Patrimoine millavois

Millau. Une scène de jalousie au vitriol sur le Mandarous

En ce mardi 14 juillet 1891, comme les années précédentes, c’est jour de « fête nationale » à Millau. Pour célébrer cet évènement, la municipalité a voulu marquer les esprits en mettant en scène un brillant feu d’artifice qui partirait de la Place du Mandarous, mais cette fête fut très vite contrariée.

En début d’après-midi, il faisait une chaleur horrible qui mettait les promeneurs au supplice ; vers 4 heures, une pluie assez abondante gêna beaucoup les courses aux ânes, et autres jeux.

Puis quand la pluie cessa de battre, et quand le groupe de la musique municipale voulut commencer son concert, un farceur lança une fusée dans l’espace marqué place du Mandarous pour le feu d’artifice. Cette fusée atteignit la pièce principale dont l’artilleur réunissait les assemblages. Quelques minutes après, cette pièce était détruite en plein jour sans que personne profitât de l’effet de ses feux multicolores. Elle avait coûté plusieurs centaines de francs. Les municipaux étaient navrés.

Le Mandarous en 1891.

Pour éviter de nouveaux incidents ou accidents, le maire Sully Chaliès prit aussitôt un arrêt interdisant de jeter pétards ou fusées sur la voie publique. Il oublia d’interdire aussi de jeter du vitriol à la tête des gens. Une jeune fille de 20 ans, Marthe Aladel, repasseuse, s’empressa de profiter de la permission pour se venger de son volage amant Amalric, en lui arrosant les joues avec ce liquide corrosif, au moment où elle le rencontra place du Mandarous, alors que finissait le feu d’artifice.

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Le vitriol, ancien nom de l’acide sulfurique était le moyen radical le plus utilisé à la fin du XIXe siècle pour laver un affront. A compter des années 1870, et jusqu’au début du XXe siècle, le vitriol dit aussi « poignard liquide », devint l’arme privilégiée des crimes de la jalousie ou du dépit amoureux.

La vitrioleuse en pleine action.

Après avoir lancé le contenu d’un flacon de vitriol au visage de son amant Maurice Amalric, Marthe Aladel courrait de tous les côtés sur la place du Mandarous, expliquant à peu près en ces termes l’acte sauvage qu’elle venait de commettre :

Amalric m’a séduite, disait-elle, j’ai vécu maritalement avec lui à Béziers plusieurs années. Il m’a attirée à Millau sur la foi du mariage, et après avoir abusé de moi, il m’a chassée prétextant que celui lui occasionnerait des scènes avec sa mère. J’ai appris par des voies indirectes qu’Amalric allait, samedi prochain, contracter mariage avec une bonne de Millau ; j’ai prévenu mon séducteur que mon état de grossesse me pousserait à toutes les vengeances s’il persistait à son projet ; et, n’ayant pu le faire démordre et me voyant déshonorée à tout jamais, j’ai pris le parti de frapper un grand coup. » (Journal de l’Aveyron, 18 juillet 1891).

On l’écroua à la maison d’arrêt de Millau. Pendant ce temps, Maurice Amalric, son amant qui avait comme ambition d’ouvrir un salon de coiffure à Millau était interrogé sur cette rupture : « Maurice Amalric explique l’abandon de sa maîtresse en déclarant qu’ayant acheté un fonds de magasin, il avait besoin d’argent et que la fille Aladel n’avait pas le sou. Triste excuse ! »

Le vitriol avait fait son effet dévastateur. Sa nature corrosive avait altéré les traits du visage d’Amalric et avait satisfait la vengeance de celle à qui il avait promis tant de choses.
Quinze jours plus tard, la presse nous fait part des nouvelles de ce couple hors du commun :

Touchant ! Nous annoncions dernièrement qu’une jeune fille, Marthe Aladel, avait gravement vitriolé son amant, le coiffeur Maurice Amalric, qui après l’avoir rendu mère refusait de l’épouser. Il paraît que Marthe Aladel avait pris le bon moyen pour en venir à ses fins. Le vitriol qui brûla les yeux d’Amalric attendrit du même coup son cœur à ce point qu’en présence du juge d’instruction il jura de suite de prendre Marthe pour légitime épouse. Et il s’est exécuté quelques jours plus tard. Amalric et Marthe sont partis pour Béziers. Une ordonnance de non-lieu a été rendue en faveur de la vitrioleuse » (Journal de l’Aveyron, 6 août 1891).

Marthe Aladel était donc libre, et la condition de cette liberté était le mariage. Mais celui-ci tarda à venir, au point de remettre en route la machine judiciaire. Les deux amants, lisons-nous dans le Messager de Millau, qui devaient se marier après la mise en liberté de Marthe, n’ont pas encore accompli cette formalité, un enfant est né depuis et le malheureux Amalric n’y voit plus que d’un œil. Ils vivent cependant en famille à Béziers aussi on ne comprend pas bien pourquoi ce long retard à accomplir l’acte civil et religieux, qui aurait régularisé leur situation commune et peut-être arrêté les poursuites qui apparaissent à l’horizon.

Et c’est ainsi que le jeudi 8 octobre, comparaissait devant le tribunal correctionnel de Millau l’affaire de la nommé Marthe Aladel qui entre temps s’était mariée et dont voici la condamnation :

Cette jeune personne, pour punir le volage qui l’avait délaissée, lui lança un flacon de vitriol à la figure, en pleine place du Mandaroux. Le liquide corrosif entama le visage et du même coup le cœur de l’infidèle. A preuve, c’est que, lui qui refusait d’épouser, se déclara aussitôt prêt à le faire. Effectivement, vitrioleuse et vitriolé sont aujourd’hui femme et mari. En raison de la fin si imprévue de cette aventure, le tribunal correctionnel s’est contenté d’infliger un mois de prison à la coupable, avec application de la loi Béranger (Journal de l’Aveyron, 12 et 13 octobre 1891).

Rappelons que l’acide utilisé par cette femme, le vitriol était en vente libre, car il servait surtout dans l’industrie, pour blanchir les textiles ou décaper les métaux. Il était cependant très fréquemment employé à Millau à d’autres fins pour laver un affront. Jeté à la face d’une personne haïe, il provoquait de terribles brûlures et des marques ineffaçables. En voici quelques exemples parmi les nombreux qui remplissaient les colonnes des journaux d’autrefois :

Jeudi, des enfants grands et petits (cet âge est sans pitié), poursuivaient de leurs cris imprudents une fille, de Millau. La victime, irritée, a frappé d’un coup de couteau une jeune personne. Fort heureusement la blessure n’est pas dangereuse. Comme les huées continuaient de plus belle après cet exploit, elle est montée chez elle, a ouvert la fenêtre, d’où elle a arrosé l’assemblée avec du vitriol. Pas de peau entamée, mais force habits gâtés par la liqueur corrosive. » (Revue religieuse du diocèse de Rodez, 25 février 1870)

« Une jeune fille, M. S., couturière à Millau, croyait avoir à se plaindre d’un ouvrier gantier J.B. coupable à ses yeux d’avoir voulu trahir ses serments pour en épouser une autre et de l’avoir reniée devant la justice. Dans la journée de mardi, la malheureuse délaissée rencontra son infidèle dans la rue de la Peyrollerie et, pour se venger, lui lança du vitriol en pleine figure. Les yeux de J.B, qu’il avait instinctivement fermés n’ont pas été atteints, mais ses traits, altérés par le liquide corrosif, porteront la peine de son ingratitude » (Millavois, 11 novembre 1871)

« Une vitrioleuse. Avant-hier soir, Mme P…, épouse D…, tenancière de la Villa des Roses, route de Paris, lança un bol de vitriol à la figure de son mari. Le liquide corrosif n’a presque pas atteint M. D…, qui se préserva en mettant le coude devant le visage. La vitrioleuse a été conduite hier matin au parquet pour fournir des explications. Elle a été laissée en liberté provisoire. Le mobile de l’attentat serait dû, paraît-il à la jalousie. » (Messager de Millau, 12 août 1911).

Marc Parguel

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