Actualité

Variation autour de La Couvertoirade : La nuit, tous les chats sont gris (même en période de couvre-feu)

Comme grand nombre de sites touristiques, La Couvertoirade se découvre au grand jour, sous le soleil printanier ou dans la douceur d’un soir d’été après avoir passé l’après-midi à la rivière. Les couleurs des pierres, les petites boutiques, les enseignes, les terrasses des cafés, les cris d’enfants, tout exprime une vie pleine et joyeuse. La Cité résonne d’un trop-plein de vitalité. Les « Oh ! c’est beau ! » et les « Ah ! viens voir par là ! » se répondent comme les chants tyroliens.

DR

Mais imaginez la même scène l’hiver, sous le brouillard tenace venu d’un vent marin. Imaginez la même scène en toute saison, la nuit, quand l’espèce humaine cesse enfin de s’agiter dans tous les sens.

Peut-être ne devrait-on découvrir le patrimoine qu’à la nuit tombée. On longe un mur qui semble nous dominer de tout son poids, on trébuche un peu sur des pavés mal jointés, les réverbères se sont éteints à minuit pile. L’horloge de l’église dort d’un profond sommeil. Un chat, une fouine, une musaraigne, comment savoir, vient de se déplacer furtivement sur notre gauche. C’est quoi ce bruit de tambour qui monte dans la gorge ? Ah, c’est votre cœur qui bat un peu plus fort. La nuit, tout devient possible.

Venez, nous allons grimper sur les remparts pour discuter un peu avec la lune qui tente de trouver le juste milieu entre les ailes du moulin et l’église hospitalière. Le contact de la rampe d’accès avec le creux de la main rassure par sa fraicheur subite. L’envol bruyant des cinq pigeons de la tour ronde nous fait sortir le cœur par la bouche. Respirons, ici, rien de mal ne peut nous arriver. A part, peut-être, la rencontre avec l’âme mal chevillée de quelques chevaliers templiers ou l’ombre sombre de Madame Scipione. Donnons-nous la main. On est tellement plus courageux quand on se tient la main. Une transfusion de courage passe par les doigts.

Publicité
DR

C’est un pays qui est fait pour être arpenté la nuit quand les brebis du transhumant sont rentrées. Le bruit du vent dans les arbres, le craquement d’une brindille, le chant d’une petite hulotte, chaque son est un hommage aux astres morts qui conservent pourtant suffisamment d’énergie pour venir caresser les pierres. Oui, c’est là qu’il faut être. Au cœur de la nuit. Dans cet instant-là. Faire corps avec la pierre. Faire corps avec la lignée des ancêtres. S’asseoir dans le creux d’un muret et regarder le village se serrer dans les bras du château templier. Le monde entier est là, enrobé de silence. C’est un lieu de convergence, un lieu de fugace éternité. C’est un petit bout de monde échappé à l’attraction de l’univers, suspendu dans son espace propre. Un bout de cosmos posé là en plein cœur de l’histoire. Ici, pas de couvre-feu, pas d’attestation, pas de confinement, pas de virus. Ici, il n’y a plus de désordre en nous, nous sommes là où nous devons être. La tragédie du monde ne nous blesse plus.

Aux beaux jours, quand vous reviendrez nous voir, si la nuit vous effraie, posez-vous simplement sur le petit banc de la cour neuve, fermez les yeux et laissez venir en vous la sérénité d’un ciel étoilé. Vous verrez, c’est fou comme cela fait du bien. Nous avons tous besoin d’air.

Via
Solveig Letort
Bouton retour en haut de la page