Causses et vallées

Kanaky Larzac

Kanaky-Larzac se situe près de la ferme troglodytique des Baumes,  que l’on peut rejoindre par un sentier à droite sous la butte rocheuse dite de « Soupaure », ou depuis la route depuis Saint-Martin du Larzac, après le panneau indiquant la direction Pierrefiche, La Salvage, prendre cette voie sur 300 mètres, le site se trouve à une centaine mètres sur la gauche.

Au détour d’un sentier, dans une petite clairière, se dresse une cazelle de berger en pierres sèches surmontée d’une flèche faîtière kanake. Le nom donné à ce lieu a une signification bien précise, il représente la rencontre de deux cultures et de deux luttes, celle du peuple kanak avec celle du Larzac.

Un panneau à l’entrée du site nous souhaite la bienvenue. (DR)

Un bout de terre pour une même cause

Un petit bout de terre mêlant la culture kanake à la culture larzacienne, un petit bout de terre, symboliquement offert par les paysans du Larzac à leurs amis indépendantistes kanaks. Tout commence au début des années 1980 quand le leader indépendantiste kanak, Jean-Marie Tjibaou, soutient la lutte des militants du Larzac pour empêcher l’extension du camp militaire sur le plateau.

Leur lutte est la même : éviter la spoliation de la terre : « Pour eux, ça paraissait évident qu’ils défendent leur terre. Leur terre, c’est leur vie, c’est tout », raconte Pierre Burguière, paysan du Larzac « et le Larzac, pour nous, ça a été pareil, on nous arrachait les tripes. » (France 3 Occitanie, 29 octobre 2018)

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Alain Desjardin, Léopold Jorédié, Jean-Marie Tjibaou et Auguste Guiraud, devant la bergerie de la Blaquière. (DR)

Jean-Marie Tjibaou est venu à deux reprises sur le plateau du Larzac. La première fois, c’était le 4 avril 1985, avec Léopold Jorédié. Entre les Larzaciens et les Kanaks, la magie opère : « Entre sa mémoire et la nôtre, quelque chose se tisse, entre son île lointaine et notre sol caillouteux, quelque chose se noue. Et si c’était cela un chemin coutumier. »

Totem sur le site. (DR)

Le 18 juin 1988, peu de temps après le drame d’Ouvéa (prise d’otages du 22 avril au 5 mai), les Paysans du Larzac donnaient symboliquement aux Kanaks une parcelle de terre et Jean-Marie Tjibaou y plantait un arbre de la liberté. « Je prends possession de la France », avait-il dit avec humour, en coupant le ruban symbolique inaugural de cette parcelle du causse offerte au peuple kanak par les paysans du Larzac.

Et il ajoute : « La première fois que je suis venu, tout de suite, j’ai senti cette communion, ce partage. Quand la terre vous colle à la peau, quand il y a une lutte pour la terre, on est solidaire. Lutte pour la terre, lutte pour les droits sur ce qui fait notre vie, sur ce qui fait la tradition, la référence est essentielle. Aujourd’hui vous êtes très grands parce que vous reconnaissez que nous avons notre patrie chez nous, mais que nous pouvons aussi avoir un petit endroit chez vous que l’on peut tranquillement occuper, sans se faire la guerre. S’il y a souveraineté, cela vous donne le droit d’accueil. Vous avez la souveraineté et vous pouvez nous permettre de planter un arbre. Nous n’avons pas la souveraineté chez nous. Nous n’avons pas la possibilité de vous autoriser de planter un arbre parce qu’on n’est pas encore chez nous, on est chez vous. Je vous dis : peut-être qu’un jour il y aura en Kanaky une maison du Larzac. En tout cas, vous êtes les bienvenus et si on est indépendants on pourra vous inviter pour venir planter un arbre là-bas, un cocotier ou un sapin qui symbolisera non pas une nouvelle invasion, mais je dirais l’échange de la lutte, l’échange de la volonté commune que les hommes et les femmes qui habitent nos deux pays puissent simplement être des hommes et des femmes qui se reconnaissent. Aujourd’hui, on est particulièrement heureux d’être là et de partager vos repas parce que c’est le signe qu’on est des hommes. »

Un an plus tard, le 4 mai 1989,  lors de la levée du deuil de la tuerie de la grotte d’Ouvéa (dix-neuf Kanaks tués), Jean-Marie Tjiabaou et Yéiwéné Yeiwéné étaient tués à leur tour, peu après la cérémonie qui se tenait dans l’enceinte de la grande chefferie de Hwadrilla à Ouvéa, à bout portant, par Djubelly Wéa. Aussitôt, Daniel Fisdlépas, officier de police judiciaire chargé d’assurer la sécurité de Jean-Marie Tjibaou, abat le meurtrier. 

Une cazelle en souvenir

Après cet odieux assassinat, Marie-Claude Tjibaou veuve de Jean-Marie vint à son tour sur le Larzac, et en présence de toute la communauté kanake de Montpellier posa la première pierre d’une cazelle symbolique, le 18 juin 1989 dédiée à la mémoire de Jean-Marie et  « Yéyé ». La cérémonie se termine par le pique-nique traditionnel suivi des chants kanaks.

La cazelle de Tjibaou. (DR)

Terminée le 4 mai 1990, elle fut inaugurée le 18 août 1991.

Construction en pierres sèches, qui se trouve si bien, en ce lieu pittoresque et paisible, comme les bergers le faisaient autrefois sur le Causse pour se protéger du vent et de la pluie, cette construction caussenarde est connue depuis sous le nom de « cazelle de Tjibaou ». Elle est surmontée d’une flèche faîtière de case traditionnelle calédonienne prête à  accueillir tous les hommes de bonne volonté, les visiteurs de passage qui peuvent s’y sentir un peu chez eux.

Intérieur de la Cazelle. (DR)

Rassemblements

Le 12 juin 2005, malgré la distance qui sépare la Kanaky du Larzac,  trois mamans, les trois veuves de ceux qui sont morts à Oueva en 1989 ont voulu témoigner de leur marche difficile, mais nécessaire vers le pardon et la paix. Marie-Claude Tjibaou, son fils Emmanuel et sa compagne, Hnadrune Yéiwéné et son fils Steve, Manaki Wéa, Daniel Fisdiépas, accompagnés de kanak venus de Kanaky et de Montpellier composent la délégation. Un second arbre est planté par les enfants Tjibaou et les « jeunes pousses » du plateau.

Le 15 juin 2008 a eu lieu sur cette terre kanake le traditionnel rassemblement des jeunes Kanaks vivant à Montpellier, Strasbourg et Paris, et des habitants du Larzac.

L’occasion de commémorer les 20 ans du drame de la grotte d’Ouvéa, mais aussi d’inaugurer le nouveau toit de la cazelle refait par les amis du Larzac.

Sur le toit, la flèche faîtière kanake. (DR)

Le 6 juillet 2008, est remis officiellement le titre de propriété de la cazelle au Sénat Coutumier Kanak. En effet, si depuis 1988, les Larzaciens ont offert aux Kanaks une parcelle de leur terre, ce don était jusqu’à présent symbolique. Officiellement, ce petit bout de causse entouré de rochers et de pins sylvestres était géré par la Société Civile des Terres du Larzac (SCTL), c’est-à-dire qu’il appartenait in fine à l’Etat français. C’est Georges Mandoué, représentant du Sénat Coutumier Kanak et la délégation qui l’accompagne qui reçoivent officiellement ce titre de propriété.

Rassemblement le 2 juillet 2000. (DR)

Kanaky Larzac est une parcelle de terre chargée d’histoire située dans un cadre pittoresque et accueillant, à l’ombre d’un ruiniforme, un bout de terre chaleureux à découvrir…

Vue du site. (DR)

Marc Parguel

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