Patrimoine

Creissels. Sur les traces de Pierre Granier, peintre du 18e siècle

Pierre Granier, peintre, mais aussi sculpteur et architecte, est né à Creissels (Aveyron) vers 1679. Son épouse Jeanne Fabre lui a donné quatre enfants, dont Antoine qui deviendra sculpteur. Le 12 mai 1740, Antoine épouse Suzanne Boyer. Celle-ci est la fille de Pierre Boyer, consul de Millau et de Marie Descuret qui ont élevé douze enfants. Le 22 novembre 1746, Antoine et Suzanne font baptiser par Raymond Déjean, curé de Creissels, leur premier fils Antoine, également futur sculpteur ! Le couple aura encore deux jumeaux, Alexandre et Jean-François qui seront baptisés le 27 février 1749.

Si la biographie de Pierre Granier (décédé le 20 mars 1754) se limite à des renseignements généalogiques, une partie de son œuvre peut être admirée dans cinq églises du département, dont quatre dans l’arrondissement de Millau. Il vous est donc proposé de découvrir ou de revoir ces tableaux de Pierre Garnier.

Eglise Saint-Pierre et Saint-Paul de Roquetaillade

Roquetaillade, au riche et illustre passé, est un village de la commune de Montjaux dans la vallée de la Muse. Sur le versant de la rive gauche, les maisons descendent jusqu’au lit de la rivière enjambée par un vieux pont. De l’autre côté se trouve l’église entre le presbytère et le cimetière.

Dans le chœur de l’église, au-dessus de l’autel, est accroché un tableau signé « pgranier pinxit » : Pierre Granier a peint. Il représente le Christ sur la croix entre Saint-Pierre et Saint-Paul (voir ci-dessous à gauche). Afin de relever les similitudes de l’iconographie religieuse utilisée dans deux œuvres d’artistes différents, voici ci-dessous à droite, à nouveau Pierre et Paul dans une estampe de Jacques Callot, graveur lorrain du 17e siècle, considéré comme l’un des maîtres de l’eau-forte.

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Dans le tableau et dans l’estampe, il est à remarquer que les deux apôtres portent respectivement les mêmes attributs et présentent les mêmes caractéristiques. En effet, Pierre tient le Livre de la Nouvelle Loi qui abolit l’Ancienne et les deux clés remises par le Christ : celle du ciel ou du pouvoir spirituel et celle de la terre ou du pouvoir temporel. Quant à Paul, il serre contre sa poitrine le Livre qui symbolise ses Ecrits et, comme il a été décapité, il montre l’instrument de son supplice : l’épée, qui fait référence aussi à son statut de « miles Christi ».

Tous les deux sont revêtus d’une tunique qui descend jusqu’aux pieds et de la « simlah (hébreu) » qui était une grande pièce rectangulaire d’étoffe rustique. Comme Granier le montre dans son tableau, elle était placée d’ordinaire sur l’épaule gauche et passée par l’arrière sous le bras droit, puis ramenée sur la poitrine, pour laisser libre le bras droit. Dans le tableau, ils portent des sandales semblables à celles des Capucins, toutefois, les juifs pouvaient aller pieds nus comme dans l’estampe. Aussi bien dans le tableau que dans l’estampe, Pierre a les cheveux assez courts et crépus. Sa barbe est courte et bouclée, par contre celle de Paul est longue, lisse et pointue.

Souvent associés dans les œuvres d’art religieux, Pierre et Paul encadrent la croix. A son sommet se détache un parchemin blanc qui porte sur quatre lignes l’inscription : « IESVS NAZARENVS REX IVDAEORVM » d’où provient, en prenant la première lettre de chaque mot, l’acronyme « INRI ». Elle peut se traduire par : « Jésus le nazaréen roi des juifs ».

Le Christ n’est pas mort. Il est en souffrance. Il lève la tête ceinte de la couronne d’épines pour implorer le ciel. Comme il a les bras en « V » ouverts et les mains semi-fermées, il n’est pas encore le « Christ janséniste » de l’église Notre-Dame de l’Espinasse à Millau. Les condamnés au supplice de la croix étaient entièrement dénudés, pourtant le Christ crucifié a toujours été représenté vêtu du « prizonium ». D’une blancheur lumineuse, ce « pagne de pureté » noué autour des hanches sert à cacher sa nudité. Les jambes du Christ sont légèrement repliées à la hauteur des genoux, car il peut appuyer les pieds sur un support appelé le « suppedaneum (sous les pieds) ». Le Christ est ici un crucifié « quadriclave », car il a un clou dans chaque main et un clou dans chaque pied.
La ligne d’horizon sépare par une légère clarté, les ténèbres des cieux et la campagne obscure.

Eglise Saint-Côme de Saint-Côme d’Olt

Construit en bordure du Lot, le village de Saint-Côme d’Olt est classé dans les plus beaux villages de France. L’église Saint-Côme, de style gothique, est remarquable par son clocher tors ou « flammé ». En face de l’église, sur la façade de la Mairie, une plaque commémorative rappelle le souvenir du général Edouard de Curières de Castelnau, de ses deux frères, de leurs fils et petits-fils.

Dans la chapelle de droite de l’église, un tableau de Pierre Granier est accroché au-dessus de l’autel. Il est intitulé « La Sainte Famille » ou « La fuite en Egypte ». Mais il est certain que l’artiste n’a pas voulu peindre la fuite en Egypte. En effet, il sait comme tout chrétien qu’après le départ des Mages, Joseph, prévenu par un ange des intentions meurtrières d’Hérode, s’est enfui avec Jésus et Marie en Egypte. Jésus n’était donc qu’un bébé alors que sur le tableau ci-contre, l’enfant doit être âgé de neuf ou dix ans! En outre, sur les tableaux représentant la fuite en Egypte, Marie avec l’Enfant Jésus est souvent montée sur un âne à côté duquel chemine Joseph. D’ailleurs, la sérénité qui se lit sur le visage des trois personnages ne permet pas de penser qu’ils fuient un danger, mais au contraire, elle laisse envisager qu’ils sont heureux d’entreprendre un voyage. Il se pourrait donc que Granier ait voulu peindre le retour de la Sainte Famille en Israël.

Joseph invite Marie et Jésus à le suivre en leur indiquant le chemin par un signe de la main gauche. De l’autre main, il mène un âne par la bride. Animal humble et fidèle, l’âne est présent dans les évènements importants de la vie de Jésus : à sa naissance, pendant la fuite en Egypte et surtout lors de son entrée triomphale à Jérusalem. Marie donne la main à Jésus qui tient dans l’autre main un bâton qui va lui servir de canne. Jésus et Joseph sont vêtus d’une tunique retenue à la taille par une ceinture et Marie, d’une simple robe longue. Par-dessus, les parents de Jésus sont enveloppés dans la « simlah » qui était portée aussi bien par les hommes que par les femmes. Les trois personnages sont pieds nus, mais ceux de Marie sont protégés par des sandales.

Alors que le ciel est gris et nuageux, une lumière intense éclaire la Sainte Famille, et notamment la blanche tunique immaculée de Jésus. Derrière les personnages, le décor paysager se réduit à trois arbres, dont un palmier.

Eglise Saint-Pierre de Ladepeyre

Sur la commune du Viala-du-Tarn, les maisons du village de Ladepeyre (pierre levée) s’accrochent au versant sud des contreforts du Lévézou. Le village s’est fait connaître au début du 20e siècle par un fait divers tragique. En effet, le 10 septembre 1910, le dessin de la page de garde du supplément illustré du Petit Journal montrait le sonneur de cloches, Pierre Boudes, foudroyé dans le clocher de l’église Saint-Pierre, pendant un violent orage.

Dans la chapelle de gauche de l’église, particulièrement bien entretenue, se trouve un tableau de Saint-Roch signé : « pgranier pinxit 1723 ». Pierre Granier a représenté Saint Roch le pestiféré, chassé par les hommes, avec ses principaux attributs de l’iconographie. Coiffé du chapeau à larges bords, il porte la besace et la cape du pèlerin. Il tient le bourdon à la main gauche et entoure affectueusement de son bras droit les épaules de l’ange. Celui-ci a relevé la tunique de Saint-Roch pour montrer entre ses deux mains le bubon qu’il a sur la cuisse droite. Dernier attribut, le chien tient dans ses crocs le pain qu’il apportait chaque jour à Saint-Roch.

Chapelle de Notre-Dame du Désert de Melvieu

Perchée et isolée sur un éperon rocheux, la chapelle de Notre-Dame du Désert surplombe les eaux calmes du Tarn. Domptée par quatre barrages hydroélectriques, la rivière serpente langoureusement entre les Raspes escarpées et sauvages. La chapelle est située à deux kilomètres du village de Melvieu. Elle a été construite en 1900, grâce à l’abbé Rolland et à ses paroissiens, sur l’emplacement d’une ancienne église qui tombait en ruine.

A l’intérieur, au-dessus de l’autel de la chapelle de gauche est accroché un tableau de Saint Roch identique à celui de l’église de Ladepierre ! En examinant attentivement les deux tableaux, le lecteur pourra découvrir de légères différences, mais il lui faudra admettre que la scène est reproduite exactement, avec les mêmes attributs et les mêmes coloris.

Malheureusement le tableau n’est pas signé ! En conséquence, plusieurs hypothèses peuvent être émises sous réserve de toutes les précautions d’usage. Premièrement, soit avec les ravages du temps la signature a disparu, ou bien, Pierre Granier n’a pas signé ce tableau qui est son dernier essai avant la réalisation définitive. Deuxièmement, un artiste local aurait exécuté une remarquable copie du tableau de Ladepierre !

Notre-Dame de l’Espinasse de Millau

Au-dessus de la tribune gauche de l’église, à la limite de la fresque du chœur, est suspendu le tableau de Pierre Granier, intitulé : « Le Crucifix aux Anges ». L’histoire de cette œuvre, depuis sa commande par les Consuls de Millau en 1716 jusqu’à nos jours, a été souvent racontée par les historiens locaux. Elle est rappelée ici brièvement. La commande honorée, le tableau est placé entre les colonnes du retable situé au-dessus du maître-autel de l’église du Couvent des Capucins (construit sur l’emplacement actuel de l’église Saint-François) jusqu’à sa mise en vente le 2 septembre 1791.

A ce sujet, Verlaguet apporte des précisions intéressantes aux paragraphes 3554 et 3750 du Tome II de son ouvrage sur la «Vente des biens nationaux en Aveyron». Le tableau disparaît jusqu’en 1866. Depuis cette date, il peut être admiré dans l’église Notre-Dame.

Pour réaliser son œuvre, il est indéniable que Pierre Granier s’est inspiré de celui de Charles Le Brun peint au 17e siècle. Dans chaque tableau, le Christ crucifié est représenté dans une « position janséniste », c’est-à-dire, avec les bras en « V » fermé qui montrent que le rachat des pêcheurs est limité, contrairement aux bras écartés qui accueillent toute l’humanité. En outre, comme dans le tableau de Roquetaillade, les pieds parallèles du crucifié sont cloués sur un « suppedaneum ». Le Christ porte un « prizonium » dont les plis sont identiques dans les deux tableaux. Au pied de la croix, sept anges sont agenouillés avec Marie-Madeleine. Eplorée, les bras en croix, elle est toujours belle et porte de longs cheveux avec lesquels elle a essuyé les pieds de Jésus. Dans le ciel, répartis autour de la croix, onze anges semblent implorer le Christ. En arrière-plan, se devine un paysage que la clarté de l’horizon sépare des cieux.

Si Charles Le Brun a utilisé comme coloris des tons bleus, bruns et blancs qui font ressortir la blancheur, donc la pureté du corps du Christ, Pierre Granier a employé des tons qui allient différents rouges et roses. Ils surgissent de l’obscurité créée par les coloris bruns et noirs qui mettent également en relief le corps du Christ.

Autres différences relevées entre les deux tableaux, dans celui de Granier, les personnages sont plus grands et la croix occupe une position centrale, car le tableau est plus large que celui de Le Brun, en outre comme elle est plus surélevée, les mains du Christ arrivent presque au bord supérieur du cadre.

Il est à souligner que la municipalité de Millau a fait procéder avec bonheur à la restauration du tableau en 1999.

Méconnu de nos jours et même oublié par Jules Artières dans son excellente « Notice Historique sur la Vicomté et la commune de Creissels », le peintre creissellois Pierre Granier mérite qu’aujourd’hui ses œuvres soient admirées.

Creissels peut s’honorer de le compter parmi ses personnages illustres.

Bernard MAURY

Avec mes vifs remerciements à Françoise Galès qui m’a indiqué des pistes de recherches, à Jean Froment qui m’a ouvert l’église de Roquetaillade, à Jean-Claude Niel et Michel Héraud qui m’ont fait ouvrir l’église de Ladepeyre, à Jacqueline Galonnier qui m’a fait entrer dans la chapelle de Notre-Dame du Désert.

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