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Variations autour de La Couvertoirade : Nommer, c’est aimer

« Nommer les choses c’est leur enlever leur danger », écrit Amélie Nothomb. Alors, est-ce pour combattre la peur de l’inconnu que de tout temps, l’homme a donné des noms aux lieux qui l’entourent. Un jour, un homme ou une femme s’est dressé devant le feu de la caverne et a quitté le halo rassurant des flammes pour découvrir le monde. Quand il est revenu, il a dessiné dans les cendres ce qu’il avait vu et la tribu tout entière a baptisé ces terres inconnues.

Cette science particulière que l’on appelle la toponymie révèle ce dont même les plus anciens ne se souviennent plus. Elle est la mémoire des âges. Récemment, une fidèle de la page Facebook de La Couvertoirade s’étonnait qu’ici « on donne des petits noms même aux petites maisons de pierres ». Est-ce parce que notre royaume est suffisamment petit pour que l’on en connaisse le moindre caillou et que l’on nomme ainsi les lieux pour savoir de quoi l’on parle et ne plus avoir peur, jamais ?

Se pencher sur le cadastre, c’est plonger dans un océan de sensation et trouver les clefs qui ouvrent le paysage à la compréhension. Le fonds commun dialectal du Languedoc fourmille de lieux-dits qui sont nés de l’activité ou de la géologie des lieux. Les Traversiers, le Clauzal de l’Armand, le Puech du Devez, les Passadoux, le Pas de la Griffe, Fontvive, mais aussi champs du Cadet, les Canoles, la Cabane du Sourd, noms qu’il suffit d’égrener comme le chapelet d’une prière géographique

Les langues prélatines ont laissé peu de survivances dans le vocabulaire toponymique. Le mot gaulois par exemple le plus souvent retrouvé est celui de leuca, c’est-à-dire lieu en français et qui, ici, se retrouve sous les formes de lac ou lèque. Régordan ou régourdan se retrouve aujourd’hui dans les mots de gour et Dourbie et celui de baume indiquant une grotte vient du gaulois Balma.

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Le latin reste lui essentiel pour comprendre le paysage qui nous entoure. Peyre plantat, les pierres plantées de nos ancêtres, Caze à Jourdas, la maison de Monsieur Jourde est à l’origine de Cazejourdes. Les arbres jouent également un rôle majeur dans l’appellation d’un lieu : Blaquérerie, le lieu des blaques, les chênes, Favarède, Fageole et autre combe del Fau indique une hêtraie (lat : fagus), les Vernières, la Vernède ou plaine de la Vaysse annonce les noisetiers et les aulnes.

D’autres lieux cachent leurs origines dans le tréfonds de l’histoire. Les fameuses « Condamines » indiquent ces belles terres que l’on pouvait travailler en commun (cum domines) et n’allez plus chercher des pistes fourchues sur les hauteurs des villages, les lieux dits des Fourches se souviennent encore du cri des suppliés suspendus aux potences patibulaires. Le Puech du Devez (le deventze : la défense) nomme un espace qui était interdit à l’exploitation agricole, sans doute en vue de le préserver d’un surpâturage.

Si vous tombez sur les conques, les fonts, les aygues et autres roubiou, riousec, alors vous êtes sauvés, vous aurez de quoi noyer votre pastis ou votre chagrin, ce qui revient au même. Quant à La Couvertoirade, il faut y lire l’occitan Coopertorada ayant évolué en Cubertoirata puis en Cobertoriada pour finir en Couvertoirade avec la même racine coberts signifiant : couverture, abri, lieu couvert.

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La mosaïque du monde est si riche qu’il suffit parfois de lire une carte IGN confortablement installé dans son fauteuil de cuir pour voyager sans prendre froid. On ne vous parlera pas des Malpas, Maluzerne, Coste Calde et autre Mont Merdous (vous imaginez? « Allez viens, je t’emmène sur le Mont Merdous » pas très glamour comme invitation).

Prenez plutôt le chemin des Passadoux en direction des Amouriers ou du fameux Mont Aymat que tout le monde aima. Là-haut, il paraît que l’on comprend enfin ce que paradis signifie. Et découvrez La Libertade, assis sur le bord du monde, regard porté sur le sud, un rayon de soleil vous caressant la nuque, si vous êtes attentif, peut être entendrez vous, colporté par la rumeur du vent, l’âme de Georges Bernanos « il n’y a plus beaucoup de liberté dans le monde, c’est entendu, mais il reste encore de l’espace ».

Portez-vous bien, respirez, chantez, dansez et un jour nous pourrons à nouveau « embrasser qui vous voudrez » sous tous les guis du monde.

Via
Solveig Letort
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