Causses et vallées

Les caves à vins de la vallée du Tarn

Les «villages » de caves

Les villages de Caves des Gorges du Tarn, curiosité unique en France, ont été révélés par Louis Valès et l’association Los Adralhans et  témoignent de la richesse viticole passée de la région. On dénombre 12 villages de caves sur les communes de Rivière, de Compeyre, de la Cresse et de Mostuéjouls.

Au début du mois d’octobre 2005, je m’étais rendu avec Pierre Solassol (Pèire de Vairau) auprès de plusieurs d’entre elles dans la vallée du Tarn et j’ai pris quelques notes sur les lieux. Cet intérêt pour les caves à vin n’était pas récent pour Pierre et pour Albert Sigaud.

Ces derniers, au cours d’une froide journée de décembre 1990 eurent à cœur de braver la neige du col d’Entre-Deux-Monts pour visiter des caves à vins troglodytiques. Leurs intérêts les poussèrent à les analyser de plus près et d’apprendre l’existence d’autres du même type dans la vallée du Tarn regroupés en « villages ».

Cela excita leur curiosité et d’autres balades suivirent cette première hivernale. Un polycopié vit le jour avec l’association « Los Adralhans » qui intéressa vivement M. Robert Aussibal, président de l’association Sauvegarde du Rouergue, et de ce petit polycopié en noir et blanc, fut tiré un numéro spécial « Les Caves à vins de la vallée du Tarn » (Sauvegarde du Rouergue, n°35, juillet 1992) où tous les connaisseurs ont pris plaisir à faire partager leurs passions à travers leurs coups de crayon ou de plume.

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Compeyre, banque des vins de la vallée du Tarn

Une première question se pose : Pourquoi avoir créé ça et là des petits « villages de caves » ? Jusqu’aux guerres de religion, Compeyre village qui surplombe le carrefour des Gorges du Tarn, à 7 kilomètres, en amont de Millau avait le monopole de l’élevage des vins de la vallée, de ses caves.

En effet, au Moyen-Âge, ce village était déjà apprécié pour son climat et pour son vin, notamment du vieux gamay très prisé des Papes d’Avignon. L’exposition favorable, l’ensoleillement, la température suffisante et la présence d’eau, accompagnés d’un sol propice, y ont très tôt favorisé la culture de la vigne.

Compeyre. (DR)

 Pendant des siècles, ce village connut une activité intense, car il entreposait dans une multitude de caves creusant le sous-sol du lieu comme un gigantesque gruyère, la presque totalité des vins produits dans les Gorges du Tarn Aveyronnaises. Tous les vignerons de la vallée du Tarn apportaient leur récolte pour en retirer un profit plus avantageux. Ces caves ont assuré la prospérité du village grâce à l’impôt du « Souquet » prélevé sur toutes les transactions.

Les corporations liées à l’activité vinaire de Compeyre se retrouvaient à l’occasion de la fête de Saint-Vincent toujours Saint Patron du village.

L’apogée de Compeyre se situe entre le XIVe et le XVe siècle pendant la guerre de Cent Ans. Les registres des impôts nous enseignent que, lors de cette période (1337-1453), les coteaux de la région étaient couverts de vignes au cépage « Gamay ». Des batailles eurent lieu entre Anglais et troupes du connétable d’Armagnac. Les chroniqueurs parlèrent de 1500 morts.

Compeyre se releva et le commerce vinicole reprit jusqu’à l’arrivée des guerres de religion. Compeyre la catholique qui avait le monopole du vin dans la vallée fut conquise par les calvinistes, ceux-ci pénétrèrent dans la cité par les égouts et firent un grand carnage, les papistes de Compeyre se livrant bataille dans les ruelles du village contre les réformistes de Millau, ces derniers  éventrant futailles et tonneaux « dans les cris d’épouvante des égorgés », alors «  le vin et le sang mêlés ruisselaient par les calades » racontent les textes de l’époque. La banque des vins de la vallée était détruite, portant au village un coup mortel.

Compeyre perdit peu à peu sa prospérité, les caves n’ayant plus qu’un usage personnel.

« Compeyre a maintenant perdu tout son commerce, c’était autrefois le seul endroit de son voisinage dont les caves fussent propres à conserver le vin, une infinité de particuliers forains y faisaient voiturer le leur pour en trouver le débit le plus avantageux », déclarera le curé de Compeyre, dans des textes signés de la plume de l’évêché de Rodez (1771).

A partir de 1650, les vignerons de la vallée, après tant d’insécurité, construisirent chez eux leurs propres villages de caves à vins du même type. Ces caves épousent la pente du « travers » et se confondent avec la nature environnante. Toits de lauzes, portes basses soit en voûtes, soit à linteaux plats, murs et toits mitoyens. On a l’impression que les constructeurs ont voulu économiser la surface au sol.

C’était à proximité des villages viticoles de Rivière-sur-Tarn (rive droite) de Compeyre (rive droite), de la Cresse (rive gauche) que ces regroupements de caves prirent le nom de « villages de caves ». Ils sont devenus, aujourd’hui un bâti emblématique. Parfois, ces caves, destinées uniquement à la conservation, étaient assez loin des celliers. La vinification se faisait alors près des caves : d’abord le foulage, autrefois pratiqué au pied, dans des fouloirs, puis l’extraction du moût au moyen de pressoirs verticaux à large maie.

Quand on entre dans les caves, on s’aperçoit qu’elles ont été construites sur des bancs de rochers, lesquels constituent le mur opposé à la porte d’entrée. Des failles de rochers s’échappent des courants d’air, Louis Loubat emploie le mot « fleurines » : de flarinar, souffler (d’après Soutou) ; d’où « trou souffleur » ; ces diaclases expliqueraient la situation, le mode de construction des caves. Les fleurines apportent cet air frais qui permet une bonne conservation de ce délicieux breuvage à température constante (7 à 8°C) tout en le bonifiant.

La fraîcheur a toujours été recherchée pour une bonne conservation du vin. Aussi un arbre a-t-il souvent été intentionnellement planté devant la porte. Ces caves furent prospères jusqu’à la grave crise liée, entre autres aux attaques irrémédiables d’un petit puceron de moins d’un millimètre de long, venu d’Amérique : le phylloxéra à la fin du XIXe, c’est une nouvelle période de misère. Il fallut ensuite se résoudre à faire de la piquette.

Les vignerons, en achetant des raisins dans le Midi pour faire leur vin, tenteront de maintenir l’échange avec le Lévézou et les Causses. Parallèlement, ils replanteront, bien entendu, mais ce fut long et pénible, ils durent attendre 10 à 15 ans avant les premières récoltes.

Il fallut refaire les futailles qui, faute de liquide, s’étaient disjointes. Petit à petit, selon les besoins, des caves furent restaurées, trois ou quatre seront construites après 1914. Outre les dégâts de la « grande » Guerre, l’abandon des cépages nobles qui ont fait la prospérité des vignobles anciens a accentué les désastres. Les vignobles disparaissent. En un siècle, ils passeront de 15 000 hectares à 2500 hectares pour l’ensemble des vallées des Grands Causses. Sur treize villages, on compte encore de nos jours près de 200 caves à vin. Nous nous arrêterons sur quatre de ces villages..

Los Artisses (les lieux incultes, arides), commune de Compeyre

Les caves des Artys (du terme artiga, terre récemment défrichée après avoir brulé les buissons) se situent en bordure de la route D907, à 600 mètres en amont du village de Pailhas. Réparties tout le long du chemin, certaines de ces 15 caves ont été restaurées et sont encore utilisées. Mais une grande partie s’est écroulée. Parmi les dates relevées, la plus ancienne remonte à 1722.

Les Artisses. (DR)

La prononciation locale, occitane, est Los Artissés (pluriel en –és). Le cadastre du 15 octobre 1830 cite : Caves, mais ignore le nom du lieu. On  compte quinze caves, leurs toits sont mitoyens, on ne sait pas où sont leurs limites. Il y a deux linteaux intéressants avec des dates : 1722 et  1770. Malheureusement beaucoup de ces bâtisses ont leurs murs fissurés.

Combien de temps cela tiendra encore ? Des ensembles mériteraient d’êtres restaurés, certaines caves sont masquées. Mais la restauration d’un tel lieu s’avère périlleuse, car le terrain sur lequel elles ont été construites est glissant, et ce pour avoir des courants d’air (fleurines) indispensable à la conservation du vin.

Achille Fabre, alors maire de Paulhe, lors de la randonnée Blanche organisée dans son village livrait quelques anecdotes sur le lieu : « Les gens de Paulhe avaient leur cave à Compeyre. Au pied de chaque cave, il y avait un noyer et un figuier. Le vin est très bon après avoir mangé une noix et très mauvais après avoir mangé une figue. Quand un visiteur venait, pour lui vendre du vin, on lui offrait une noix avant de lui faire goûter. S’il n’achetait rien, on lui offrait une figue pour qu’il n’aille pas acheter chez le voisin » (Midi Libre, 19 avril 2010).

Les Jouanettes (de Joanne, Jeanne) Commune de la Cresse 

Les Jouanettes (DR)

Les caves de Jouanettes comme celles de Mailhosques  se situent sur la commune de la Cresse, rive gauche du Tarn, de part et d’autre de la route allant de la Cresse au hameau du Sonnac. Ces caves sont caractérisées par la grande surface de leur toiture épousant la pente du sol. Elles desservaient la Cresse.

On constate que certaines ont été transformées en villa. Là aussi, nous trouvons des dates inscrites sur les linteaux, dates souvent gravées (1738, 1898) ou écrites grossièrement en noir sur la pierre (1906,1910). Devant l’entrée de la plupart d’entre elles, l’on voit des arbres, qui, on le sait ont été planté là intentionnellement. Ici ce sont des érables qui viennent apporter leur fraîcheur. On voit également des tables posées devant les caves avec des bancs pour s’asseoir.

Là venaient les vignerons pour de bonnes collations, après les Vêpres. La plume poétique de Jacques Féniès nous rappelle ce souvenir : « Ils sont là, il n’est que de les imaginer, assis sur un banc pour banqueter. C’est après les Vêpres, ils devisent. Ils s’échangent. Ils parlent du temps qu’il fit, du temps qui fuit, de cet autre qui s’inscrit sur les tempes. Ils parlent de la tenue du vin, de la couleur d’un miel ou du parfum d’une eau-de-vie… et ils parlent aussi  du gel atroce d’un printemps, des ravages d’une crue, des malheurs d’une guerre. Dans l’intervalle des propos, ils partagent le pain, le vin, le jambon. »

Les Jouanettes (DR)

Dans chaque cave il y avait en permanence « la topina de rebarba ». Louis Loubat (Maire de la Cresse de 1935 à 1945) nous explique ce qu’est « la rebarba » : « du pérail de brebis était écrasé, poivré, on y mélangeait de l’eau-de-vie et on le laissait « se faire » 2 à trois mois avant de le manger. Quand la toupine baissait, on renouvelait avec d’autres pérails, comme pour un levain. Ainsi « la Rebarba » (rebarbe) était toujours au point. La toupine ne se vidait jamais ».

Notons aussi la présence d’un larmier sur une porte, ceci est assez rare ici, on en voit davantage sur le Causse de Sauveterre. Un larmier est un membre horizontal en saillie sur le nu d’un mur qui écarte les eaux pluviales.

Les caves à vins de la vallée du Tarn méritent toute notre attention. Pèire de Vairau et Albert Sigaud firent à leur tour partager leurs plaisirs et leurs passions à de nombreux camarades ou estivants. Tous furent étonnés, conquis, par l’originalité de ces « villages » de cave à vin troglodyte aux longs toits de « lauses » fondus dans le paysage. Louis Valès, le chantre des vins de la vallée du Tarn, nous fit savoir que ces sites étaient uniques en France, alors cela valait bien la peine de les restaurer.

Le Parc Naturel Régional des Grands Causses débroussailla les abords du « village » de Massagal. Mais il fallut attendre la ténacité de l’Association des Caves d’Entre Deux Monts et de son dynamique président Bernard Maury pour que ce qui demeurait un vœu devienne réalité avec la restauration de ce «village » (chantier de sauvegarde en trois phases 2003-2004-2005) par le Parc Naturel Régional des Grands Causses.

Marc Parguel

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