Variations sur le grillon champêtre

Marc Parguel
Lecture 9 min.
© Joël Herreros, mai 2020

[dropcap]L[/dropcap]e grillon champêtre ou grillon des champs (Gryllus campestris) n’est autre que l’insecte très bruyant que l’on rencontre sur nos causses et dans nos campagnes. Il apprécie particulièrement les endroits ensoleillés, les terrains secs, chauds, où la végétation n’est pas trop dense et où il peut creuser facilement le sol. 

On peut l’observer de mai à juillet-août, mais c’est surtout à l’abri des regards, près de son repaire, qu’il marque sa présence par son cri-cri familier (quand ça lui chante) au printemps et début de l’été, ce chant salutaire du crépuscule des journées chaudes.

L’art de tuter le grillon

Les anciens aiment à rappeler qu’étant enfants : « On adorait tous le chant du grillon et quelquefois pour les attirer hors de leur cache il suffisait de les énerver avec une paille ». C’est entendu !

Partir à la chasse aux grillons était une activité prisée des enfants en été. Il s’agissait  de repérer un grillon par son chant, de s’en approcher lentement, puis de trouver le trou (la tute) où l’insecte s’était réfugié.

Le grillon à l’approche du danger © Joël Herreros

Laissons la parole à Jacques Bruyère (1945-2017) sur le sujet : « Tout d’abord repérer le trou, le terrier où se planque l’insecte noiraud…l’ouverture plus ou moins camouflée par une touffe d’herbe que le dégourdi prend soin de ne pas brouter, est de la grosseur d’un petit doigt. Le seuil est comme tassé, particulièrement propre. C’est là que se tenait le chanteur tout à l’heure, mais il est rentré au logis, à l’approche du danger. Yves, adolescent qui se flatte d’être paysan, va le faire sortir. Son petit frère Denis observe. Il apprend par l’exemple l’art de tuter le grillon.

Le grand frère, accroupi, introduit une paille dans le terrier et l’agite doucement. Maître Grillon, chatouillé, va remonter à la surface. Il s’avance. Hop ! le voilà saisi ! Les enfants le mettront en cage ou dans un pot de confiture en verre dont il ne peut franchir la paroi trop lisse. Eventuellement, ils fermeront le tout avec un couvercle percé de trous. Le prisonnier sera nourri d’herbe des champs ou mieux, d’une feuille de laitue qu’il faudra renouveler quotidiennement » (Nature et Patrimoine, Midi-Libre, 26 juillet 2009).

En cas d’échec, le grillon devenu soupçonneux ne s’attrape plus avec cette technique, mais est délogé par l’inondation d’un verre d’eau. Technique plus ou moins lamentable d’apprenti tuteur. Dans le pot de confiture ou la cage prévue pour le récupérer, s’il est convenablement nourri, Maître Grillon pouvait chanter longtemps.

Sur le Larzac, 10 juin 2019. (DR)

Un insecte plutôt casanier

Le mâle ne quitte que rarement son logement, ne s’aventurant jamais loin de son gîte qu’il aura creusé tel un mineur avec ses pattes antérieures, et avec ses pinces mandibulaires, il extraira les graviers volumineux. Il est capable de sauter, mais en raison de son poids, son saut n’est pas spectaculaire et malgré qu’il ait des ailes, elles sont si peu développées qu’il ne peut s’envoler. Près de l’entrée de son trou, il chante et son cri-cri est puissant. Un proverbe africain dit : « Le grillon est tout petit et pourtant on l’entend dans toute la savane ».

En effet, c’est un grand musicien qui peut s’exprimer à toute heure, et sa boite de résonance a une portée pouvant aller jusqu’à 50 mètres. Il a comme un peigne sur ses ailes. Pour chanter, il les frotte. Le grand Jean-Henri Fabre avait constaté une particularité étonnante. Tous les grillons qu’il a étudiés étaient droitiers ! Dans son beau langage, il explique à propos du chant de notre petit ami que son élytre droit est toujours disposé par-dessus le gauche. L’élytre droit, c’est l’archet qui vient, avec ses 150 « dents » gratter l’élytre gauche et ses échelons.

Seul le mâle chante par stridulation. Trois types de chants sont interprétés : 

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  • Le chant d’appel sexuel a pour fonction d’attirer et de guider la femelle vers son territoire. La femelle contrainte de quitter son terrier pour aller chercher un compagnon, une fois la maturité sexuelle atteinte, aura comme préférence le meilleur chanteur «à ses oreilles ».
  • Le chant de cour se veut un prélude à l’accouplement
  • La stridulation d’agressivité vise à intimider un autre mâle, accompagner un duel ou manifester une victoire. En effet, il n’est pas rare de voir deux mâles combattre, les deux rivaux se battent parfois pour un territoire ou pour le cœur d’une femelle.

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DR

Porte-bonheur

Le grillon champêtre est un paisible végétarien, il est associé à la vie simple et heureuse.  Dans un vieux bestiaire occitan, il est dit que « la nature du grillon est d’aimer sa chanson et de s’en réjouir tellement qu’il ne cherche pas de nourriture et qu’il meurt en chantant ». 

Son chant, sa présence, portent chance et bonheur. On lui prête aussi le pouvoir d’attirer la fortune. En effet, il a toujours été rattaché à la prospérité des maisons dans laquelle il s’installait. Il aime la chaleur d’un foyer, où il entend la vie. Les hommes du Midi jusqu’en Chine, pour forcer un peu le destin, ont eu l’idée de le capturer l’insecte magique et de le tenir en cage au bord de leur fenêtre pour profiter de sa protection.

A la froide saison, le grillon s’installe tout seul, chez les boulangers très souvent, à la chaleur du four. Il arrive qu’on leur donne un peu de confiture comme gourmandise. Un proverbe disait : « Si les boulangers ne font pas plus souvent banqueroute, c’est parce qu’ils ont toujours des grillons autour d’eux ».

Par ailleurs, l’expression « le grillon du foyer » désigne une parfaite ménagère. Le grillon est aussi dans le sud un signe d’abondance financière dès lors qu’il s’installe sur un lieu de travail. Mais prenez-garde si vous  tuez ce virtuose de l’archet, sa symbolique positive se transformerait en du négatif.

Pour un promeneur en été, le seul fait d’entendre son cri-cri embellit votre journée.

Sur le Larzac, 10 juin 2019. (DR)

Jacques Bruyère nous apporte de plus amples informations sur cet insecte musicien : « Tout va bien quand le grillon chante, mais si, subitement, il se tait, il y a du souci à se faire. Le grillon passe parfois des messages que certains savent décoder. On raconte l’histoire d’un paysan qui, avant de vendre son blé, consulter son grillon préféré. Si le brave insecte chantait, l’homme se rendait à la foire. S’il restait muet, il ne se déplaçait pas. Cela permit à l’agriculteur de faire de très bonnes affaires, parait-il. 

L’observation de l’orientation du trou du grillon dans les prés donne de précieuses indications sur le climat à venir, selon d’anciennes croyances. Si le terrier s’ouvre au sud, l’hiver sera rude ; s’il s’ouvre au nord, l’hiver sera doux » (Nature et Patrimoine, Midi-Libre, 26 juillet 2009).

Le grillon n’a jamais eu les honneurs d’une fable de la Fontaine, mais de grands auteurs l’ont tout de même célébré, ainsi Jean-Henri Fabre dans ses souvenirs entomologiques lui a consacré une fable, et Jean-Pierre Claris de Florian (1755-1794) notre fabuliste gardois l’a lui aussi mis en scène lui donnant des paroles depuis passées à la postérité : « Pour vivre heureux, vivons cachés ».

Marc Parguel

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