile de noix qui assaisonnera  les salades et bien d’autres plats, de son goût très spécial et fruité.

Notons ici que chaque famille possédait en général un petit pressoir à huile et fabriquait elle-même très artisanalement cette huile de noix, qui longtemps resta la seule huile alimentaire du village. De temps en temps on mangeait une amande ou un cerneau, légèrement écrasé par le casseur. Les coquilles étaient placées dans un sac et conservées pour allumer le feu chaque matin, ou pour faire reprendre les braises du foyer un instant ralenti. Les autres petits travaux consistaient à éplucher les châtaignes ou dépouiller le maïs. Chacun s’efforçait de surpasser son voisin à cette tâche et ces grandes veillées passaient toutes en besogne.

Madeleine Vernhet (1914-2008) habitante de Saint André de Vézines, que j’avais rencontré à plusieurs reprises m’avait raconté : « On allait veiller un peu chez les voisins, une fois chez les uns, une fois chez les autres. Pour les gants, on se réunissait. En ce temps-là, je crois que nous avions une lampe à carbure, on n’y voyait pas tellement, mais avant on avait bonne vue quand même.» (Entretien, 3 mars 2004). Il arrivait même parfois que 3 ou 4 jeunes gens, s’éloignant de l’âtre se plaçaient autour de la table familiale pour faire une partie de cartes le plus silencieusement possible.

Pendant tous ces  travaux, les langues se déliaient. Lorsque le vin nouveau était tiré du foudre, c’était l’occasion de faire un « tastavi » un tâte-vin. Ainsi, on buvait du cidre doux ou le vin nouveau, on chantait de vieux airs patois ou quelque rengaine du folklore militaire, on dansait parfois. Enfin, quand les têtes s’échauffaient et si l’assemblée pouvait fournir un bon chasseur on décidait une chasse au « tamar » :« Les nuits les plus propices pour cela étaient celles très froides de janvier ou de février. On choisissait alors parmi les veilleurs l’individu crédule qui allait servir de victime. Muni d’un sac, on allait le poster  face à une haie bien exposée à la bise d’hiver en lui recommandant de ne pas bouger. Puis par un détour les autres chasseurs de « tamar » rentraient au coin du feu se réchauffant d’un verre, tandis que le pauvre embusqué continuait de tenir son sac transi de froid. Les autres saisons de l’année laissaient moins de temps que l’hiver aux distractions villageoises » (D’après l’ouvrage la Vie quotidienne en Rouergue avant 1914 de Roger Béteille, édition Hachette, mai 1986. Chap. V)

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Les veillées se faisaient uniquement en automne et en hiver, lorsque les gros travaux de la terre étaient inexistants, et que le paysan n’était pas harassé par une longue journée de labeur. En général, elles débutaient les vendanges finies vers le milieu octobre, pour s’achever dans le courant de mars, dès que commençaient les labours de printemps.

Un proverbe occitan d’ailleurs disait : « Quand lou cornouillier flouris, lo velhado abalis, quand le cournouillier fleurit, les veillées sont finies ». Irma Flavier (1911-2013) se souvenait : « En hiver, on passait les soirées les uns chez les autres. En été, c’était plus difficile parce qu’il y avait beaucoup de travail, mais on se réunissait quand même le dimanche. Les jeunes garçons allaient faire du vélo. » (Entretien oral, 11 février 2004).

Citons pour terminer Madeleine Vernhet qui évoque la fin des veillées : « Nous étions cinq ou six autour de la lampe, on se fréquentait plus que maintenant. Puis quand il y a eu la télévision, chacun est resté chez soi. Le premier à l’avoir eu c’était Albin Guillaumenq. Parfois on allait voir la télévision parce que c’était nouveau ». Telles étaient les veillées de jadis. En dépit de leurs rudes vies de travail et de misère, nos aïeux savaient y trouver des heures de détente, de douceur et de vrai bonheur de vivre… hélas cette tradition a disparu balayée par la télévision, Internet, et d’autres activités bien plus modernes.

Marc Parguel

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