Le domaine fortifié de la Baume avec son enceinte flanquée de tours basses et rondes à intervalles réguliers est situé sur le Causse du Larzac, entre la Cavalerie et la Bastide Pradines, à 3 km au nord-est de Lapanouse-de-Cernon. Son nom lui vient de la présence sur ces terres d’une baume qui servit un temps de cave à fromage et son origine ne semble pas remonter au-delà du XVIIe siècle, où cette métairie était arrentée par Louis de Montcalm à Raymond Cadilhac (A.D. Aveyron, 3 E 11 352, fol.41v.).
Le domaine n’avait alors pas du tout l’aspect fortifié qu’on lui connaît aujourd’hui, ce n’était qu’une modeste ferme. Claire-Charles Géniaux écrivait à son sujet : « Le domaine de la Baume, avec son mur d’enceinte et ses tours rondes, a une allure de vieux château. Lorsque l’on s’en approche, l’on s’aperçoit que ce bel ensemble ne comprend que des bâtiments agricoles entourant à la manière d’un bordj de leur quadrilatère de pierres grises une modeste maison d’habitation. Ce faux manoir que j’avais d’abord daté du seizième au dix-septième siècle ne remonte qu’au Premier Empire. Il fut construit par le Général Solignac, ce soldat laboureur qui, après ses campagnes, revint, comme Cincinnatus, à sa charrue. » (Les moutons du Larzac, Messager de Millau, 14 mars 1936).
Jean-Baptiste Solignac naquit à Millau le 15 mars 1773. C’était « un jovial garçon, débordant de vitalité, résolument optimiste, impulsif, toujours prêt à risquer sa vie comme sa bourse. Plus fait pour l’action brève et rapide que pour des travaux de longue haleine, il était l’homme des « coups durs » » (Général Henri Claveau, Revue du Rouergue, 1953).
Baron d’empire, officier de la Légion d’honneur, chevalier de Saint Louis et commandeur de l’ordre de la couronne de Fer, cet homme hors du commun se trouve aux côtés de Bonaparte et à son service dans les moments les plus décisifs de sa carrière : vendémiaire, brumaire, 1815. Mais l’habile négociateur fut toujours malhabile quand il s’agissait de sa propre cause. De 1808 à 1810, il fut envoyé en Espagne, et fut nommé Gouverneur de la vieille Castille. Il n’avait pas oublié sa terre natale pour autant.
Le 19 février 1810, il acheta pour 77 025 francs le domaine de la Baume à la famille Muret de Sainte Eulalie. En juillet 1811, il avait acquis le domaine voisin du Jas, et le 27 septembre 1821 le domaine de Saint-Martin, dans la même commune de Lapanouse de Cernon. Comme tous les esprits éclairés de son temps, il voulut améliorer les rendements de ces terres d’élevage et il ramena d’Espagne, fin 1810 comme butin de guerre, un troupeau de mille têtes de mérinos, dont il essaya de faire l’élevage sur son domaine. Il tenta d’acclimater sur le Larzac ces brebis mérinos en remplacement de la race du Larzac. Mais ces brebis quittant une douce et chaude température, brusquement transportées sur des terres étrangères, furent parqués dans des localités élevées, sans abris, exposées à toutes les variations atmosphériques, soumises souvent à une nourriture parcimonieuse, surtout alors que la paille était leur seule alimentation hivernale, ces brebis ne pouvaient longtemps survivre à ce déplacement. Les laitières tarissaient un mois après l’agnelage.
Elles ne purent résister au froid et à l’humidité et les maladies les décimèrent. C.C.Géniaux ajoute :
« L’expérience fut désastreuse ; les nouveaux venus furent rapidement décimés par la cachexie et diverses maladies… Les voisins, à qui le général Solignac avait cédé quelques mérinos, firent des croisements avec les brebis du Larzac dans le but d’améliorer le lainage de la race indigène. Tout d’abord les produits offrirent de bons résultats à l’égard du tassé et de la finesse de la laine. Mais la laine, qui avait été une des principales ressources pour les habitants du Larzac, comme le chanvre pour ceux du Lévézou, devait bientôt cesser de leur fournir une occupation. Les filatures locales devenaient de moins en moins nombreuses et le coton faisait au textile animal une redoutable concurrence. Aux vêtements de bure inusables, mais pesants, aux gilets de laine d’un blanc crémeux tricotés par les femmes pendant les veillées d’hiver et qui leur donnaient si belle allure, les paysans préfèrent la confection. Autrefois la vente de la laine payait le fermage entier ; aujourd’hui elle ne paie même pas le salaire du berger ».
Revenons à l’architecture du domaine. Solignac transforma la métairie en grande ferme organisée comme nous la voyons aujourd’hui. Il avait sans doute été impressionné par le voisinage des fortifications de Sainte-Eulalie et de la Cavalerie ; c’est pourquoi il songea à les imiter, mais dans un format réduit et très adouci.
Etienne Aignan en 1818 décrit une visite au général Solignac :
« Quel tableau plus noble et plus touchant que celui qui vient de m’être offert ! Un de nos généraux les plus distingués, dans une vaste grange, la bêche à la main, et entouré de pauvres paysans auxquels il distribuait des pommes de terre pour les aider à attendre la récolte. C’est dans cette occupation, source d’une autre gloire, que j’ai surpris le général Solignac. Pendant qu’il achevait sa distribution, il a chargé mon compagnon de voyage, avec lequel il est étroitement lié, de me conduire à la ferme et de me présenter à sa ménagère ; c’est ainsi qu’il appelle, en riant, sa jeune, belle et vertueuse compagne. Pour apprécier tout ce qu’il peut y avoir de charmes, de grâces de bonté dans une jolie femme, ce n’est pas dans le grand monde qu’il faut la voir ; c’est dans une habitation sauvage du Rouergue, au milieu d’une famille charmante dont elle fait sa parure, comme une autre Cornélie. Le général Solignac est le bienfaiteur du pays qui l’a vu naître ; il y a introduit la culture des pommes de terre et le premier troupeau de mérinos que l’on ait vu dans ces contrées ; il est triste d’ajouter que le bien qu’il a fait, que la gloire dont il est couvert, que les services qu’il a rendus, ne l’ont pas toujours mis à l’abri des persécutions ? » (Extrait de la Minerve Française, volume 2, chapitre l’Ermite en province de Milhau à Lodève).
Le général Solignac consacra sa retraite à l’exploitation de ses domaines du Larzac où à sa maison de Montpellier. C’est là qu’il mourut le 10 novembre 1850. Mais il fut inhumé selon sa volonté, au cimetière du Cayrel, à Millau, allée n°7, tombeau n°40.
Il semble que par la suite M.Hippolyte de Pegayrolle ait acheté la ferme de la Baume (D’après R. Noël, dictionnaire des châteaux de l’Aveyron, 1971).
En 1936, Claire Charles Géniaux nous décrit les lieux :
« Une belle allée de frênes me conduit à l’ancien domaine du général Solignac. Son propriétaire actuel, que je surprends occupé à surveiller les machines à presser le fourrage, m’avoue qu’après les années de prospérité inouïe, lorsque le lait de brebis se vendait 2 francs 40 le litre, c’est tout juste si l’on vit aujourd’hui. Le grand troupeau qui comprend 500 brebis pour la traite et 300 pour le renouvellement, est égaillé dans les belles prairies et les pâturages. Les magnifiques bergeries voûtées en plein cintre surbaissé ou ogival font songer à des réfectoires de couvent ; ceux de la Commanderie voisine de Sainte-Eulalie devaient être ainsi. Ces écuries où j’enfonce dans une épaisse et tiède litière de fumier que les propriétaires répandent dans leurs champs au lieu de l’expédier en mottes comme on le faisait naguère pour fumer les vignes des viticulteurs du Midi sont éclairées avec l’électricité que l’on produit sur place. M .C. ne se plaint pas du manque de main-d’œuvre. Tout son personnel est aveyronnais. Pendant quelques années, il était impossible, même à prix d’or, de gager des bergers ; bien que les salaires offerts aujourd’hui aient fortement baissé, l’on en trouve. Le chômage ramène à la terre ses enfants. » (Les Moutons du Larzac, Messager de Millau, 14 mars 1936).
Marc Parguel