[dropcap]A[/dropcap]utrefois, le chemin qui partait du Cap du Barry (Pont des Capucins) et arrivait à l’ancienne ferme de Montplaisir, en longeant la voie ferrée, portait officiellement les noms de Rue Paradis ou Rue Montplaisir.
Comme nous le rappellent Jules Artières et Camille Toulouse : « La deuxième de ces dénominations devrait être réservée au chemin qui conduit du Pont Landau à la ferme de Montplaisir. Quant au premier vocable, il est fort ancien. Dans nos archives communales du XIVe siècle, il est question d’un champ appartenant à Antoine del Salés, situé desobre lo mostier de las Morgas, au-dessus du monastère des religieuses (de l’Arpajonie) (Emplacement de la gare actuelle) et appelé Pauc Paradis ou Petit Paradis. Ce champ, qui était grevé de la redevance d’une carte d’annona (mélange de grains) au profit des Charités, appartenait, en 1444, à Jean Cantagrel. » (Millau, ses rues, ses places, ses monuments, 1924)
Le quartier de Montplaisir était appelé aussi « Petit Nice » sans doute à cause de sa bonne orientation et non par allusion au « Pigalle Millavois ». Cette allusion au « Pigalle » venait qu’en 1869, une maison de Tolérance fit son apparition dans la rue Montplaisir à une centaine de mètres du couvent des Clarisses, une porte cloutée et hors d’âge fait office de dernier témoignage de ce temps révolu.
Seule maison de la rue à avoir jadis une façade vierge de fenêtres donnant sur la rue, ses fenêtres ne s’ouvraient que derrière sur la voie ferrée faisant face à une vigne. L’époque n’était pas encore à l’exhibitionnisme.
Le quartier Montplaisir s’est surtout peuplé entre les deux dernières guerres.
Au-dessus des Clarisses, au carrefour du chemin de Viastels, on pouvait voir encore, il y a une cinquantaine d’années, l’ancienne ferme de Montplaisir, qui jadis montrait toute son élégance, coiffée d’une couverture de tuiles vernissées, avec sa galerie à balustres et sa tourelle. Cette demeure paisible était au milieu du XVIIe siècle, une maison des champs, résidence d’été bourgeoise, bien isolée. Plus tard, elle servit de ferme.
Avec son portail monumental ouvrant sur une cour spacieuse à petits galets, et sa terrasse en galerie qui longeait toute la façade la mieux exposée, la ferme de Montplaisir conservait à l’intérieur de sa tour colombière octogonale, de curieuses fresques murales polychromes au premier étage remontant à 1653, avec personnages en costumes de l’époque.
Voici leurs descriptions par Georges Girard : « Les hommes portent large chapeau de feutre sombre et longue perruque brune tombant dans le dos. L’habit bleu porté sur un gilet et la culotte serrant aux genoux des bas montant haut constituèrent au XVIIe siècle une nouveauté dans le costume par l’adoption de ces trois pièces essentielles : culotte, gilet, veste ou habit.
Le personnage de gauche, de sa main gauche tient embouchée cette pipe à tabac à long chalumeau, récemment importée par les marins espagnols et portugais, qui fut fort en vogue en France au temps de la fronde contre Louis XIV (1648-1652). La bonne société bourgeoise devait d’ailleurs délaisser plus tard la pipe à tabac pour la tabatière. De sa main droite, il s’appuie sur un imposant parapluie – un accessoire qui n’apparut en France que dans la moitié du XVIe siècle.
Le personnage de droite, habillé à l’identique, est doté d’une simple canne. L’on peut donc constater que nos deux bourgeois de Montplaisir étaient vraiment « in », comme l’on dit aujourd’hui, ayant adopté une mode toute récente.
La dame est coiffée à la pyramide échafaudant la chevelure, elle porte un ample manteau de couleur bleue sur une longue robe tombant au ras de chaussures noires. » (Images Millavoises, A la recherche du temps passé et perdu)
Propriétaires
Les Richard-Valès venus de Montauban au XVIIe siècle vinrent contracter mariage avec les Perret-Combettes et furent sans doute les constructeurs de cette maison d’été bourgeoise en 1653. Les Molenier-Sapientis s’allièrent avec les Richard et en héritèrent.
Un des membres de cette famille, Pierre-Gabriel Molenier docteur, fut assassiné le soir du 17 août 1792, par une bande de forcenés. Voici les faits :
[padding right= »10% » left= »10% »]« Vers les dix heures et demie, s’est présenté sur la place (d’Armes), Monsieur le Commandant de la gendarmerie, tenant à la main la réquisition que la Municipalité luy avait faite et qui venait de luy être remise à son arrivée de campagne. Monsieur le Commandant de la gendarmerie et le Sr Triadou, officier municipal, escortés d’un détachement de la compagnie des grenadiers, de la Brigade de la gendarmerie, se sont transportés dans la maison de campagne dudit Sr Molenier et nous ont rapporté à leur retour, qu’avant d’y arriver ils avaient reconnu à la lueur des flambeaux des traces de sang, une perruque et une clef double ; que s’étant approchés de la maison, ils s’étaient aperçus que la première porte d’entrée était enfoncée ; qu’étant montés dans les appartements ils avaient trouvé la famille du sieur Molinier plongée dans la désolation et le désespoir ; qu’ils avaient trouvé le Sr Molenier étendu sur un sopha, percé de plusieurs coups et palpitant à peine ; qu’on leur avait rapporté qu’une des filles du Sr Molenier avait reçu deux coups à la tette ; que s’étant informés de la manière dont ce funeste évènement était arrivé, il leur a esté dit qu’après le soupé de la famille, plusieurs personnes s’étaient présentées à la porte en frappant à coups redoublés et demandant à grands cris qu’on leur ouvrit, qu’ils en voulaient à des prêtres réfractaires qu’ils savaient être dans cette maison et qu’ils voulaient en enlever les armes ; que M. Molenier s’étant présenté pour les calmer avait été entraîné hors de sa maison et assassiné ; que le sieur Bourrilhon, inspecteur des droits d’enregistrement qui logeait dans cette campagne, le précepteur d’un fils de M. Molenier et trois de ses domestiques s’étaient évadés pour se dérober au danger dont ils étaient menacés, et qu’on ignorait ce qu’était devenu le précepteur mais que le Sr Bourrilhon était rentré dans la maison, qu’il se plaignait même d’avoir reçu des coups. » (AD 24, folio 153).[/padding]
Ce drame eut un grand retentissement en Rouergue, le docteur Molenier-Sapientis, étant membre d’une des plus honorables familles millavoises.
Par la suite, la ferme de Montplaisir passa aux mains des Gaujal, des Barascud (1863), de la ville de Millau (1866) qui la vendit aux Agulhon (1872) et par succession fut attribué aux Bonald, aux Ischard et aux Costes.
En 1973, la ville de Millau en fit l’acquisition et durant l’été de cette année là, l’urbanisme à outrance condamna la vieille ferme de Montplaisir, joyau architectural qui avait survécu plus de 300 ans, à être complètement rasée, afin de rectifier l’entrée alors en double coude de la rue de Viastels et permettre ainsi le tracé d’une voie plus large.
Marc Parguel