Causses et vallées

Jusqu’au rocher de Franc-Bouteille (Causse Méjean)

Le rocher de Franc-Bouteille, qui forme un grandiose promontoire au Causse Méjean est selon Edouard-Alfred Martel « une étrave et l’un des plus beaux rochers du pays ». En partant de Capluc, autre éperon rocheux aménagé par le Club Alpin Français dont la vue s’étend sur les vallées du Tarn et de la Jonte, on atteint en empruntant le sentier Jacques Brunet, dont le départ se situe à 250 mètres du village cet énorme promontoire. Il domine le col des deux canyons.

Ce sentier « Jacques Brunet » (587 m d’altitude) qu’un panonceau mentionne comme « déconseillé aux personnes sujettes au vertige » et comme « parcours très difficile » fut baptisé ainsi par Louis Balsan et ses amis du CAF de Millau, en 1935, à la mémoire du créateur de cette voie, mort au début de la Grande Guerre, à l’âge de 23 ans. Ce sentier très pittoresque est composé de quelques passages vertigineux qui permettent un accès direct au col des deux canyons ou de Francbouteille (d’un côté les Gorges du Tarn, de l’autre les Gorges de la Jonte) à 765 mètres d’altitude.

Débutant par quelques marches grossières, ce chemin aérien monte rapidement en zigzag pour arriver au faîte de la crête avant d’accéder à l’Enclume, imposant monolithe dont la dénomination souligne la forme.

L’enclume.
L’enclume.

De nouveaux escaliers naturels, des « cheminées » confortables et une grandiose brèche à rude montée conduisent à un palier longeant de curieux rochers tabulaires. On arrive alors au col des deux canyons, terminus de la crête qui sépare le Tarn et le Jonte depuis Capluc. A cet endroit une plaque scellée dans le rocher rend hommage à René Blanc, animateur millavois du Club Alpin et actif défricheur de sentiers, mort au front en 1940.

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La plaque commémorative.

La montée au col de Franc-bouteille est ardue, mais la beauté du lieu fait oublier la peine. Sur le plateau la végétation se fait plus rare, le causse reprend ses droits et donne la pleine mesure de sa solitude et de son âpreté.

De la vaste étendue dénudée, nulle rumeur, nul bruit ne montent et le silence y atteint une telle immensité qu’il est presque rassurant d’écouter, là-haut, le cri lancinant des vautours fauves qui planent.

Vautour au rocher de Franc-Bouteille.

Nous voici au rocher de Franc-Bouteille. En 1923, Albert Carrière a recueilli, au pied de cette masse rocheuse, des fragments de poteries et de meules qui témoignent d’une occupation gallo-romaine. Il a escaladé assez difficilement le rocher lui-même d’où la vue dominante de tous côtés évoque l’idée d’un poste d’observation (d’après une lettre envoyée à E.-A. Martel, 5 mai 1924).

Laissons Albert Carrière nous faire part de ses trouvailles : « Sans nous y arrêter, disons que comme rocher isolé, il est abordable du côté du Midi et de l’Est, qu’on peut l’escalader facilement, que les tessons de poterie abondent sur son flanc sud. Sur 19 échantillons soumis à un spécialiste, huit sont romains et onze de l’âge du fer. Ces dernières sont communes sur les deux corniches de la Jonte. » (Par monts et par vaux, Midi Libre, 16 août 1953).

Rocher de Franc-Bouteille.

Ce rocher érigé en sentinelle à 802 mètres d’altitude, domine et protège le sentier plein de parfums qui serpente entre les buis, les genévriers et les pins.

On peut l’escalader par une « cheminée » assez difficile à trouver.

Rappelons à ce sujet les propos de Louis Balsan :

« On accède sans difficulté ni dangers aux étages inférieurs. On remarque un vaste évidement à peu près circulaire d’une vingtaine de mètres de diamètre au sol bien gazonné et qui par une étroite brèche donne une échappée vertigineuse sur le Tarn. Il faut atteindre le sommet. Mais le géant va-t-il supporter cette familiarité ? On découvre une sorte de pli, pas trop vertical, présentant de nombreuses aspérités aux ongles et aux pieds… D’ailleurs il n’y a qu’une quinzaine de mètres à gravir. Si on est deux, pas d’hésitation, mais si on est seul on se sent des jambes de coton et des poignets tremblants, car en cas de chute pas de secours à attendre. Les vautours qui hantent souvent ces lieux se chargeront de la sépulture…Brr !… Tout de même c’est vexant de s’en retourner sans avoir tenté… Allons-y !… Une à une les saillies sont tâtées et éprouvées avec une attention, une lenteur, une prudence qui feraient rire un alpiniste. On arrive. Le sommet est assez large pour ne pas être en proie au vertige. Et le panorama qui se creuse devant soi vaut largement le risque. Du côté de Capluc, l’œil surplombe le tragique chaos de rochers creusés d’abîmes. Sur les gorges de la Jonte le spectacle est grandiose, empoignant. »

Vautour en bordure du rocher de Franc-Bouteille.

Jacques Brunet (1891-1914), quand il était étudiant à Toulouse, avait écrit de nombreux poèmes inspirés sans doute par le col des deux canyons, qu’il aimait tant gravir.
Citons l’un de ses textes, qui est une vue aérienne des Gorges et des Causses, à partir du regard du vautour, ce rapace charognard emblématique :

Le vautour

Puissant et rapide, le grand oiseau noir glisse dans l’air pur, montant d’un effort régulier et invisible. Ses yeux se grisent du spectacle des rocs fous, écroulés, qui flamboient au soleil sous la croupe sauvage. Les ailes frémissent sans bruit, le vent fait claquer les dernières pennes de la queue et des grandes ailes.

Il monte, il monte toujours et le paysage s’approfondit et se creuse et s’élargit à l’infini.
Et se montrent la rivière claire tachée de bancs de sable entre les hauts peupliers et les oseraies. Et les prairies de la rive, la source abondante, la maison crépie de blanc et la route sinueuse aux pieds des escarpements. Et les grandes pentes mouchetées de buis au milieu des pierrailles, ou sombrement revêtues d’un manteau de pins et d’arbousiers.
Et les vignes et les vergers, en étage sur les roches, au grand soleil et à l’abri du vent…

Au sommet du rocher, une croix

La croix au sommet (24 février 2019).

Au sommet du rocher de Franc-Bouteille, se devine une croix. Rappelons son histoire.
A la fin des années 1980, un promeneur, en allant du côté du hameau de Plaisance, situé au bas de l’aiguille Saint-Pons, au-dessus du Tarn, fut attiré par un morceau de ferraille qui sortait d’un « clapàs ». Il s’approcha et déterra une croix, plus que centenaire, aux bouts fleurdelisés. Certainement l’œuvre d’un artisan de la vallée. Ne voulant pas l’abandonner dans ces lieux, il décida qu’il fallait la placer dans un lieu sûr où on ne pourrait la voler.

La croix aux bouts fleurdelisés (1991)

L’idée de départ, c’était de l’ériger près des lieux de sa trouvaille, à l’aiguille Saint-Pons tout près de l’ermitage, où seuls les escaladeurs auraient pu venir la saluer.
Mais on décida de la placer plus haut encore, au sommet du rocher de Franc-Bouteille.
C’est ainsi que le 28 avril 1991, Le Père Pierre Edmond Vivier procéda à sa bénédiction.

Devant la croix fixée sur ce grand rocher, il dit : « Ceux qui, ayant trouvé une ancienne croix de chemin à demi enfouie, l’ont déterrée et ont eu l’idée de l’ériger ici, ont voulu sauver un vénérable vestige de la piété de nos pères et, du même coup, se placer dans la ligne de leur tradition en affirmant à leur tour la même foi. C’est dans cet esprit qu’aujourd’hui vous avez voulu, nous avons voulu, bénir cette croix ».

Bénediction de la croix.

La croix veille toujours au sommet du rocher et domine en face le Causse Noir. Elle a été à de nombreuses reprises victime de la foudre, mais reste fidèlement fichée, accueillant ceux et celles qui s’aventurent à monter au sommet du rocher de Franc-Bouteille.

La croix aujourd’hui.

Marc Parguel

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