Patrimoine Millavois : Le Palais de Justice

Marc Parguel
Marc Parguel
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Situé au 2 boulevard de l’Ayrolle, le Palais de Justice de Millau a été édifié par Etienne Boissonnade en 1837 sous la municipalité de Philippe de Gaujal-Saint-Maur. Voici son histoire…

Autrefois le tribunal, dénommé la cour royale de l’Ancien Régime, se trouvait à l’emplacement de l’actuelle place des Halles. L’administration de la justice était locataire de la commune en ce lieu.

Les bâtiments de cet ancien tribunal étant devenus fort insuffisants, incommodes et trop exiguës et les divers services ayant peine à y trouver place, l’administration communale songeait depuis longtemps à élever un nouvel édifice.

A cette même époque, se faisait sentir le besoin d’un nouvel Hôtel de Ville, car la partie de l’ancien immeuble de Tauriac qui en faisait fonction (à côté du Beffroi) s’avérait un local « insuffisant et peu convenable à sa destination » (délibération communale 6 novembre1835).

On eut donc l’idée d’associer les deux projets, pensant qu’un terrain provenant de l’ancien couvent des Cordeliers (entre le Mandarous, l’Ayrolle et la rue de la Pépinière) suffirait à les réaliser ensemble.

Aussi, le 6 août 1835, d’après les plans dressés par Etienne-Joseph Boissonnade (1796-1862), architecte départemental depuis 1820, le conseil municipal vota, à la majorité, la construction d’un Palais de Justice et d’un Hôtel de Ville sur le terrain des Cordeliers, puis à l’unanimité, offrit 20 000 francs en sus du terrain, évalué à 15 000 fr., comme contribution de la commune au coût du tribunal.

Le conseil faisait valoir « que le local des Cordeliers (…) qui appartenait à la commune, est entièrement libre et offre un emplacement spacieux et régulier qui entraînera à moins de dépense que ceux indiqués dans l’intérieur de la ville, qui sont beaucoup trop circonscrits, ou dont le sol n’appartient point à la commune, et qui sont occupés par des bâtiments appartenant à divers particuliers, qu’il faudrait acheter et démolir.
Que par sa position au quartier le plus sein et le plus beau, celui vers lequel la ville s’agrandit, et qui est destiné à devenir dans peu le point central, l’emplacement du local des Cordeliers réunit des avantages qu’on ne saurait trouver sur aucun autre point. Et qu’à ces avantages on peut aussi ajouter celui de sa proximité des Prisons et de l’embellissement que procurera à la ville un bâtiment régulier situé au quartier le plus fréquenté. »

La prison construite en 1825. ©DR

Quelques lignes sur la prison : Construite pour remplacer la prison de la Tour du Beffroi, jugée trop vétuste, la nouvelle prison, précède de douze ans la fondation du Palais de Justice, qui sera édifié, nous le verrons Boulevard de l’Ayrolle, 400 mètres au Sud. Edifice également conçu par Etienne-Joseph Boissonade, on pouvait voir en guise d’entrée, une poterne de style médiéval, empiétant sur le trottoir, permettant d’accéder à une bâtisse formée de deux ailes parallèles à l’avenue. Après sa fermeture, elle servit à divers emplois pendant près d’un demi-siècle, avant de devenir… la crèche municipale. Démolie en novembre 1973, au grand soulagement des riverains qui n’appréciaient guère son allure sévère et délabrée, la prison a cédé la place à l’actuel hôtel des postes.

Le maire Philippe de Gaujal-Saint-Maur adressa le 2 septembre 1835 au sous-préfet la délibération votée à l’unanimité par le conseil, qui se chargera de la transmettre au préfet. Mais c’était sans compter, l’opposition de nombreux bourgeois millavois qui avaient leurs maisons dans le vieux Millau et c’est ainsi qu’un contre-projet vit le jour : « Souscription pour la construction d’une place publique et d’un grand édifice destiné à renfermer la Mairie, un Palais de Justice, le tribunal de commerce et la justice de paix, dans l’emplacement des anciens dominicains avec rue aboutissant à la rue droite et promenade publique le long de la rue de l’hôtel de ville projeté ». La place à créer aurait correspondu à peu près à notre place Emma Calvé.

Les justices de paix avaient été créées par la loi des 16-24 avril 1790, comme étant le degré inférieur de la hiérarchie judiciaire. Il existait une justice de paix pour chaque canton.

C’est peut-être l’occasion de rappeler que, dès 1797 et 1799, l’administration municipale avait émis des vœux pour l’établissement à Millau d’un tribunal de commerce.
Ce n’est qu’en 1810 que satisfaction fut enfin donnée. Le décret impérial d’institution des membres du tribunal de commerce de Millau, élus pas une assemblée de notables commerçants fut signé à Saint-Cloud le 28 juin 1810. L’installation eut lieu le 1er septembre suivant et fut faite par le sous-préfet de Millau.

La souscription fut limitée aux habitants du quartier concerné. Vingt-et-un d’entre eux apposèrent leur signature. Citons parmi les souscripteurs, le peintre paysagiste Théodore Richard qui offrait son jardin, le notaire Clément Monestier ou encore le Comte de Vézins, qui avait son hôtel avec jardins sur l’angle nord-est de la place Emma Calvé actuelle, contigu à l’ancien hôtel de Gualy, qui déclarait abandonner la partie de son jardin nécessaire à l’élargissement de la rue projetée entre la future place et la rue droite.

La souscription, une fois close, fut présentée à l’autorité municipale et c’est le 6 novembre 1835 que le conseil devait se prononcer sur cette épineuse question. La délibération nous apprend qu’on voulut couper la poire en deux. L’architecte Boissonnade ayant changé d’opinion et modifié son plan pour ce qui concernait le Palais de justice. Il est dit, en effet, à propos du tribunal, que « l’entier local des Cordeliers est nécessaire pour cette construction ». On décida donc, à l’unanimité, de lui réserver cet emplacement et construire un hôtel de ville « sur le local offert en face des Pénitents, aussitôt que ce local sera rendu libre ».

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Le 30 novembre 1835, le maire De Gaujal écrivait aux divers propriétaires de terrains pour s’assurer qu’ils maintenaient leurs offres. Mais les principaux signataires se retirèrent et rejetèrent en bloc l’idée que le Palais de Justice ne soit pas inclus sur la place projetée.

Ainsi le notaire Monestier écrivit :

J’ai souscrit pour une somme de huit cents francs, non pas seulement, comme vous le dites, Monsieur le Maire, pour l’établissement d’une place publique et d’un hôtel de ville, mais bien en même temps pour la construction d’un grand édifice qui, en renfermant la Mairie, aurait aussi renfermé la justice de paix, les tribunaux civil et du commerce, pour une place, une fontaine au milieu et une promenade. Tous ces objets réunis auraient fait revivre, à mon avis, le centre de la ville et profiter au grand nombre de ceux qui payent l’impôt… Je ne rétracte pas mes offres en totalité, mais l’avantage, surtout pour moi, étant infiniment moindre, le sacrifice de ma part doit l’être aussi…En conséquence…je reste souscripteur pour la somme de deux cent francs, si toutefois le nouveau projet s’exécute bientôt, avant ou aussitôt au moins que celui du Palais de Justice dans un recoin du Mandaroux. Je souscris d’ores et déjà et sans autre condition pour la somme de cent francs.

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Même tonalité du côté de Théodore Richard qui écrit le 1er décembre : « Lorsque je souscrivis la donation de mon jardin, c’était à la condition que le Palais de Justice serait construit sur la place projetée, et comme ce plan devait s’exécuter immédiatement, le quartier que j’habite et ma maison en particulier (située à l’angle de la rue du Prêche) auraient joui des avantages qui devaient en résulter sur le champ ».

On ne désespérait pas pour autant de voir ce projet d’aménagement d’une place et d’un hôtel de ville près de chapelle des Pénitents (Saint Martin) aboutir.

Dès les premiers jours d’avril 1836, la Commission s’occupa de relancer une fois de plus les souscripteurs. On revint ainsi à la charge auprès de Théodore Richard, et la réponse ne tarda pas à venir, non sans un certain agacement. Il écrit ainsi au maire : « J’ai reçu une lettre du 11 du courant, signée par les membres d’une commission chargée d’un projet de place dans l’intérieur de la ville de Millau. J’avais offert mon jardin à la condition que l’on construirait sur cette place un palais de justice. Cette condition n’ayant pas été remplie, je vous dis de vive voix et je vous écrivis que je retirais mon offre. Je persiste dans mon refus ; je vous déclare aussi que je veux entrer pour rien dans la souscription projetée » (Lettre du 21 avril 1836).

A défaut de donateurs pour ce projet, celui-ci fut abandonné. La suite, on la connaît.
Etienne-Joseph Boissonade dressa le plan du nouveau Palais de Justice sur de plus vastes dimensions, dont la dépense fut prévue à hauteur de 80.000 francs (de l’époque).
On sait que Boissonnade avait été plus ou moins heureux dans ses entreprises. Il avait déjà œuvré à Millau à l’hôtel-Dieu en 1824, mais aussi pour la construction de la nouvelle prison en 1825.

10 novembre 2020 ©DR

A Rodez, pour édifier un froid Palais de Justice, il avait commis le vandalisme impardonnable de jeter bas le délicieux cloître gothique des Cordeliers. A Millau, c’est aussi sur l’ancien enclos de ces fils de Saint-François qu’il implanta, sans autre dommage cette fois, le nouveau temple de Thémis.

L’adjudication des travaux eut lieu au mois d’avril 1837 et la cérémonie de la pose de la première pierre le 30 juillet.

La place qu’on avait projetée ne verra le jour qu’une centaine d’années après sous le nom de « la nouvelle place » puis place Emma Calvé. Quant à l’Hôtel de Ville, il fallut attendre près de vingt ans pour qu’il ne soit pas reconstruit, mais déplacé dans l’Hôtel de Pégayrolles (voir article De l’hôtel de Pégayrolles au Musée de Millau, millavois.com, 2 juin 2019)

10 novembre 2020 ©DR

Nous ne parlerons pas ici des affaires judiciaires qui se sont déroulées derrière ses murs, mais citons ce fait divers survenu en 1892 : « Chute. Le sieur Bonnel, concierge au Palais de justice de notre ville, était en train mardi matin (28 juin), de nettoyer les vitres des croisées qui éclairent le cabinet de M. le Président du tribunal civil. Il était à cet effet monté sur une échelle lorsque celle-ci, sans doute mal assujettie, glissa et entraîna avec elle le malheureux Bonnel qui alla rouler sur le parquet. Dans sa chute, le pauvre concierge a reçu de graves contusions à la tête » (Journal de l’Aveyron, 1er juillet 1892)

En août 1896, l’ancien tribunal ou ancienne Cour Royale qui servit par la suite de presbytère de Notre-Dame, et la maison des Rouvelet furent détruites pour laisser place à ce qui allait devenir le marché couvert des « halles » (inaugurée le 1er janvier 1899)

C’est en 1959 qu’ont été, en France, substitués aux 351 tribunaux d’arrondissement ou de première instance, 172 tribunaux de Grande Instance, dont celui de Millau, à raison d’un, en principe, par département (31 départements n’avaient qu’un tribunal, 41 en avaient deux, dont l’Aveyron avec Rodez et Millau, 16 en avaient trois).

De la même façon, la réforme judiciaire de 1959 a substitué aux justices de paix (il y en avait alors 2092) un nombre récent de tribunaux d’instance (455) par arrondissement.

En 1986, face à la grave insuffisance des locaux du palais pour accueillir toutes les juridictions locales, une extension est construite afin de loger le tribunal d’instance et le juge d’application des peines.

Marc Parguel

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