Patrimoine millavois

Patrimoine Millavois : L’hôtel de la poule et du renard

L’hôtel de la poule et du renard ou l’escalier des trois roses et de l’amour est situé 2 Place Lucien Grégoire, à l’angle sud-ouest de la Place Foch. Son nom de « poule et du renard » lui vient du culot à l’entrée de l’immeuble orné d’une poule dévorée par un renard.

Quant au nom des trois roses et de l’amour, il est dû aux bas-reliefs romantiques que l’on voit dans l’escalier notamment.

Dans un secteur où se concentrent d’autres hôtels de type Renaissance (Maison des Malzac, XVIIe s.), la demeure de la poule et du renard apparaît sur cette petite place médiévale (ancienne place aux fruits). Elle a été construite entre 1470 et 1515 et faisait face à la table ronde où se tenaient les assemblées sur la place Mage (Foch).

C’est incontestablement l’hôtel particulier le plus richement décoré de Millau. Si on ignore le nom de son commanditaire, il ne peut s’agir que d’un riche marchand d’épices ou marchand drapier qui exprime sa philosophie de la vie et son idée de l’amour.

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L’entrée de l’hôtel.

L’entrée située sur la place Lucien Grégoire se distingue par « un beau portail au numéro 2, il a perdu son fronton qui devait l’apparenter au portail de la maison voisine, au n°4. Néanmoins, il conserve un entablement dorique, à triglyphes et métopes, que portent les deux colonnes légèrement renflées aux chapiteaux ornés de rosaces, dans une composition antiquisante » (Françoise Galès, l’hôtel de la poule et du renard, un hôtel millavois du XVIe siècle revisité, 12 juin 2008).

Le fronton triangulaire a disparu, au profit de la dalle du balcon.

La porte de la maison voisine (au numéro 4) avec son fronton.

On remarquera au-dessus, sur la façade un modillon médiéval en réemploi. Cette statuette fichée sous la fenêtre du premier étage représente une figure monstrueuse, assise les mains sur les genoux comme guettant les gens de passage.

Modillon médiéval.

L’immeuble donne sur une cour avec une magnifique façade de trois étages possédant une douzaine de fenêtres dont les croisées ont perdu leurs meneaux et traverses. Il est surmonté d’une tour à l’angle de la place qui est le signe de l’importance du propriétaire. Cette tourelle n’abrite pas l’escalier intérieur en vis auquel on pourrait s’attendre, elle servit un temps de pigeonnier, dont on a occulté les trous d’envol. Sa présence n’est qu’esthétique.

L’immeuble et sa tour.

Le rez-de-chaussée a longtemps été occupé par des boutiques.

Passons la porte d’entrée. En franchissant le seuil, il faut être attentif. Nous arrivons dans un vestibule visiblement amputé qui ouvre sur une cour intérieure, de petites dimensions. Cette cour dessert un couloir avec des arcs gothiques.

A gauche, nous sommes dans la maison du renard aventurier sans scrupule, menteur et cruel, le voilà tenant le cou d’une poule. Marie-France Sigg y voit « la lutte d’influence entre le clergé et le pouvoir civil » (Un décor sculpté à l’aube de la Renaissance, Etudes Rouergates, 2006). Ce culot sculpté porte encore des traces de peinture ocre. Face à lui, sur la droite le dauphin, roi de la mer et de ses profondeurs, jouant ici à la balle. Il pourrait être un clin d’œil à la royauté (Louis XI), on peut imaginer que la balle soit le globe terrestre.

Le dauphin.

Dans un esprit gothique, cet espace est voûté d’ogives. A mesure de la progression se succèdent ensuite des anges musiciens amortissant la retombée des nervures.

Le couloir voûté d’ogives © Françoise Galès

On voit, un ange musicien qui joue dans le couloir du luth ou du psaltérion. Dans l’angle, et à l’intérieur d’une armoire électrique, un personnage famélique avec des yeux brillants (perles) est agrémenté de coquillages.

Bernard Brengues fait remarquer : « Face à l’entrée, un ange présente des armoiries malheureusement détériorées : on distingue cependant à droite et à gauche de l’écu, une croix ressemblant à une croix de Malte avec une forme d’arc ainsi que d’autres signes ; il pourrait s’agir du maître d’œuvre » (L’escalier de l’amour, communication, 28 mars 2009). Une sculpture a été dérobée. Dans le cadre d’une montée du matériel au spirituel, elle devait représenter la satisfaction des besoins matériels (argent, nourriture)

L’ange au luth.

Le couloir donne accès à l’escalier de l’amour, pièce maîtresse de l’hôtel, construit entre 1500 et 1510 (d’après Jacques Miquel). Cet escalier exprime la symbolique de la kabale (il est le symbole de la montée de l’âme vers l’éternité). Il monte en légère oblique dans une cage d’escalier droite et comporte 3 sculptures à chacun des 5 paliers. Chaque palier compte 11 marches, au total, il y a 66 marches.

Au premier palier, contre le mur, on remarque un personnage avec un instrument de musique sur la poitrine. Au centre, une jeune fille accroupie nue enjambant un drap qu’elle tient dans sa main gauche entourée de deux anges qui dansent. Elle semble cacher sa nudité par une longue chevelure retombant en mèche sur ses reins. Le long de la fenêtre, on voit un ange jouant d’un instrument à percussion (tambour et des « maracas »)

La jeune fille nue avec les anges qui dansent © Bernard Brengues

Au deuxième palier apparaît la sirène ; elle tient dans sa main les instruments de la séduction : le peigne et le miroir. Elle est femme jusqu’au nombril et poisson au-dessous. Elle conduit à la porte monumentale. Les culots représentent les anges musiciens qui jouent de la flûte ou du pipeau. La représentation des anges est typiquement du Moyen-Âge avec des petites ailes au niveau de la tête.

La sirène à queue bifide peigne ses longs cheveux (© Françoise Galès)

Au premier étage, on trouve une porte très ouvragée. Elle donnait accès à la maison voisine. C’est un travail remarquable de facture Renaissance dû au sculpteur Taillefer. Les Taillefer qui furent propriétaires des lieux au début du XVIIe siècle étaient des orfèvres. Cette porte-renaissance a dû être le témoin de bien des luttes fratricides entre papistes et réformés. Après la Révolution française, elle fut condamnée. Elle ouvrait sur l’étage noble de l’hôtel.

La porte Renaissance © Françoise Galès

Surmontant cette porte, on voit une sculpture représentant 2 faunes, ainsi qu’une date sculptée de 1860. Cette date est visiblement celle des travaux de remaniements de l’hôtel. Françoise Galès nous éclaire sur le sujet :

« Elle se démarque des autres portes par son décor foisonnant inspiré de l’Antiquité : son tympan et ses piédroits sont ornés de cuirs et petits jongleurs, de motifs propres à la Renaissance, d’une grande qualité d’exécution. Elle suggère qu’elle a été exécutée par une main différente de celle qui a œuvré aux chapiteaux et culots de l’escalier ».

Le jongleur sur la porte Renaissance.

Au premier étage, le long du mur apparaît une tête de mort. Les vers qui jaillissent des oreilles, des yeux, du nez et du cou ont l’air de danser en rythme, ils représentent la danse macabre. Au centre, deux dragons tenus par la bouche d’un lion. Ils vont par deux comme dans la mythologie d’Ovide, ils représentent les passions violentes. Tenus par le lion, ils signifient que l’homme se maîtrise. Le long de la fenêtre, un vampire (figure bestiale), avec canines saillantes et langue sortie.

Vue d’un des dragons tenus dans la gueule du lion (© Bernard Brengues)
La tête de mort.
Le vampire (figure bestiale) © Françoise Galès.

Le quatrième palier est celui de l’amour courtois, un homme et une jeune femme se font face. Trois roses sortent de leur bouche : deux du côté de l’homme et une du côté de la jeune femme. Nous sommes ici dans le jardin qui au Moyen-Age est le lieu de l’amour (la femme en tient la clé). Cette représentation a donné à l’escalier le nom des « trois roses et de l’amour. »

Côté de la jeune femme avec la rose.

Sur ce palier apparaît aussi un chien qui tient dans sa gueule une grappe de raisin. Il porte un collier très large. Un autre animal, le lapin apparaît accroupi les pattes en avant.

D’après Bernard Brengues :

« Le chien est le symbole de la fidélité conjugale ; pourtant son appétit est proverbial, lorsqu’il opère dans une vigne ; le chien représente ainsi l’homme dont la fidélité va de pair avec une sexualité débordante. La lapine, accompagnée ici de deux lapereaux tenus entre ses pattes, est le symbole de la fécondité » (L’escalier de l’amour, communication du 28 mars 2009).

Au cinquième palier, des fruits exotiques forment trois ensembles : on reconnaît nettement la figue, le citron, la grenade et la noix de cola. Il faudrait sans doute se tourner vers l’Afrique et le pourtour méditerranéen pour identifier les autres fruits.

Explication avec Bernard Brengues :

« Le cinquième palier de l’escalier est consacré aux fruits, et notamment à la noix de cola, récoltée dans le Golfe de Guinée et diffusée à partir de 1450 par les Portugais qui commercent avec les pays d’Afrique. La noix de cola était utilisée comme colorant…Les autres fruits sont la figue, la grenade, le citron et le raisin. La rose que l’on retrouve disposée en triangle, pointe en bas comme sur le pilier central de la crypte de la basilique Saint-Sernin à Toulouse, fait aussi référence à l’amour et à la féminité. Avec la fleur et les fruits, nous sommes dans le « jardin » qui est, au Moyen Age, le lieu de l’amour : la femme en détient la clé et y introduit son amant » (L’escalier de l’amour, communication du 28 mars 2009).

Les derniers paliers et le dernier étage ne comportent plus de décoration. C’est le terme de l’échelle qui débouche sur la lumière venant du soleil levant.

Au total, l’Hôtel comporte 21 sculptures, une porte datant de 1560, ainsi qu’une date 1860 qui correspond sans doute à un remaniement de la demeure. L’escalier est le lieu de la liaison entre la terre et le ciel. La montée se fait au début en compagnie des anges.

L’ensemble est très lumineux, éclairé par une fenêtre côté midi ; le mur qui supporte l’escalier est lui-même ajouré pour éclairer l’hôtel. L’ensemble de l’escalier était recouvert de peinture de couleur ; il subsiste encore quelques traces de peinture ocre, bleue et jaune.
Cet hôtel particulier de la poule est du renard (propriété privée) est une véritable curiosité. Elle est, pour tout amateur d’histoire, d’un intérêt exceptionnel.

Marc Parguel

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