Opinion

Arnaud Viala : « Ne pas revivre après comme nous vivions avant »

Fin de la troisième semaine de confinement et le bout du tunnel n’est pas encore en vue. Chaque soir, les chiffres tombent, sidérants… Presque 600 Français tombés face au virus au cours des 24 dernières heures… Le pays est à présent tombé dans une léthargie inédite, et même si ça et là quelques comportements exigent l’intervention des forces de l’ordre, chacun se plie à cette discipline nationale. On reste chez soi. Les soignants, eux, sont à pied d’œuvre, sans compter leurs heures, sans ménager leurs organismes fatigués et angoissés ; avec eux policiers, gendarmes, pompiers, mais aussi caissières, livreurs, boulangers, ouvriers, qui font que même calfeutrée la France vit. Nous leur devons une immense reconnaissance.

Fin aussi de trois semaines de mise à l’arrêt massif de notre activité économique : le pays ne tourne qu’à 40 % de sa capacité et partout autour de nous, des centaines de commerçants, artisans, entrepreneurs, indépendants, libéraux, chefs d’entreprise, contraints à la fermeture de leurs boîtes ou à leur ralentissement très abrupt, se rongent les sangs : comment passer l’obstacle ? Comment se relever ? Comment redémarrer demain. Des dispositifs conséquents sont sur la table ; parfois complexes, ils ont cependant le mérite d’exister et de permettre au moins dans l’immédiat de conserver la foi.

Fin enfin de trois semaines où le visage de la France a changé : tous les signaux sont passés au rouge : nos services publics ont dû fermer leurs portes ; notre budget a ouvert ses vannes ; notre dette s’envole ; notre PIB s’écroule ; tout notre pays n’est mobilisé que sur une seule priorité : éviter « quoi qu’il en coûte » que trop de Français soient malades du COVID 19 et surtout limiter le nombre de morts. Rien d’autre ne compte depuis, comme si la France était entrée en lévitation, dans une parenthèse de son histoire semblable à n’en pas douter à celle des grands conflits mondiaux.

On ne sait pas encore ni quand, ni comment notre pays sortira la tête de ce grand bain. Seules indications : les ministres nous ont dit hier que le bac 2020 serait fondamentalement adapté, que – selon toute vraisemblance – les élections municipales, déjà reportées au 21 juin, devraient l’être une nouvelle fois. Nous avons par ailleurs vu disparaître des radars au cours de la semaine qui se clôt : les JO Tokyo 2020, tous les grands événements sportifs, les manifestations culturelles de l’été qui arrive, les concours d’entrée dans de nombreuses grandes écoles… Autant d’indices que le chemin est encore long. Et puis le Premier Ministre « prépare l’opinion publique » : le déconfinement sera partiel et progressif. Nous savons, tous, intimement, que la situation exige encore beaucoup de patience et de résilience.

Publicité

Des questions, il en demeure beaucoup. Elles surgiront, tôt ou tard, tant elles nous taraudent :

Comment a-t-on pu être pris autant au dépourvu par cette crise ? Pourquoi n’avions-nous ni masque, ni gel, ni respirateur, ni plan de défense ? Et pourquoi ne les avons-nous toujours pas à ce jour d’ailleurs ?

Est-il raisonnable de vivre – en 2020 – dans la sixième puissance du monde, avec un système de santé fragilisé par des décennies de coupes sombres qui l’ont conduit aujourd’hui au bord du gouffre ?

Pourquoi avoir écarté les tests à grande échelle, le port massif de masques, le confinement des seules personnes contaminées et donc contagieuses ?

Pourquoi préférer – sous couvert de respect de nos sacro-saintes libertés individuelles – la privation générale de liberté au traçage individuel aux fins de protection de tous ?

Comment justifier que notre Europe soit aussi décontenancée face à cette crise : elle n’a pas aidé l’Italie qui a plongé la première ; ni l’Espagne qui l’a suivie de peu ; ni la France qui arrive derrière ; ni l’Allemagne qui résiste mieux mais n’en est pas moins fragilisée ; ni les autres pays de son espace ; ni le Royaume Uni qui en sort mais reste tout de même notre allié de toujours. Elle aligne, certes, ces milliards auxquels personne ne comprend rien, mais concrètement, journalièrement, elle n’apparaît nulle part aux côtés de soldats anti-épidémie…

Comment accepter qu’hier encore, sur le tarmac d’un aéroport de Shangaï, des traders américains surenchérissent sur l’Etat Français pour nous dérober une cargaison tant attendue de masques et de blouses ?

Comment vivre avec l’idée que notre économie mondialisée, d’ordinaire si inhumaine, puisse ainsi s’écrouler face à un virus microscopique qui – en l’espace de quelques semaines – en a probablement pour très longtemps enrayé les mécanismes ?

Comment justifier que notre démocratie, ciment de notre vie collective, ne puisse plus fonctionner depuis des semaines ? Parlement fermé ou presque. Assemblées dissoutes de fait par l’éparpillement de leurs membres. Aucun dispositif de débat et de vote à distance. La préhistoire du fonctionnement institutionnel. Si demain, par malheur, un extrême s’emparait du pouvoir, et qu’il se retrouve à l’exercer en pareilles circonstances, il n’y aurait aucun obstacle à une forme de totalitarisme…

Pour l’heure, elles sont prématurées car il nous faut tenir bon ; rester soudés pour sortir de l’ornière. Mais au bout du bout, il n’y aura pour qu’une seule vraie priorité : NE PAS OUBLIER CET EPISODE, NE PAS LE CLASSER DANS NOS ARCHIVES, NE PAS OUBLIER D’EN TIRER DE VRAIES LECONS INDIVIDUELLES, COLLECTIVES, NATIONALES, MONDIALES, DEDUIRE DES VRAIS ENSEIGNEMENTS DE NOS ERREURS, REPENSER NOTRE MODELE, ARRÊTER DE NOUS CROIRE INVINCIBLES, RECLASSER NOS PRIORITES, bref, ne pas revivre après comme nous vivions avant…

En sommes-nous capables ? En aurons-nous la force ? C’est en tous cas me semble-t-il ce que les élus que vous avez mandatés pour vous représenter et dont je suis, doivent avoir le courage de soutenir avec foi, fermeté, et détermination, sans penser aux prochaines élections, mais bien – une bonne fois pour toutes – à notre avenir…

Arnaud Viala, député de l’Aveyron

Bouton retour en haut de la page