Patrimoine millavois

Patrimoine Millavois : La place du Mandarous (1re partie, 1789 – 1836)

Qui mieux que Jules Artières (1864-1961), historien de Millau, pourrait définir la Place du Mandarous : « Le Mandarous, c’est sinon Millau tout entier, du moins son organe vital, son cœur, si l’on veut, cœur d’où partent les grandes artères qui sillonnent la ville, cœur où palpite la foule lors des grandes manifestations populaires. Millau ne serait plus Millau si le Mandarous disparaissait, et nous, Millavois, sommes aussi fiers de notre belle Place que les Marseillais de leur fameuse Canebière » (Millau à travers les siècles, p.411, 1943)

D’où vient ce nom de Mandarous ? D’un nom propre : Guillem Mandaros qui figure sur l’Obituaire du prieuré. On sait qu’une famille de cordonnier portant le nom de Mandarous exerçait au XIVe siècle, celle-ci est très certainement à l’origine du nom de la rue (rue de Mandaros, 1292) voir article la rue du Mandarous (Millavois.com, 20 janvier 2019) qui par extension donna son identité à la place.

Avant d’être une place, on parlait du quartier de Mandaros (1332), c’était à l’origine un espace vide avec des formes peu géométriques situé devant la porte du Mandarous. Au Moyen-âge, il y avait « hors la Porte du Mandarous » un cimetière des juifs : « lo cemetery des Jouzious ». Ce cimetière devint, vers 1600, la propriété des protestants qui y enterrèrent leurs morts jusqu’à l’époque où l’ont ouvrit le premier chemin royal Millau-Montauban. Sur l’emplacement de l’enclos du cimetière, on avait implanté la principale entrée de la ville, détrônant à cet égard celle de l’Ayrolle et de la rue Droite.

Création de la place (1789-1801)

Le premier projet de l’établissement de la Place du Mandarous date de l’Ancien Régime. Lorsqu’on eut établi les grandes routes de Paris (1776) et de Rodez (1746), le point d’intersection des deux grandes voies forma un carrefour où l’établissement d’une grande et belle place était tout indiqué. L’administration de la Haute-Guyenne avait fait à cette époque un projet d’établissement d’une place digne de ce nom, qui ne se réalisa que peu à peu.

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Au commencement de la Révolution française, on parlait déjà couramment de « la place du Mandarous » alors qu’elle n’était même pas dégagée de ses jardins.

Le 5 mars 1789, il est question de « la place située hors la porte du Mandarous, sur laquelle des particuliers déposent des matériaux qui interceptent les grandes routes de Paris et de Montauban » (Archives municipales, BB21). La milice communale (future garde nationale s’y rassembla, le soir du dimanche 2 août 1789.

Vue aérienne de la Place du Mandarous en 1952 ©DR

En 1792, plusieurs délibérations furent prises pour décider de l’achat des terrains nécessaires. Le 30 mars 1792, la municipalité de Millau, sous l’administration de M. de St-Martin-Valogne, mentionne « la demi-lune qui doit être formée sur ce local d’après la délibération de l’ancienne administration de la Haute-Guienne ».

Le 30 prairial an 2 (18 juin 1794), on fit solennellement l’inauguration des nouveaux noms donnés aux deux principales places de la ville. Ainsi la place Vieille (actuelle place Foch) fut nommée « Place de la Révolution », tandis que la Place du Mandarous allait prendre le nom de « Place de la Montagne ». (Archives municipales, 4 D 79). La place de la Capelle n’existait pas encore sous sa forme actuelle, on la connaissait alors sous le nom de l’Esplanade ou « la Plate-forme » de la Capelle (voir article le Calvaire de l’Esplanade de la Capelle, Millavois.com, 30 mai 2019).

En 1796, la réalisation de la demi-lune prévue n’avait pas encore commencé. Le 11 messidor (29 juin 1796), la Nation, substituée à la Commune dans la propriété de l’Enclos des Cordeliers en vertu d’une loi du 24 août 1793, vendit ledit Enclos à Samuel Enjalbert, en réservant « le terrain de l’emplacement de la demi-lune à construire à la jonction des grandes routes » (Verlaguet, ventes des biens nationaux de l’Aveyron, t.III).

Les travaux commencèrent en 1797 d’abord côté nord-ouest, puis côté nord –est.

Le nom de « Place de la Montagne » donné au Mandarous en 1794 plutôt malsonnant, cet espace devint « la place de la liberté » en 1797 au moment où les révolutionnaires plantèrent un arbre sur la place qui était loin d’être terminé. Cet arbre vivant de la liberté apparaît le 27 août puis le 4 septembre 1797, où un autel de la patrie avait été élevé auprès de lui (Archives municipales, 2D35, 1D26).

Marqué par l’indifférence des Millavois, cet arbre dont les racines reposaient dans un sous-sol rocheux ne reçut comme arrosage durant son existence, au-delà de la pluie, que celle de quelques chiens errants. Sec au bout de trois ans, on l’arracha, ce qui déplut fortement au préfet de l’Aveyron M. Sainthorent, fonctionnaire et ancien sans-culotte qui prit un arrêté le 22 septembre 1800 « relatif à la plantation des arbres de la Liberté dans les communes où ils sont morts ». Le maire de Millau sans enthousiasme répondit le 1er octobre 1800 : « Nous ferons planter un arbre de liberté à la Place du Mandarous dès que nous pourrons le remplacer » (9 vendémiaire an IX, archives municipales, 4 D 81).

L’arbre et surtout la dépense que cela allait engendrer n’enchantaient guère nos édiles qui n’avaient qu’un objectif : finaliser la conception de leur place. La « Place de la liberté » avec le nouveau siècle redevint « Place du Mandarous ».

Au 31 janvier 1799, le côté nord-ouest de la place étant achevé, des aubergistes ne tardèrent pas à venir s’installer.

Le 1er thermidor an 8 (20 juillet 1800), le maire rappelle que « la formation de cette place avait été arrêtée par délibération de l’administration de Haute-Guienne, et que la place est finie du côté nord-ouest ». Il insiste sur l’urgence d’une réalisation complète, non seulement pour l’embellissement de la ville, mais aussi d’un point de vue utilitaire « pour la tenue des foires et des marchés ». (Archives municipales, 4 D 81).

Le 9 germinal, an IX (30 mars 1801), l’administration préfectorale approuva l’acquisition des parcelles achetées l’année précédente, pour le compte de la Commune, par le maire, M. D’Albis, pour l’achèvement de la demi-lune du Mandarous. Le 15 octobre 1801, on acheva de tracer la demi-lune.

Le puits des Cordeliers

La place nouvellement créée avec son vaste demi-cercle dégagé était désespérément vide, depuis que l’arbre de la liberté avait été retiré. Elle était inégalement bordée d’immeubles, dont la plupart étaient sans doute de dimensions plus modestes que ceux qui, depuis lors, les ont remplacés. Les passants qui s’aventuraient sur la place ne trouvaient comme agrément qu’une oasis : le puits des Cordeliers.

Le puits des Cordeliers, dessin extrait de l’ouvrage « La quête de l’eau », André Fages, 2004 (p.225) ©DR

Dernier témoin de l’ancien jardin des Frères Mineurs, au milieu duquel il se trouvait auparavant, il avait été conservé, car utile aux gens du quartier, aux aubergistes notamment, et à leurs clients, les rouliers et les voyageurs de passage. Situé en bordure des maisons devant l’actuelle école Jeanne d’Arc, il ne gênait en rien la circulation.

Cependant, en 1803, le sieur Etienne Falgayrou, aubergiste, se plaignait que le puits lui causât de la gêne vu son importante maçonnerie de 1,80 mètre de hauteur ; elle lui ôtait la lumière et l’empêchait d’ouvrir une porte pour son appartement. Sa demande reçut un avis favorable et même au-delà de ses désirs, car quoiqu’il désirât conserver le puits muni d’une trappe qu’il fermerait la nuit et ouvrirait le jour, on lui ordonna au printemps 1803 de le murer avec une voûte en pierre, chaux et sable (Archives municipales, 2D 36). Ainsi disparut ce premier point d’eau.

Un projet d’une fontaine

Au moment où la place était sur le point d’être terminée, le maire émit le souhait d’aménager une fontaine sur le Mandarous. Le conseil municipal, obéissant à des soucis d’esthétique autant qu’à des préoccupations pratiques, affirmait le 31 janvier 1799 « que cet ouvrage est d’autant plus intéressant qu’il doit concourir à l’embellissement de la commune et à une utilité généralement reconnue. » Plus loin, on affirmait « que plutôt cet ouvrage sera confectionné et plutôt le public jouira de l’agrément et de l’utilité qu’il présente » (Archives municipales, 1 D 26).

Pour réaliser cet aménagement, on projeta de déplacer la Fontaine de la Tine qui bénéficiait d’un jet d’eau, vers le Mandarous. Le 18 février 1802, le maire demanda à l’ingénieur Billoin de préparer au plus tôt les plans et devis du transfert. Peu favorable, ce dernier fit traîner les travaux. Et le Maire s’en plaignait le 23 avril 1803. Finalement, ce projet avorta, il ne fut plus question dès l’été 1803, d’installer la Tine et son jet d’eau sur la nouvelle place. Le Mandarous se trouva désormais privé de puits et de fontaine.

L’arbre de la liberté de 1830

Les années passent, et la Place du Mandarous voit peu à peu tout son pourtour se garnir d’immeubles.

A l’image de la Révolution française, celle de 1830 amena à replanter un peu partout des arbres de la liberté. Evidemment, le Mandarous eut le sien. A la différence de l’arbre vivant révolutionnaire, celui de 1830 n’était qu’un poteau planté chargé de quincaillerie.

Pierre-Edmond Vivier nous donne des renseignements sur cette période : « Le Mandarous fit fonction de place d’armes, les revues de l’inévitable garde nationale s’y tenaient, ainsi que d’autres manifestations patriotiques à la mode : tous ces rassemblements sur notre demi-lune devaient se faire au pied ou autour de l’arbre de la Liberté. En effet, en dépit du mutisme des documents sur son implantation, un tel emblème existait bien sur notre place, mais il faut attendre 1832 pour le trouver expressément mentionné et c’est- ô scandale ! à l’occasion de sa criminelle destruction par une main aussi anonyme que sacrilège. On lit dans le « Journal de l’Aveyron » du 2 mai 1832 : On écrit de Millau, le 30 avril : « L’arbre tricolore, qui avait été scié pendant la nuit du 12 de ce mois, a été replanté hier sur la place du Mandarous. M. le Sous-préfet a présidé à cette solennité avec le Maire et les adjoints de la ville. La garde nationale était sous les armes. Ce fut un véritable jour de fête pour une partie de la population. Les cris de « Vive le Roi ! » se firent entendre pendant longtemps. On chanta des airs patriotiques dans les rues et sur les places jusqu’à neuf heures du soir. Il n’y eut aucune rixe, aucun désordre ». (Millau et ses arbres de la liberté, Journal de Millau, 21 avril 1989).

L’arbre aux trois couleurs refit parler de lui en 1836. Des documents nous rapportent les « plaintes formées par plusieurs propriétaires de maisons et auberges situées sur la Place du Mandarous, au sujet de bruits que mènent par l’effet du vent, les trois premiers drapeaux en tôle ou fer blanc fixés à l’arbre planté sur ladite place » (Archives municipales, 3 D 10). Le maire, M. Saint-Maur de Gaujal, ordonna, par son arrêté du 5 octobre 1836 de décrocher la clinquante décoration, et les clients désormais purent dormir tranquilles…

A suivre…

Marc Parguel

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