Causses et vallées

La belle Loïse Maudit et le maléfique aven de Corgnes

L’histoire qui suit a été recueillie par Adrien Fabié (1843-1932) notaire et maire de Peyreleau. S’agit-il d’une légende ou d’une histoire vraie ? Difficile à dire.

Sous le règne de Louis XIV, le régiment de Guyenne était en garnison à Tours. L’hôtellerie de Maître Jéhan Maudit avait une très bonne réputation. La beauté de sa fille Loïse, orpheline de sa mère, morte à sa naissance, attirait soldats et officiers qui dépensaient leurs soldes et primes en joyeuses beuveries.

Blanc d’Argent, un sous-officier originaire de La Malène, n’avait d’yeux que pour elle. Il finit par la séduire. Touchant à la fin de son temps, Loïse et Blanc d’Argent firent le projet d’aller vivre à la Malène et d’y bâtir une maison. Sa famille, ses amis accueillirent Blanc d’Argent avec des transports de joie. Il n’en fut pas de même pour Loïse, c’était une étrangère. Un enfant était en chemin. Aussi la belle se voit éconduite comme une fille perdue par tous les habitants du village.

Sous le prétexte de la ramener à son père, à Tours, pour lui demander officiellement sa main, et les papiers nécessaires à son mariage, son séducteur l’abandonne en cours de route au hameau du Cambon aux bons soins « d’un homme seul connu sous le nom de Cazelle » qui doit l’amener jusqu’à un village du Séveraguais, où passait le coche allant à Rodez et où son amant viendrait la rejoindre par des raccourcis connus de lui. Elle gravit par des chemins effroyables les pentes escarpées du causse de Sauveterre. Cazelle l’emmena près de l’aven de Corgnes.

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Sous un prétexte quelconque, il fit descendre de la mule sa compagne de route. A peine avait-elle mis le pied à terre qu’il lui annonça brutalement que sa dernière heure était arrivée : « Faites votre prière et demandez pardon à Dieu d’avoir envoûté Blanc d’Argent, car cet abîme qui descend jusqu’aux enfers, va être votre tombeau ». C’est en vain qu’elle se jeta à ses genoux, implorant sa pitié, sinon pour elle, du moins pour le petit être innocent qu’elle portait dans son sein.

C’est en vain aussi que retentirent dans ces solitudes ses cris de désespoir. Le misérable, après lui avoir enlevé ses bijoux, et son or, précipita sa victime dans l’abîme sans fond.

Quelques mois après, Cazelle, atteint d’aliénation mentale, se jeta du haut de la falaise qui domine Saint-Marcellin. Son corps vint s’écraser au pied de la petite église, mais avant de mourir, il eut encore le temps de confesser son crime aux échos de la vallée (d’après Fabié, revue Spelunca, tome I (1895).

Entrée de l’aven de Corgnes.

Louis Armand, le compagnon inséparable d’E.-A. Martel dans toutes ses excursions souterraines, avait été chargé par ce dernier de visiter cet aven. Par une belle journée d’octobre 1893, après avoir entassé sur une voiture tout le matériel indispensable, il descendit et trouva au fond, à 103 mètres sous l’entrée (dont 88 d’une verticalité absolue), un squelette à demi recouvert par le sable. Etaient-ce les restes de l’infortunée Louise ?

Sensiblement à la même époque, l’on a parfois situé un deuxième crime ayant eu pour théâtre l’aven de Corgnes ; la victime aurait répondu au nom de « Monsieur de Beaupré » (Daniel André, Lozère des Ténèbres, p.90.1992).

Descente dans l’aven. © Jean-Luc Jullien

L’aven de Corgnes est selon Louis Balsan « un des plus lugubres des causses, un aven maléfique qui semble attirer sur lui toutes les infortunes. Il a tant de noms que vous ne savez jamais comment l’appeler : Corgnes, Courrinos, Couerguos, Couvrines, etc. Chaque auteur prend une orthographe différente… Argeliez nous rapporte dans ses notes sur la vallée du Tarn, que c’est dans ce coin que se réfugia le célèbre chef des brigands, Pierre-Jean Meillou, lorsqu’il fut blessé un jour de foire à Séverac » (Grottes et abîmes des Grands Causses, 1950).

Voilà les faits : En octobre 1801, deux personnes de la vallée du Tarn, M. Pourquery du Bourg et son oncle le Prieur de Lorette furent attaqués par la bande des Meillous ; ils furent assassinés, sous les yeux de leur domestique qui n’hésita pas à riposter : Pierre-Jean Meillous l’insaisissable criminel fut blessé à l’épaule et à la cuisse.

Le domestique ayant pu s’échapper donna l’alerte. Pour regagner leur retraite, les bandits placèrent leur chef sur un des chevaux des deux infortunés et, parvenus non loin de leur abri, précipitèrent l’animal dans l’Aven de Corgnes, afin de ne fournir aucune piste à leurs poursuivants.

La découverte des Brigands fut facilitée par les traces de ce cheval. Comme il avait plu peu auparavant, il devint facile de suivre la piste qui conduisit les chasseurs à travers champs jusqu’au bord de l’aven de Corgnes, qui se trouve en bordure du plateau un peu au-dessus de la fontaine des Paillasses.

A cet endroit, on trouva le sol piétiné en tous sens avec de nombreuses glissades ; puis, on ne découvrit plus de traces. On concluait alors que les brigands s’étaient débarrassés du cheval en le précipitant dans l’abîme et que le pauvre animal, par instinct de conservation, avait opposé la plus vive résistance.

On sut plus tard, qu’il avait fallu lui bander les yeux pour parvenir à le faire basculer dans le gouffre. Quant aux brigands, ils furent arrêtés et leur chef fut conduit dans la prison de Rodez où il se suicida.

Plaque à la mémoire de Marcel Soto.

Plus proche de nous, le 28 avril 1940, cet aven a été une autre fois le théâtre d’un drame. Celui-ci est dû à une malheureuse confusion. Avec un groupe d’amis, Marcel Soto voulait visiter l’aven de la Peyrine, excursion assez facile, – 17 mètres, ils jugèrent qu’une simple corde lisse serait nécessaire.

En fait, c’est à l’aven de Corgnes qu’ils se rendirent (- 80 mètres). Un premier palier à -25 mètres trompa le premier de cordée, Marcel Soto. Dans le noir, il ne le savait pas, faisait suite un à-pic s’arrêtant à – 80 mètres. Plus de corde.

Malgré tous ses efforts, il dut lâcher prise et alla s’écraser au fond du puits. Louis Balsan appelé à son secours ne put que constater le décès. Le 8 mai 1940, une plaque commémorative a été apposée à l’entrée de l’aven.

Marc Parguel

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