Causses et vallées

Quand « lou Portal d’Abal » s’effondre à la Couvertoirade en 1912

La Couvertoirade, posée sur le plateau du Larzac, se découvre en flânant dans ses ruelles pavées, en s’attardant sur une façade, une porte, une échoppe d’artisans d’art ou un petit bistrot.

Fondée au XIIe siècle par l’ordre des Templiers, cette bourgade fortifiée aux confins du Larzac, est sans doute l’un des plus beaux sites médiévaux conservés en ce jour en France. Pour entrer dans cette cité, vous deviez obligatoirement franchir jusqu’à ces dernières années, « la porte d’amoun », la porte « d’abal » ouverte à l’opposé s’étant effondrée soudainement dans la nuit du 18 au 19 janvier 1912. Longtemps, ce fut le seul élément manquant de l’enceinte.

On doit le regretter d’autant plus que les deux portes et la partie de l’enceinte appartenant à la commune, avaient été classées Monuments Historiques depuis 1895 comme nous le rappelle cet article :

« Par arrêté du 6 avril, M. le Ministre de l’Instruction publique et des Beaux-arts, a classé parmi les monuments historiques, les deux portes de La Couvertoirade, faisant partie des anciens remparts, ainsi que les parties de courtine qui appartiennent à la commune » (Remparts de la Couvertoirade, Messager de Millau, 1er juin 1895).

La Couvertoirade avec « lou Portal d’Albal » en 1900

Voici comment la presse de l’époque a relaté l’effondrement de la porte d’Abal en janvier 1912 :

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La Couvertoirade. Effondrement d’une Tour. Nous apprenons au moment de mettre sous presse que dans la nuit de jeudi à vendredi, la plus belle tour des remparts de la Couvertoirade, c’est-à-dire celle située au midi, s’est effondrée avec grand fracas ; il n’est pas resté une seule pierre debout. Il n’y a heureusement pas eu d’accident de personne. C’est là une perte irréparable au point de vue archéologique ; car, le merveilleux ensemble des fortifications de la Couvertoirade, qui était classé comme monument historique, se trouve de ce fait, considérablement amoindri. Nous faisons des vœux pour que la partie restante de ces remparts soit protégée contre une nouvelle ruine. (Messager de Millau, 20 janvier 1912)

La Couvertoirade, une tour qui s’effondre. Un désastre irréparable s’est produit, la semaine dernière, dans le village si curieux et si intéressant de la Couvertoirade, situé à 870 mètres d’altitude sur le plateau du Larzac, une des tours carrées composant l’enceinte fortifiée, la tour qui commande la porte du Midi s’est effondrée tout à coup, et il ne reste plus aujourd’hui à la place de sa masse imposante qu’un amas de ruines.

Construits en 1439 par les chevaliers de Malte, ces remparts qui sont visités chaque année par un grand nombre de touristes forment une enceinte fortifiée de forme polygonale, appuyés d’un côté sur de grands rochers calcaires. Les courtines crénelées avec chemin de ronde sont élevées de 12 mètres et sont flanquées de cinq tours rondes ouvertes à la gorge, dont une a encore conservé sa couronne de mâchicoulis.

C’est là, affirme le Livret Guide du touriste, édité par le syndicat d’initiative de Millau, un spécimen parfait de l’architecture militaire des chevaliers de Malte, comme à Avignon et en Orient. Ces fortifications avaient été classées au nombre des monuments historiques. Souhaitons que le ministre des Beaux-Arts prenne les mesures nécessaires pour conserver ce qui reste encore debout de ces intéressants vestiges du passé. (L’indépendant Millavois,28 janvier 1912).

« Lou Portal d’Albal » en 1905

Porte basse, elle participait activement au soutènement de la totalité des remparts et sa disparition mettait de fait en péril l’ensemble architectural. Aussi M. Balitrand, député, adressa le 28 janvier 1912, la lettre suivante à M. Berard, sous secrétaire d’État aux beaux-arts, pour lui signaler le désastre qui s’était produit à la Couvertoirade, et lui demanda de prendre des mesures de conservation.

« Je viens d’apprendre par les journaux qu’une des tours de l’enceinte fortifiée de la Couvertoirade (Aveyron), classée comme monument historique, s’est écroulée tout à coup et ne forme plus qu’un amas de ruines. Ces fortifications, plusieurs fois séculaires, et jusqu’ici assez bien conservées, étaient un spécimen remarquable de l’architecture des chevaliers de Malte, qui ont occupé la Couvertoirade jusqu’à la Révolution.

Elles constituaient une des curiosités archéologiques les plus intéressantes de notre pays et attiraient chaque année un assez grand nombre de touristes. Il importe donc, aussi bien au point de vue des intérêts locaux qu’au point de vue plus élevé de la conservation des vestiges de notre histoire, de préserver ce qui subsiste encore des anciens remparts de la Couvertoirade, d’une destruction complète.

Et c’est pourquoi, j’ai l’honneur de vous prier de vouloir bien faire examiner d’urgence les mesures qu’il convient de prendre, soit pour rééditer ou restaurer, s’il est possible, la partie qui s’est effondrée, soit tout au moins pour conserver celle qui reste encore debout. Veuillez agréer, Monsieur le Sous-Secrétaire d’État, et cher Collègue, l’assurance de ma haute considération et de mes sentiments les plus dévoués ». A. Balitrand, député de l’Aveyron (L’indépendant Millavois, 3 février 1912).

La Couvertoirade. La restauration des Remparts

On nous avait fait espérer que la tour Sud écroulée déjà depuis quelque temps sur la voie publique serait rebâtie par l’administration des Beaux-Arts. Hélas, il faut déchanter ! Voici la réponse du ministre interrogé à ce sujet :

« Un devis a été présenté à la suite de l’écroulement de la tour sud pour la restauration des remparts de la Couvertoirade. Ce devis prévoyait la reconstruction de cette tour et divers travaux urgents de consolidation à effectuer aux autres tours et aux murs d’enceinte. La Commission des monuments historiques saisie de ce projet a estimé qu’il n’y avait pas lieu de reconstruire la tour effondrée et que l’administration ne pouvait qu’assurer la conservation des parties non ruinées des remparts.

Elle n’a donc approuvé que les travaux de consolidation prévus au devis précité qui s’élève à 5 945 francs. En raison de la pénurie des ressources de la commune de la Couvertoirade, cette dépense a été entièrement mise à la charge des Beaux-Arts. L’Administration procède, en ce moment, à la passation des marchés. » (Messager de Millau, 3 août 1912)

Les travaux de consolidation commencèrent l’année même : « Les travaux de réparation effectués à notre enceinte fortifiée sont activement poussés et nous avons l’espoir de voir réédifier la tour écroulée grâce à un crédit de 1000 francs que notre conseil municipal vient de voter ». (L’indépendant Millavois,14 septembre 1912). La Grande Guerre arrêta brusquement les choses.

Vue générale avec la porte manquante (années 1960)

Il faudra attendre la Seconde Guerre mondiale pour qu’un chantier de jeunesse reprenne les travaux, puis soixante ans plus tard (novembre 2006) pour que l’équipe municipale décide enfin de reconstruire le premier étage à l’identique de la tour d’entrée. En 2007, la tour s’élève à une dizaine de mètres de hauteur, les travaux de rénovation réalisés par l’entreprise millavoise Auglans ont duré trois mois et couté 80.000 euros, financés par la Direction des affaires culturelles, la Fondation de France, le Conseil général et la région. L’inauguration a eu lieu le 22 août 2007 en présence de Marie-Josée Laborie, maire, et de nombreux élus du département.

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