Patrimoine millavois

Patrimoine Millavois : La place du Mandarous (2e partie, 1836 – 1903)

En 1836, la ville de Millau qui comptait 9.806 habitants lors de son dernier recensement continuait de se développer et avait déjà débordé l’enceinte du « Tour de ville ». Le Mandarous était le symbole et le nouveau centre rayonnant de cette expansion, par les grandes artères qui poussaient leurs premières ramifications et tendaient de part et d’autre, avec les faubourgs déjà anciens de l’Ayrolle (le Barry), du pont et des Ouliers.

Ces quartiers extérieurs ne se contentaient pas d’accueillir les nouveaux venus de la campagne, ainsi que des artisanats, des industries et des commerces, notamment des hôtelleries. Ils drainaient aussi une partie de la population ancienne, et les belles avenues attiraient de plus en plus les familles riches ou notables de la société millavoise.

De l’Obélisque aux fontaines latérales

Alors que sur la Place d’Armes (Foch) venait de s’élever en 1835, la fontaine des lions. Les habitants du Mandarous voulurent avoir eux aussi leur grande fontaine centrale. Dans l’attente d’un monument, on installa une borne-fontaine « à pression », mais elle ne pouvait évidemment pas suffire.

Depuis que l’obélisque de Louksor, monolithe, avait été dressé à Paris, Place de la Concorde en 1836, cette forme de colonne pyramidale devint à la mode et les Millavois demandèrent l’autorisation de faire construire à leurs frais le même type de monument avec une fontaine sur l’emplacement ou à côté de celui où se trouvait l’arbre de la liberté (délibération communale du 23 juin 1838).

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Parlons de l’arbre de la liberté justement : le 6 octobre 1838, suite aux incidents liés aux trois premiers drapeaux en tôle ou fer blanc fixés à l’arbre qui faisaient du bruit avec le vent, on les remplaça par un drapeau de tissu, dont les claquements au vent de la nuit ne gênaient désormais plus personne.

Au 7 novembre 1838, la fontaine « est sur le point d’être construite », dit le conseil municipal. Elle devait comporter quatre robinets correspondant à autant de  « cuvettes » autour d’un socle quadrangulaire. Celui-ci devait être surmonté d’un obélisque qu’on peut toujours voir au cimetière, bâti en pierres de taille.

L’Obélisque du Mandarous (au cimetière) ©DR

On fit exécuter le branchement pour amener l’eau depuis la conduite qui desservait la fontaine de la Tine. Ce branchement terminé au 7 mai 1839, on inaugura le Monument (Archives municipales, 4D85).

Le 20 juin 1839, comme la fontaine du Rajol était près de tarir, les tanneurs du quartier de la Capelle (des Aldebert, des Guy, des Nazon) qui occupaient 150 ouvriers demandèrent et obtinrent, par arrêté municipal, l’usage d’une partie des « eaux versantes de la fontaine nouvellement construite sur le Mandarous » (Archives municipales, 3D10).

En 1841, comme nous le rappelle Jules Artières : « Ce monument ne tarda pas à être trouvé gênant ; il était d’ailleurs d’un style bien sévère, peu en harmonie avec la gracieuse animation du quartier le plus vivant de la ville. » (Annales de Millau, 1900). On proposait dès lors, de remplacer l’obélisque par une statue de Claude Peyrot, toujours avec fontaine au bas du monument, et M. Daudé de Lavalette, avocat à la Cour de Montpellier avait déjà préparé l’inscription à placer sur le socle : « A Peyrot, prieur de Pradinas, la ville de Millau et le Conseil général de l’Aveyron ont élevé ce monument, au nom des cultivateurs de l’Ancien Rouergue dont il a chanté les travaux et embelli le langage dans des vers aussi purs que ceux de la fontaine ». Ce projet restera dans les cartons. Claude Peyrot aura bien son monument, mais au jardin André Malraux et il fallut attendre 1909 pour le réaliser.

L’arbre de la liberté était toujours bien présent en 1841. En septembre de cette année là, lors des émeutes occasionnées par un recensement fiscal, la populace rassemblée sur le Mandarous pour y conspuer et y lapider les autorités, s’accorda l’intermède d’une farandole autour de l’arbre de la liberté.

Mais les jours de cet arbre étaient comptés tout comme ceux de l’Obélisque.

Le Mandarous en 1865. Photo de Bouillier « peintre-photographe » ©DR

Le 13 mai 1846, le conseil municipal « propose la vente du fer de l’Arbre de la liberté, qui a été enlevé depuis quelque temps de la Place du Mandarous ».

Quant à l’obélisque, sous le rapport de M. de Broca, après réclamations de certains habitants, on décida de l’enlever. Comme on tenait surtout à la fontaine, utile aux aubergistes et rouliers du quartier, on installa « sur les côtés latéraux » du Mandarous, deux vasques.

Ainsi peut-on lire dans la délibération communale du 12 mai 1846 : « la fontaine actuelle sera supprimée et il en sera construit deux autres par les soins de l’Administration, au centre des deux hémicycles latéraux de la même place, conformément au plan dressé par l’architecte de la ville ».

L’obélisque fut transporté au cimetière où il est encore, à présent privé d’une croix qu’il porta longtemps à son sommet et dont la rouille dut avoir raison. On remarque encore sur les quatre faces du socle, les anciennes ouvertures, aujourd’hui obturées, qui donnaient passage aux tuyaux de la fontaine.

Les travaux allèrent bon train et sur les deux fontaines projetées, on adjugea les eaux de la nouvelle fontaine côté est, le 26 décembre 1847. Les deux vasques placées furent vite l’objet de critiques à cause de leur « forme disgracieuse qui n’était nullement en harmonie avec la place ».

Les gens qui les connurent les décrivaient sans enthousiasme. Ainsi, Justin Boit qui témoignaient quelque trente ans plus tard, disait qu’enfant il les voyait comme « deux bassins enceignant chacun une quille cannelée », de proportions, selon lui fort étriquées par rapport aux dimensions du Mandarous, qu’elles prétendaient agrémenter. On avait, dit-il, trouvé mesquins les « quatre petits bassins » établis précédemment au pied de l’obélisque monumental, mais, quand on vit la nouvelle réalisation, « tout le monde se récria ».

Vint le tour du populaire Gaubert, gagne-petit connu sous l’escaïs de « Trois pour deux », à qui l’ont demandait ce qu’il pensait des nouvelles fontaines ? « Dé que diable tu veux que je pense ? Je pense qu’on a démoli une poulide (belle) pour en faire deux traces (petites) » (Le Millavois, 26 octobre 1878).

Dans sa réunion du 14 mai 1855, le conseil municipal du même avis que nos témoins, critiqua l’œuvre de ses prédécesseurs, commentaire qui allait être fatal à nos deux fontaines. Profitant du nivellement de la place, on les supprima et on prit la décision d’équiper le tour du Mandarous et d’autres quartiers de bornes-fontaines à poussoir en bordure des trottoirs. Au Mandarous, trois bornes-fontaines à pression furent placées, aux angles des trottoirs, sur les entrées de l’Ayrolle, du boulevard de Bonald et de la Monte. Des becs de gaz allaient les rejoindre en 1856-57, mis en service en 1858, puis les platanes en 1861.

Vue de l’Ayrolle depuis le Mandarous en 1865. On lit sur la gauche une partie de l’enseigne de l’Hôtel Redon. ©DR

Léon Roux (1858-1935) évoque le Mandarous de sa jeunesse et notamment l’Hôtel Redon (1845-1868) situé à la place de l’Hôtel du commerce, entre temps appelé Hôtel du Mouton couronné : « Sur le Mandarous se trouvait le plus grand, le plus achalandé des hôtels de la ville, l’hôtel Redon, renommé pour sa bonne cuisine et par son confort qui, sans être moderne, et peut-être à cause de cela, n’en était pas moins agréable. C’est là que descendaient, sortant de la diligence de l’entreprise Bimar, les voyageurs de commerce venant de Paris et des grandes villes, les visiteurs de marque, les hauts fonctionnaires en tournée d’inspection. Pas de touristes ; les Gorges du Tarn étaient encore ignorées, oserai-je ajouter, même des Millavois.

Les boutiques des maisons du Mandarous étaient les cafés les plus grands, les mieux achalandés, les plus fréquentés les dimanches ; parmi eux était le café Garlenq, devenu plus tard le café Cabannes, rendez-vous de la jeunesse dorée millavoise et des bourgeois qui délaissaient le « Cercle de l’Industrie ». Il y avait aussi la grande poste et quelques commerçants : la pharmacie Maurel, la quincaillerie Ricateau, d’où sortirent les premières lampes à essence minérale dont on se servit à Millau ; le bureau de tabac des demoiselles Teulon ; le sellier-bourrelier Cora ; le ferblantier Layral, le barbier Pomarède, aussi arracheur de dents. Un peu à côté de la place, boulevard de la Capelle, non en boutique, mais au premier étage, était le concurrent de Pomarède, pour qui le père Baldoux, poète local, avait fait le quatrain qu’on lisait sur l’enseigne peinte par Vincent :

« Pour vous remettre à neuf, vous faut-il un barbier ?
Vous n’avez, beaux messieurs, qu’à monter au premier
Le jeune Cantagrel, ô prodige d’adresse !
Vous rase la figure et jamais ne la blesse »

Le monument commémoratif en 1900 ©DR

« Entre 1858 et 1868, on voyait en permanence, sur le Mandarous, deux types bien curieux et amusants. C’étaient Pierrou et Josépou, tous deux anciens soldats de la conquête algérienne. On n’aurait pu dire qu’ils avaient pris des habitudes de tempérance au régiment, car ils étaient toujours dans la brindezingue. S’ils gagnaient peu à peu quelques corvées qu’on leur donnait à faire, ils vivotaient quand même ; le vin ne coûtait alors que quatre sous le litre et « la goutte » un sou. Si leur ivresse était manifeste et publique, comme disent les gendarmes verbalisant, elle n’était ni dangereuse ni bien désagréable pour autrui. » (Messager de Millau, 9 janvier 1932)

En 1880, un premier kiosque à journaux fut établi, par un sieur Leignadier, de Paris, sur le trottoir à l’angle ouest de la route de Paris. Il devait rester là jusqu’à l’été 1926 (voir article Louis Monteillet et son kiosque à journaux, Millavois.com, 6 octobre 2019).

Des travaux font parfois ressortir des vestiges du passé comme nous l’apprend cet article paru dans le Journal de l’Aveyron le 13 juin 1889 : « En creusant sur la place du Mandarous une tranchée d’égout, on a mis à nu un grand nombre d’ossements humains. Il y avait là jadis un cimetière au commencement du dix-huitième siècle ».

Le monument commémoratif et le kiosque. ©DR

Pour embellir la place, quatre gros candélabres furent ensuite placés en 1893 remplaçant les becs de gaz de type normal qui éclairaient la partie semi-circulaire du Mandarous au débouché des avenues. Ils furent déplacés au Jardin de la Mairie lors de son aménagement, en vertu d’un vote par le conseil municipal du 3 mars 1950.

Quatre ans après le placement de ces lampadaires, c’est le Monument commémoratif à la mémoire des enfants de l’arrondissement de Millau, morts pour la France en 1870-71, qui fut inauguré solennellement le dimanche 24 octobre 1897, sur un Mandarous noir de monde.

Voisinant avec le Kiosque à journaux, la Marianne ne manquait pas de caractère. (voir article le Monument commémoratif de 1870, Millavois.com, 16 septembre 2018)
Pour mieux mettre en valeur cette œuvre d’art ou la garder à l’abri des gamins escaladant le piédestal et de toutes autres familiarités, on l’entoura, le 26 septembre 1903, d’une belle grille en fer forgé due au serrurier millavois Brengues.

A suivre…

Marc Parguel

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