Causses et vallées

Entre deux Monts  (Rivière-sur-Tarn)

Situé à flanc de montagne, au nord du village de Rivière-sur-Tarn et au-dessus du hameau de Fontaneilles,  dans une zone d’éboulis, le village de caves d’Entre deux Monts anciennement appelé « Lo-Pastre-dels monts » ou « lo pas de tres demons » présente le plus bel ensemble architectural des diverses caves à vins de la vallée du Tarn.

Ce village profite des circulations d’air entre les rochers effondrés (les fleurines) et des vents qui circulent généreusement entre les puechs de Suège et de Fontaneilles. Voisin du majestueux Piédestal, il domine la vallée du Tarn.

Vue des caves d’entre deux Monts sur le Puech de Fontaneilles © Blog cashpistache

On dénombrait il y a trois siècles 31 caves imbriquées les unes dans les autres et épousant le relief. Il en reste 23. Orientées au nord, elles se confondent avec la nature environnante. Construites à partir du XVIIIe siècle par les vignerons de Fontaneilles, elles sont couvertes d’un toit de lauze posé sur un terrier isolant, porté par une voûte en berceau. L’accès se fait par une petite porte en façade souvent surmontée d’une « cape » en forme de fronton. Ce modèle de caves à fleurines construites au Moyen Age à Compeyre constitue, avec celles plus célèbre de Roquefort, l’un des premiers systèmes artificiels de régulation thermique. Ce village de caves fait partie d’un grand ensemble de caves regroupées en hameaux exclusivement répartis, de part et d’autre du Tarn, entre Mostuéjouls et Compeyre.

La naissance du village d’Entre-deux-Monts, c’est aussi l’histoire du déclin du village fortifié de Compeyre, comme nous l’avons déjà vu. Outre le souci de protéger et bonifier leur seule et unique richesse, les viticulteurs de la vallée ont cherché à se protéger de l’insécurité qui régnait à certaines époques.

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Au XVIIIe siècle, de nouveaux lieux favorables à l’implantation de caves furent trouvés, et les vignerons de la vallée du Tarn construisirent leurs propres villages. C’est ainsi que naquit Entre deux Monts.

© Hélène Castelbou

La tradition locale nous a appris qu’antérieurement ces caves se trouvaient au lieu dit « Lemboulive », situé au nord-ouest de l’emplacement actuel, en plein evers. Ces dernières auraient été emportées par un éboulement. Le mot emboulives pourrait être la déformation des mots occitans : lo bolidor, l’embolida, l’embolidor : fondrières, bourbier, mouillère, terrain mou ou gras.

Voici ce qu’en disait Argeliez en 1843 : « Au nord-ouest de Fontaneilles, entre le rocher de ce nom et celui de Suéje, est une gorge ou défilé, que l’on n’appelle pas d’ Entre-monts, et plus souvent encore pas des trois démons. Ce dernier titre qui n’est qu’une altération du premier semble toutefois bien justifié par le froid excessif qu’il y fait durant l’hiver. C’est par là que le vent du nord se fraie un passage, pour se répandre ensuite dans le vallon de Rivière et y faire sentir ses rigueurs. Près de cette gorge, on trouve les caves de Fontaneilles. Dans le mois de novembre 1766, il y tomba une pluie si considérable, qu’une partie du terrain qui les soutenait vint à glisser dans un vaste enfoncement, et deux d’entre elles furent englouties dans la terre. Le lieu qui les recèle a reçu depuis le nom d’éboulement (En patois, emboulidos). » (Histoire et statistique de la rivière du Tarn par M.Argéliez, l’Echo de la Dourbie, 16 juillet 1843). De là, les caves d’Entre Deux Monts que nous connaissons furent construites,  attenantes au lieu dit La Frégière : au courant des deux vallées du Tarn et du Tréban, situées plein nord, dans un col très ventilé propice à la conservation du vin. Elles desservaient Fontaneilles.

Elles ne semblent pas avoir été bâties sur des bancs de rochers.

© Michel Séguret

Le vin de la vallée du Tarn fut apprécié dès le Moyen Age, mais les attaques de phylloxéra de la fin du XIXe siècle détruisirent le vignoble. L’on replanta, mais, les nouveaux cépages ne donnaient que des piquettes ; ils étaient loin les nobles Cabernet, Gamet, Syrah ! Devant la porte d’entrée de l’une d’entre elles, on voit un noyer qui servait sans doute à faire de la liqueur et de l’huile. Quelques dates sont gravées sur linteau avec des initiales : E. P. 1781, P.O. 1779 avec un cœur gravé sur le linteau, ou encore 1735 A.C., 1779 avec un chrisme abîmé. On constate que toutes les portes sont en bois de peuplier. A l’intérieur des caves, si on passe les mains aux parois il y a des failles où l’on sent l’arrivée d’air frais. C’est le même système de ventilation que pour les caves de Roquefort. Les voûtes sont souvent faites sans calibre, irrégulières, aucune trace de planche, en fait édifiées suivant une architecture originale : voûte recouverte d’un volume impressionnant de terre et de pierraille, pour reconstituer le sol et maintenir une isothermie idéale. Ce petit village de caves était  le lieu des rendez-vous du dimanche. Autrefois, chaque viticulteur possédait sa cave à vin adossée à l’éboulis. Dans chaque cave, on trouvait trois ou quatre foudres (grand tonneau) en bois de châtaignier contenant tous 1000 à 4000 litres de vin, bois dans lesquels se faisait le vin qui reposait tranquille, et au frais avant d’être dégusté, souvent en joyeuse compagnie. On retrouve ici l’intérieur classique des caves de la vallée, foudres, barriques, garde-manger mural pour conserver le fromage, crochet suspendu à la voûte.

Foudre ou grosse barrique où s’est fait le vin à Entre-deux-Monts. DR

Ces caves ont aussi par moments, affiné des fromages. C’était le lieu d’une vie communautaire intense. Les dimanches d’été, les familles s’y retrouvaient pour casser la croûte et gouter le vin, les chants et les bonnes histoires fusaient. C’était le bon temps du « tasto bi ».

Dans les années 1930, la construction de cuves en béton appelées « tines » a remplacé en partie les foudres en bois vieillissants, ce qui a eu pour effet en murant les fleurines de réchauffer la température intérieure des caves, cette différence est évidente lorsque l’on pénètre dans des caves avec ou sans tine.

Comme l’indique le journal « Midi Libre » dans son édition du 1er septembre 2007 : « Il fut un temps où le dimanche, les habitants de Fontaneilles, après le repas, montaient aux caves. Pour la collation de 4 heures. Ils se retrouvaient tous ensemble. Pour discuter, manger un bout de fromage de brebis. Boire quelques verres de vin. Puis chacun s’en retournait chez lui. Jusqu’à la semaine d’après. Et puis le temps a passé. La production de vin a peu à peu cessé entre les deux guerres. Les caves laissées à l’abandon. Et les villageois sont partis vers la ville. Alors petit à petit, les ronces ont gagné du terrain ».

Au fil des ans, l’homme avec la modernité a apporté maintes modifications, construction des tines, retrait des pierres qui servaient de sièges ou de tables devenues gênantes pour le passage des charrettes.

Des générations de vignerons sont allées faire leur vin, le conserver dans ces caves semi-troglodytiques où il se bonifiait et que l’on venait taster (déguster) entre amis et en famille dans une ambiance festive.

Laissées à l’abandon, à partir des années 1950, les 23 caves restantes d’Entre-deux-Monts, en vieillissant ne s’étaient pas, elles bonifiées. Bien au contraire. Les cartes IGN les présentent comme étant en ruines. Mais ne voulant pas laisser disparaître ce patrimoine, Bernard Maury avec son ami Jean Marie Gabriac, ont retroussé leurs manches et ont commencé à débroussailler dès 1990. Dix ans plus tard, le 8 septembre 2000, une nouvelle association « sauvegarde des caves à vins d’Entre deux Monts » vit le jour et se constitua très rapidement d’une quarantaine de membres. Mais l’argent des cotisations ne suffira pas pour réhabiliter le site. Aussi, petit à petit, des partenaires se font connaître et parmi eux le Parc Naturel Régional des Grands Causses. C’est entre 2003 et 2007 qu’on lieu les travaux de restauration : réfection de certains murs, des toitures, aménagement du site pour un coût avoisinant le 150 000 euros. Face à l’ampleur des travaux et du coût, une convention a été signée avec le Parc naturel régional des Grands Causses qui a recherché les financements nécessaires et réhabilité le site. Union européenne, Région Midi-Pyrénées, Conseil général de l’Aveyron, Crédit Agricole…tout le monde a mis la main au porte-monnaie pour reconstituer ce joyau qui vient enrichir le patrimoine local.

Au total, ce sont 14 propriétaires sur 19 qui ont donné leur accord et accepté de signer un bail emphytéotique avec le Parc des Grands Causses. Ce bail stipule que durant 20 ans, le Parc à l’entière responsabilité des caves et il peut y faire ce qu’il veut.  Inauguré au son des cors de chasse le 31 août 2007, cet ensemble de construction est remarquable, il  nous rappelle l’amour que portaient les hommes pour la vigne et le temps passé en famille.

Au total une quinzaine de caves ont pu être sauvées. Certains propriétaires n’ont pas souhaité bénéficier de cette opération et leurs caves continuent de se dégrader.

Il y a peu, la commune de Rivière-sur-Tarn, tout à fait consciente de l’intérêt de ce patrimoine historique et symbolique, a pris l’initiative d’acquérir l’une de celles qui menaçaient ruine, au cœur même du village, et de la faire restaurer grâce à l’aide financière du conseil départemental et du conseil régional.

Ainsi restaurées par le programme de la communauté de communes, les caves ont pu retrouver leur rôle originel : « l’élevage du vin ».

Marc Parguel

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