Patrimoine millavois

Patrimoine Millavois : La place Emma Calvé (1/2)

Créée en 1934 sous le nom de « Place nouvelle » pour la différencier de la Place Foch, alors surnommée Place Vieille, la Place Emma Calvé fait partie du cœur de ville de Millau. Cet espace ouvert n’a jamais eu de réelle destination : Parc de stationnement, centre de marché forain temporaire jusqu’au début des années 1980 où un vaste plan d’aménagement voit le jour…

Avant la création de la place

Au mois de janvier 1286, un article du « Mémorial des Privilèges » nous apprend qu’une lettre royale confirmait l’achat d’une maison pour le consulat ou Maison commune. Pour l’historien Jules Artières, cette maison commune se trouvait sur le côté ouest de la rue de l’ancienne commune aujourd’hui disparue et elle aurait été achetée en 1278 par les consuls pour tenir leurs assemblées communales. Cet édifice «  était un assez grand bâtiment, mais de peu d’apparences et sans caractère architectural. Il se composait de caves, d’un rez-de-chaussée vouté et d’un étage ; plusieurs petites cours, un beau jardin entouré de treilles et un petit pré « pradal », formaient ses dépendances » (Documents sur la ville de Millau, délibérations communales XIe-XVIe siècles, 1930)

En 1492, cette maison commune du Moyen Age tomba en ruine. Celle qui fut reconstruite entre 1493 et 1496 servit jusqu’à la Révolution. En l’an II, jugée trop petite, on l’abandonna pour la maison de Tauriac, à côté du Beffroi. On peut repérer facilement cet édifice sur le plan de Millau des années 1745-1749.

Il était entouré de jardins qui existaient probablement déjà au XVe siècle. En contrebas des jardins et près de l’église Saint Martin, on peut apercevoir sur le plan du XVIIIe siècle deux rues qui débouchaient perpendiculairement à la rue de Malpel qui deviendra la rue de l’ancienne commune au XIXe siècle.

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Plan dressé entre 1745 et 1749.
6 : Hotel de ville (Tauriac)
8 : Beffroi (les prisons royales)
9 : Les dominicains
11 : Eglise des pénitents (Saint Martin)

A l’angle de la rue Saint-Martin et de la rue de Malpel (ancienne commune), existaient au Moyen Age, le couvent et l’enclos des dominicains. Au XIIIe siècle, les dominicains avaient intenté un procès aux consuls millavois qui les empêchaient d’agrandir leur couvent. Le sénéchal du Rouergue, Aubert de Nangeville, reçut mission du roi d’essayer de régler ce différent. Si de tels efforts s’avéraient vains, le roi verrait la décision à prendre.

L’intervention du sénéchal fut nulle. Aussitôt, le roi Philippe le Bel, ordonna à un abbé qui nomma un archidiacre de Cahors, Sicard de Montaigu, pour juger en son nom. L’audience se déroula à Cahors le 14 mars 1291. Même si le délibéré n’est pas connu, il semble qu’il donnera gain de cause aux consuls de Millau.

Le pont qui reliait leur maison de la cour à la chapelle s’appelait « pon dels predicadors » ayant servi aux frères prêcheurs (dominicains ou jacobins) qui possédaient des terrains ou immeubles sur les deux côtés de la rue.

C’était un ponceau très élégant, avec sa dentelle de fer forgé. Il enjambait la rue et disparut à la même époque que celui de la rue du prêche, lors de l’ouverture de la place en janvier 1935.

Pont des prédicateurs

Faisant le coin avec la rue de Malpel ou plus tard de l’ancienne commune et la rue droite, se trouvait à la fin du Moyen Age l’immeuble de la famille Cavalier, dont plusieurs membres de cette famille furent juges de la ville à la fin du XVe et au début du XVIe siècle. La famille Lévezou de Vezins l’acquit par alliance au XVIIe siècle. Leur hôtel avec jardins s’élevait sur l’angle nord-est de la Place Emma Calvé actuelle, contigu à l’ancien hôtel de Gualy.

Un premier projet d’aménagement en 1835

C’est au cours de l’été 1835 que fut envisagé de construire un nouveau Palais de Justice pour remplacer les bâtiments vétustes de l’ancienne cour royale (sur l’actuelle Place des Halles). A ce projet fut ajouté celui de construire un nouvel Hôtel de Ville, car le local qui servait de Mairie jusqu’ici dans une partie de l’ancien immeuble de Tauriac, à côté du Beffroi, était devenu « insuffisant et peu convenable à sa destination » (délibération communale du 6 novembre 1835).

On eut donc l’idée d’associer les deux projets et pour cela, furent approuvés les plans dressés par Etienne-Joseph Boissonnade architecte départemental, le 6 août 1835. Le conseil municipal vota ces deux constructions sur le terrain des Cordeliers (entre Mandarous, Ayrolle et rue de la Pépinière).

Dans ses considérations, le conseil faisait valoir « que le local des Cordeliers qui appartenait à la commune, est entièrement libre et offre un emplacement spacieux et régulier qui entraînera à moins de dépense que ceux indiqués dans l’intérieur de la ville… »

M. de Gaujal, Maire de Millau, adresse au Sous-Préfet cette délibération le 2 septembre.
Mais voilà qu’une semaine plus tard, une pétition circule pour recueillir des signatures dans le cadre d’une « Souscription pour la construction d’une place publique et d’un grand édifice destiné à renfermer la Mairie, un Palais de Justice, le Tribunal de commerce et la justice de paix, dans l’emplacement des anciens dominicains, avec rue aboutissant avec la rue droite et promenade publique le long de la rue de l’hôtel de ville projeté ».

D’après ce texte et plusieurs autres, la place à créer aurait correspondu à peu près à notre place Emma Calvé, sauf qu’une ligne d’immeubles l’aurait séparée entièrement de la rue Droite, avec laquelle elle aurait communiqué par une percée en face de la rue du Beffroi. Le grand édifice à construire se serait situé sans doute, sur l’angle nord-ouest de la place où la commune possédait les bâtisses de l’ancien hôtel de Gualy, qui abritaient les sœurs de la Présentation et leurs écoles communales (à l’endroit occupé par la suite par l’école Jean Macé).

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Vingt-et-un souscripteurs (du quartier concerné) apposèrent leur signature les engageant soit à verser une somme d’argent, soit à céder une partie de leur jardin. En contrepartie, la place serait créée avec Palais de Justice, Hotel de ville et fontaine en son centre.

La souscription dura deux mois, et le 6 novembre 1835, le conseil municipal du se prononcer à nouveau sur la question. Entre temps, on s’aperçut que le local des Cordeliers ne pourrait suffire qu’à contenir le Tribunal à construire. Et finalement, l’Hôtel de Ville serait construit « sur le local offert en face des Pénitents, aussitôt que ce local sera rendu libre ».

Mais cela n’était pas de l’avis des souscripteurs, c’était tout ou rien. C’est ainsi que le 30 novembre, le Maire demandant aux 21 partisans de la création de la Place s’ils maintenaient leurs offres, et la réponse fut plus que mitigée : 11 réponses positives, 2 qui réduisaient leur proposition, 4 pour l’annuler purement et simplement, et 4 autres n’ont pas daigné répondre.

Sur les six défections, deux au moins (Monestier et Richard) étaient propriétaires de parcelles importantes de la place à créer, leur renonciation ne pouvait que provoquer l’abandon du projet.

Le Maire De Gaujal tenta d’autres démarches, notamment auprès de M. Saltet, maire de Saint Jean du Bruel qui possédait un immeuble à Millau. Il lui écrit le 19 avril 1836 :

« Le conseil municipal ayant décidé qu’une place serait construite sur les jardins situés entre le temple, l’église des pénitents et la rue du prêche si les terrains étaient rendus libres, une commission s’est occupée de recueillir des souscriptions pour atteindre la condition imposée par le conseil. L’on est déjà parvenu à un résultat assez satisfaisant, encore quelques dons et la ville aura au centre de sa population une belle et vaste place ; comme nous sommes instruits, Monsieur, que vous avez su apprécier ce qu’aurait d’avantageux pour la ville en général, pour le quartier où vous possédez une maison en particulier, l’établissement de cette place, nous venons solliciter votre souscription, ne doutant pas que vous ne veuilliez associer votre nom à une entreprise si utile… » (Archives de Millau, 4 D 84).

Cette dernière démarche ne fut pas couronnée de succès, et le projet de création de place fut abandonné. Les jardins allaient accueillir le couvent Notre Dame.

Commandé par M. de Gaujal, pour la somme de 80 000 francs, le palais de justice allait voir le jour au 4 boulevard de l’Ayrolle en 1837, la première pierre fut posée le 30 juillet.
Quant à l’Hotel de Ville, il ne fut pas construit, mais la maison de Tauriac qui servait de mairie fut échangée par Achille Villa, financier avisé et maire de Millau, le 29 juillet 1856, moyennant une soulte de 52 000 francs contre l’Hôtel de Pégayrolle (Archives municipales Millau, 1D31).

L’Hôtel de Vezins

En 1850, l’hôtel de Vezins fut acheté par les sœurs de Notre Dame. L’immeuble et ses jardins, augmentés de quelques terrains voisins, deviennent le couvent Notre Dame.
Le voici d’ailleurs apparaissant sur cette vue. C’est une grande partie du terrain occupé par ce couvent qui servit par la suite à la création de la Place Emma Calvé.

Vignette représentant le Pensionnat des religieuses de Notre Dame à Millau.

Cette institution renommée, où beaucoup de jeunes filles catholiques et même quelques-unes de familles protestantes, avaient fait leurs études, disparut, on le sait, à la suite des lois sectaires du début du XXe siècle (Loi de séparation de l’église et de l’état du 9 décembre 1905). Les dernières religieuses ayant quitté les lieux après la guerre de 14-18, la ville avait en prévision d’acheter cet enclos.

Une loi du 19 juillet 1919 qui prescrit aux villes de plus de 10.000 habitants, d’établir dans un délai de 3 ans un Plan d’Aménagement, d’embellissement et d’extension incita le conseil municipal de Millau à satisfaire ces obligations.

Millau ayant 17.673 habitants en 1911 et 15.936 en 1921.

Le bâtiment de la miséricorde en 1865.

Vers la création de la nouvelle place

Afin de faire respirer un quartier moyenâgeux dominé par l’insalubrité, la « nouvelle place » imaginée dans les esprits des élus en 1920, sur des terrains à usage de cours et de jardins de l’ancien couvent Notre Dame est approuvée par le conseil municipal de Millau en 1922.

Le conseil confie à Paul Lacure, architecte de la ville, le soin d’élaborer un projet. Ce dernier présente un avant-projet cette même année qui se définit comme suit : « La création d’une place dans le quadrilatère formé par les rues Droite, Saint-Martin, du Prêche et Ancienne Commune avec voie d’accès au boulevard Richard » (Archives municipales, 2-0-81).

Paul Lacure a souhaité élargir les rues et livrer au public un espace déjà libre entre deux ilots bâtis, l’un donnant sur la rue droite, l’autre sur la rue Saint-Martin. Le nouvel alignement est approuvé par arrêté préfectoral en date du 15 novembre 1923.

La ville a acheté à l’adjudication qui en fut faite en mars 1922 l’ancien couvent Notre Dame et ses dépendances dont l’Hôtel de Vezins, ce qui rend possible l’opération.

L’architecte de la ville dans un rapport qu’il transmet en 1923 (Archives municipales, 2-0-119), a donné une description précise des 1700,66 m2 de bâtis et 3078,88 m2 de cours et jardins concernés par l’opération. La place envisagée est de l’ordre de 3000 m2, elle permettra des constructions que le maire de Millau François Barsalou, dans une lettre à M. le Préfet de l’Aveyron en date du 1er avril 1926, n’hésite pas à qualifier « d’habitations bon marché ».

Etat de l’espace Emma Calvé en 1929.

En 1929, commence la libération d’espace par les premières démolitions.

Le projet Lacure prévoit la démolition d’une partie de l’Hôtel de Vézins. Or, la municipalité semble avoir des projets pour cet immeuble. Elle l’exclut donc du programme de démolition et d’aménagement établi en 1920 et confié à l’entreprise Vaissière et Barascud qui réalise un jardin public avec murs de soutènement à balustrades et escaliers d’accès, ainsi que des travaux de contrefort et de mur pignon pour l’Hôtel de Vézins. Le tout, terminé en 1930, ne semble pas donner toute satisfaction.

L’hôtel de Vezins, de bonne qualité semble-t-il, abritait jusqu’en 1930, le receveur de l’enregistrement. Le Conseil municipal aurait souhaité réutiliser cet immeuble plutôt que de le démolir.

Trois projets au moins ont été esquissés comme nous le rappelle Robert Ardourel :

«  Dès 1928, l’Union mutualiste fait savoir qu’elle verrait bien là une annexe de l’Hospice accueillant 60 vieillards, ce qui nécessiterait des travaux d’aménagement et le construction d’une aile en bordure de la rue droite (Archives municipales, 1.11.15).
En 1929, M. Casimir, conseiller municipal propose de faire une bourse de travail pour loger les syndicats. M. Salvan, architecte, dresse un avant-projet de réhabilitation et agrandissement de l’Hôtel de Vezins (A.M. 1-11.16).
En 1931, le conseil municipal propose l’immeuble Vézins à l’administration des Postes, avec faculté pour elle de le conserver ou de le reconstruire pour réaliser la nouvelle Poste. Cette offre n’est pas acceptée, ce qui permet au conseil municipal de donner l’Hôtel de Vezins à bail emphytéotique de 99 ans à l’Union mutualiste, pour y loger ses vieillards (Délibérations du 30 décembre 1931).
Mais l’union mutualiste renonce à son tour, ce qui modifie une fois de plus la Place » (Journal de Millau, 18 juillet 1986)

Le nouvel alignement prévu en 1931, approuvé en 1932, prévoyait un déplacement de la place vers le sud, la conservation de l’hôtel de Vézins et la disposition de l’îlot bâti donnant sur la rue Saint Martin, remplacé en 1933 par un lavoir et des w.c. publics.

Mais à tout vouloir modifier, la municipalité qui veut créer une place avoisinant les 3000 m2 se pose la question de ce trou dégagé par des démolitions successives, non structurées, ne voulant pas ouvrir de l’espace pour le simple plaisir d’ouvrir de l’espace. Les critiques à l’égard du plan millavois sont sévères. Dans son rapport du 5 janvier 1931, à la commission supérieure, l’urbaniste M.Prost note : « la municipalité de Millau semble n’être conseillée par aucun technicien de l’urbanisme ».

L’hôtel de Vézins, dont personne ne veut, est démoli. Le lavoir n’est jamais réalisé.
On reconnaît sur cette vue la façade sud de l’ancien hôtel de Gualy Saint Rome dominé par le Beffroi, dont la rue droite le sépare. Il abrita au XIXe siècle, l’orphelinat et les écoles enfantines communales tenus par les sœurs de la présentation, avant de devenir l’école publique Jean Macé. La partie de l’immeuble en retour d’équerre qui se voit au-devant du Beffroi, sur la droite du cliché, a été démolie en 1934, lors de la création de la Place.

L’ancien hôtel de Gualy (1900).

En mai 1934, on procède à la démolition du Couvent de Notre-Dame et des quelques autres immeubles pour l’établissement de la Nouvelle Place, située entre les rues Droite, Saint-Martin, du Prêche et de l’ancienne commune et partie de la rue du Prêche, où se trouvaient deux pittoresques passages supérieurs (suppression des deux ponceaux en janvier 1935). La démolition se fait manuellement, au pic, tandis que les matériaux étaient évacués par de bons vieux tombereaux.

Démolitions en mars 1934. Les écuries de l’Hotel de Vezins.
Démolitions en août 1934.

En 1936, la « Nouvelle place » ne possédait aucun arbre ni aucune trace d’aménagement quelconque, et l’on se querellait sur la destination à lui donner.

La nouvelle Place le 23 juin 1936.

A suivre…

Marc Parguel

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