Causses et vallées

Le pèlerinage de Saint-Marcellin

Le village de Saint-Marcellin, situé à 4 km en amont du Rozier, rive droite du Tarn, est blotti sous les majestueuses falaises du Causse de Sauveterre. La petite cloche de sa chapelle résonne encore chaque année de sa note cristalline pour annoncer le traditionnel pèlerinage perpétuant ainsi le souvenir de celui qui s’y tenait autrefois et qui mobilisait  de nombreuses paroisses.

Aucune route ne dessert ce village. Pour s’y rendre, les pèlerins doivent partir à pied de Liaucous par un sentier en moyenne corniche, d’autres du Causse au-dessus du site, et les autres peuvent emprunter le « sentier Pierre Goth » qui part du Mas de Lafont et monte directement jusqu’à l’ermitage en ¾ d’heure.

Le village de Saint-Marcellin blotti sous les falaises 2 juin 2019. (DR)

Cette modeste chapelle romane avec son prieuré, son minuscule cimetière (12m2), bâtis au pied d’une masse rocheuse domine le Mas de Lafont, avec ses maisons, son four à pain, sa source et son château troglodyte surplombant de 400 mètres les eaux vives de la rivière du Tarn.

La chapelle de Saint-Marcellin en 1900. (DR)

Un pèlerinage y fut établi (mentionné pour la première fois en 1630) l’occasion de remémorer la visite pastorale que fit l’évêque François d’Estaing, le 11 juillet 1507, pour célébrer Saint-Marcellin martyr romain exécuté en l’an 304 et son compagnon Saint-Pierre en rapport avec la liturgie romaine au second jour du mois de juin. Par commodité, ce pèlerinage pouvait se tenir le dernier dimanche de mai. Il était fréquenté par de nombreuses communautés.

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Saint-Marcellin était fort populaire, à en juger les nombreux legs en huile pour son luminaire. Le prieur du lieu reçevait des offrandes de laine, de l’argent, des agneaux.

Les populations des environs venaient en pèlerinage dans ce village perché pour demander la pluie, de bonnes récoltes et l’absence de grêles. On y venait de loin, de très loin…comme nous le rappelle l’Abbé Solanet « Sur le plateau, à la hauteur des Paillasses, nous trouvons une vieille draille ou chemin dont le nom est intimement lié au pèlerinage de Saint-Marcellin et à Saint Marcellin lui-même. On l’appelle le chemin de Saint Germain du Teil, et c’est par cette voie que les pèlerins des différentes paroisses se rendaient à Saint-Marcellin. De ce lieu à Saint Germain du Teil, il n’y a pas moins de trente kilomètres de distance » (Les Gorges du Tarn illustrées, 1894).

Faute de place, les pèlerins, qui arrivaient la veille, devaient dormir dans la chapelle qui était de dimensions très modestes (10m x 4m). Mais il n’y avait pas d’autre choix, en effet, pour cheminer dans le hameau, l’accès était si étroit, qu’on était même obligé d’enterrer les paroissiens dans le chemin. Ceci nous est décrit lors d’une enquête pastorale effectuée le 12 juin 1738 : « Il n’y a point de cimetière. Le curé nous a dit qu’il enterrait dans l’église, ou dans le chemin qui est vis-à-vis de l’église. Nous avons remarqué qu’on pourrait enfermer un petit terrain qui est depuis la maison du paysan jusqu’au mur du sanctuaire de l’église. Nous avons ensuite remarqué qu’on ne peut arriver à cette église qu’en descendant une côte par un petit sentier fort étroit et bordé d’un précipice affreux. » (A. Départementales, 1738, G. 114, fol.81).

Les paroissiens du Rozier, Saint-Rome-de-Dolan, Saint-Georges-de-Lévéjac, Inos et le Recoux y accouraient en processions en même temps que ceux de Saint-Préjet-du-Tarn et de la Malène.

Vitrail représentant Saint-Marcellin dans la chapelle. (DR)

 L’accès difficile et mal aisé faisait qu’ordinairement seuls les gens jeunes et très valides y participaient.

Saint-Marcellin n’était pas invoqué que pour la pluie ou la protection du bétail. Les archives montrent que l’on allait à lui contre la peste : ainsi faisaient les habitants de Compeyre qui se regroupèrent dans l’église de leur village et firent un voeu en 1630 : « Si la peste épargne le village chaque année, nous irons en pèlerinage dans les Gorges prier Saint-Marcellin ». Ce vœu figure encore sur le Monument aux morts du village.

Le monument aux morts de Compeyre. (DR)

On les vit partir ainsi chaque année,  le lundi de Pentecôte (1653) pour honorer Saint-Marcellin qui attire la pluie et repousse les épidémies.

Les paroissiens de Saint-Léons en firent de même (à partir de 1670)  En effet, on trouve dans un texte : « deux livres pour le louage d’une cavale destinée à porter Monsieur le Recteur lors du pèlerinage ou procession de Saint-Marcellin ». Cette dépense figurera dans les dépenses de la communauté de Saint Léons jusqu’en 1793.Ces derniers, à la fin, n’allaient plus jusqu’à l’ermitage, mais s’arrêtaient au bord du plateau qui domine Verrières.

Il en était de même pour les habitants du Causse Méjean, qui se réunissait au lieu dit « les clots » petite enceinte de 8m de large pour obtenir la pluie, lorsque la sècheresse tournait au désastre. L’enclos appelé autrefois « Oratoire Saint Marcellin  »avait été aménagé  faisant face au hameau sur le causse voisin. On peut encore y voir des entailles creusées artificiellement dans le roc pour les genoux des pèlerins qui venait y demander la pluie.

L’agenouilloir des Clôts (Causse Méjean) faisant face à Saint-Marcellin. (DR)

Ils pouvaient prier sur les agenouilloirs, et implorer le Saint face au sanctuaire, sans être obligés de descendre dans la vallée et de remonter jusqu’à l’ermitage.

Selon Jean Delmas, d’après une enquête menée en 1986 : « C’est aussi le seul endroit du Rouergue où on a la mention de jet d’épingles dans la fontaine, rite bien attesté dans d’autres régions et qui était lié ici à une dévotion pour les maladie des yeux… Dans les temps anciens, l’épingle de cuivre ou de laiton devait représenter une valeur monétaire, dans un pays pauvre en numéraire» (Les Saints en Rouergue, Musée du Rouergue, 1987).

Dans le journal local « L’Echo de la Dourbie », un auteur anonyme écrivait : « Avant la révolution, alors que les gens, les seigneurs même n’allaient pas en voiture, on se rendait de tous côtés en pèlerinage à Saint-Marcellin. Quoique les sentiers soient très étroits, souvent même dangereux, tous les ans, on voyait arriver de tous côtés, le jour de la fête du Saint, des paroisses entières ; guidées par leurs pasteurs. Chacune avait son autel privilégié hors de la chapelle. On nous montra encore l’autel de Compeyre et celui du Rozier, qui se composent tout simplement de blocs de pierre, tout nus et sur lesquels le ciseau n’a jamais passé. On se contentait de prier  en silence celui pour l’honneur duquel on avait entrepris le voyage ; on se livrait là à une douce et sainte joie, et on repartait la paix dans le cœur. » (28 août 1841,extrait d’article intitulé Promenade dans la commune de Liaucous et  signé ZZZ, Echo de la Dourbie, 24 octobre 1841).

Le cirque de Saint-Marcellin (Fonds Robert Petit)

Les fidèles se rendaient en grand nombre en pèlerinage, mais à partir des années 1720, des désordres de plus en plus graves, finirent par se produire à la faveur de ces manifestations religieuses. Des querelles de partis, des rivalités de villages, des rixes sanglantes, de copieuses libations, transformèrent trop souvent en scène d’horreur et de dévergondage les traditionnels rassemblements de Saint-Marcellin, dont les prières et l’édification étaient l’unique but. Comme nous le rappelle Achille Foulquier : « Un beau jour, les pèlerins de la Malène et ceux de Saint-Georges s’y livrèrent une vraie bataille. Ils cognèrent dru les uns contre les autres à coups de bâtons, à coups de parapluies et, ajoute la tradition orale, à coup de croix processionnelles ! » (Monographie de Saint-Préjet du Tarn, 1908).

Une lettre de Mgr Choiseul-Beaupré, évêque de Mende, datée de 1729, nous apprend que le 2 juin de cette année-là, les paroissiennes de la Malène et de Saint-Georges, prétextant quelques griefs réciproques commencèrent à s’affronter, d’abord par l’injure, ensuite à grands coups de parapluies et de cailloux !

Les bons curés essayèrent bien de calmer leur rixe, les exhortant à taire leurs emportements, mais rien n’y fit, leurs bons arguments furent vains et une bagarre générale, toute féminine s’en suivit !

Les maris avaient regardé le début de la « rencontre » avec un certain amusement, mais dès que des blessées commencèrent à souffrir de plaies sanguinolentes, ils volèrent au secours de leurs épouses, et les beaux-pères de leurs brus ! Une mêlée extraordinaire à coup de poings, de pierres et de bâtons couvrit les cantiques des autres paroisses.

Au bout de l’affrontement, on releva plusieurs blessés, grièvement atteints et même un borgne… ! On s’en doute, l’affaire fit grand scandale. On ne parlait plus que de cette histoire dans les Gorges et sur les Causses !

Le chemin étroit qui longe le hameau. (DR)

Mgr Choiseul-Beaupré dut prendre des mesures pour rétablir son autorité épiscopale et même des vicaires avaient pris parti ! C’est ainsi qu’il dût supprimer procession et pèlerinage à Saint-Marcellin à la date du 2 juin, interdisant même aux « paroissiens du Rozier, de Saint-Rome, de Saint-Georges, d’Inos, du Recoux, de Saint-Préjet et de la Malène d’y aller et aux sieurs curés, vicaires et autres ecclésiastiques des dites paroisses de les y conduire en processions ».

Ce fait nous est rappelé dans cet acte daté du 22 juillet 1729, retrouvé par Achille Foulquié aux archives du presbytère du Recoux :  « Gabriel-Florent de Choiseul-Beaupré, par la miséricorde divine et la grâce du Saint-Siège apostolique, évêque et seigneur de Mende, Comte du Gévaudan, Conseiller du Roi en tous ses conseils, savoir faisons qu’il nous a été représenté par le sieur curé de Laval, notre vicaire forain, que plusieurs paroisses de notre diocèse, savoir : le Rozier, St-Rome-de-Dolan, Saint-Georges, Inos, le Recoux, St-Préjet-du-Tarn et la Malène, vont en procession, tous les ans environ, le deux juin, à une église champêtre, dédiée à Saint-Marcellin, martyr, et située dans les côtes du Tarn, à l’entrée du Rouergue ; que cette procession, ou il ne se trouve ordinairement que des jeunes gens de l’un et de l’autre sexe, bien loin de se faire avec dévotion et piété, donne occasion à de grands désordres et même à des abus et des excès contraires aux bonnes mœurs ; que environ le 2 juin de la présente année, les paroisses de la Malène et de Saint-Georges s’y étant rencontrées, les paroissiens s’étaient querellés et battus ; qu’il y en eut de part et d’autre un grand nombre fort maltraités et plusieurs grièvement blessés, que l’animosité de ces deux paroisses était si grande qu’elles n’écoutaient point la voix de leurs curés qui les exhortaient à calmer leurs emportements et que des manifestations où se glisse tant d’abus et de scandale, irritent la colère de Dieu, au lieu d’attirer sur nous ses grâces et ses miséricordes : ce considéré qu’il nous plût interdire lesdites processions.

Nous, de notre autorité ordinaire et épiscopale, avons interdit et interdisons pour toujours lesdites processions qui se font le deux juin à ladite église de Saint-Marcellin, et faisons inhibitions et défenses, sous les peines de droit, aux paroissiens du Rozier, de St Rome de Dolan, de Saint-Georges, d’Inos, du Recoux, de St-Préjet-du-Tarn et de la Malène d’y aller, et aux sieurs curés, vicaires, ou autres ecclésiastiques des dites paroisses de les y conduire en procession ; et leur défendons pareillement de sortir jamais de leurs paroisses en procession, sous quelque prétexte que ce soit, sans notre permission par écrit.

Néanmoins, lesdits sieurs curés, pour entretenir la piété des fidèles, pourront, chaque année, ledit jour deux juin, fête de Saint-Marcellin, faire une procession autour de leurs églises et célébrer une messe solennelle à laquelle ils inviteront le peuple, le dimanche précédent, afin de demander à Dieu la conservation des fruits de la terre. Mandons et enjoignons aux dits sieurs curés de publier la présente ordonnance aux prônes de leurs messes paroissiales, trois dimanches consécutifs, de manière à ce que personne n’en ignore et qu’eux et leurs paroissiens s’y conforment et y obéissent. Donné à Mende, dans notre palais épiscopal…le 22 juillet 1729 » (Ordonnance de Mgr de Choiseul portant suppression des pèlerinages de St-Marcellin)

Ainsi, le pèlerinage de ces communautés tomba-t-il en désuétude…

La source de Saint-Marcellin. (DR)

Les habitants des Vignes fréquentaient donc avec assiduité les pèlerinages de Saint-Gervais au Truel (Gorges de la Jonte), de la Malène où ils grimpaient jusqu’à la statue de la Vierge.

Quant à Compeyre, nous l’avons dit, ils ne vinrent plus jusqu’à Saint-Marcellin après 1793, se contentant d’implorer le saint depuis la Glène.

Le pèlerinage continua d’exister cependant comme nous le rappellerait si besoin Alexis Solanet : « Au début du XIXe siècle et plus tard, jusque vers 1830, la chapelle de Saint-Marcellin était encore le centre d’un mouvement religieux considérable. La fête du saint est fixée par la liturgie romaine au second jour du mois de juin ; si nos souvenirs nous servent bien, elle était un peu anticipée, et c’est vers le milieu du mois de mai qu’avait lieu la solennité. Les prêtres et les fidèles des localités voisines, et quelquefois des paroisses les plus excentriques de la région, s’y rendaient en foule » (Les Gorges du Tarn illustrées, 1894).

Le même auteur confirme à la fin du XIXe siècle que le pèlerinage continuait : « Actuellement la chapelle de Saint-Marcellin appartient à la circonscription  paroissiale de Liaucoux (Aveyron)… M. le curé du Liaucoux ou ses confrères du voisinage y viennent célébrer la sainte messe à charge par eux, le petit sanctuaire étant dans le plus complet dénuement, d’apporter le pain d’autel, le calice, les ornements, et tout ce qui est nécessaire pour l’oblation du Saint Sacrifice ».

En revanche, l’agenouilloir qui faisait face sur le Causse Méjean  n’était plus utilisé puisqu’on ne le trouve plus mentionné lors d’une enquête faite auprès des instituteurs de Saint-Pierre-des-Tripiers en 1862 et 1874 (Cote1 T 682-176, archives départementales de la Lozère).

Voici ce qu’on pouvait lire dans la revue religieuse en 1897 : « Malgré l’aspérité de la route et l’éloignement de toute paroisse, près de 300 pèlerins conduits par leurs pasteurs, au nombre de huit, ont fait leur pèlerinage, mercredi, à l’antique ermitage de Saint-Marcellin situé sous un rocher des plus pittoresques de la vallée du Tarn. Le sermon de circonstance a été prononcé par M. le doyen de Peyreleau : une quête fructueuse permettra d’entretenir le petit oratoire romain. Nous voyons avec plaisir que cet antique ermitage de Saint-Marcellin est en voie de reconquérir son antique célébrité » (Revue religieuse du diocèse de Rodez, 11 juin 1897)

Le pèlerinage commença à tomber à désuétude au début du XXe siècle bien que le curé de Liaucous continua de faire des offices, on y venait toujours pour demander la pluie, mais aussi pour la protection du bétail. Ainsi pouvait-on lire : « Un pèlerinage à Saint-Marcellin c’est plus qu’une manifestation du pittoresque pour qui veut comprendre, c’est un enseignement. Il suffit de voir ce paysan des Causses, résolu, haut et sec dans sa blouse noire, de la tribune penchée sur l’autel, comme sur le labeur de la terre serrant de ses mains rudes le buis béni, ornement futur de la jasse ».

Au XXe siècle, les Caussenards viennent demander la protection des récoltes et du bétail, ce qui est d’ailleurs rappelé dans l’un des couplets du chant officiel de Saint-Marcellin « Donne à nos champs, donne à nos vignes, soleil, pluie et fertilité ». Le prêtre bénissait les rameaux de buis ou  » d’amélou  » (amélanchier ) apportés par chacun et que l’on ramenait à la ferme pour les disposer dans les maisons d’habitation ainsi que dans les bergeries.

Il fallut attendre 1943, à l’initiative de Pierre Got (1909-1988) et la paroisse de Liaucous pour que le pèlerinage reprenne. En partant du Mas de la Font une stèle inaugurée le 11 juin 1995, rappelle le souvenir de cet homme (fondateur de l’Alpina, maître gantier) qui explorait les causses depuis les années 1930. Ces dernières années, le pèlerinage a repris bien péniblement, faute de curé, c’est à Liaucous désormais que se situe le vrai départ de ce « chemin de croix » chaque premier dimanche de juin. De là, il faut deux heures pour rallier le hameau niché à flanc de Causse (Midi Libre, 2 juin 2008)

Marc Parguel

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