La barrière du Crès remonte au 19 mai 1874 date de l’inauguration du chemin de fer pour la ligne de Béziers à Millau.
Elle représentait à la fin du XIXe siècle tout un symbole. Quand les premiers trains circulaient, jeunes et vieux Millavois accouraient du centre-ville, comme à une attraction, pour voir passer les trains. D’autres allaient les voir au Pont des Capucins. Durant une centaine d’années, les portillons restèrent inchangés. Portillons qui servirent à arrêter aussi bien les charrettes, les automobiles, mais également les promeneurs de la Monte. La plupart n’allant pas au-delà, et laissant le Crès (l’allée aux Marronniers) aux plus vaillants ou aux amis de la tranquillité.
La barrière était aussi pratique comme frontière, pour l’octroi municipal, dont le bureau construit en 1889 attendait ici, à leur entrée en ville, les porteurs de volailles, gibier et autres denrées assujetties à ce droit. Cet élégant « pavillon » avait son préposé qui instrumentait dans le bureau, et jouissait d’un logement convenable au premier étage.
Léon Roux (1858-1935) nous rappelle le temps des passages devant le bureau d’octroi :
« Au nord, par la descente du Crès, arrivaient les crèmes et les « recuites » de la Bouorio Blanco (La Borie Blanque), accompagnées souvent d’un pot dé gaspo (petit-lait). Les gens de Saint Germain, d’Azinières, du Bois du Four, même de Saint Beauzély, Estalane et Bouloc apportaient aussi des fruits et des volailles ; mais ils venaient surtout aux marchés pour s’y approvisionner eux-mêmes d’épicerie, de tabac et d’une foule d’objets qu’ils ne trouvaient pas dans le très rudimentaire commerce local » (Le marché, Messager de Millau, 1932).
Depuis, ce pavillon municipal a été reconverti en « maison du combattant ». Son voisin de la gare en haut de l’avenue Alfred Merle construite en 1893 n’a pas eu cette chance. On le fit disparaître dans les premiers jours de novembre 1998.
Au-delà de la barrière était le quartier du chapeau blanc. Cette dénomination qui remonte au début du XXe siècle fut donnée au groupe de maisons situées à côté du Parc de la Victoire.
Une rue faisant face au Puech d’Andan, prit également ce nom.
Jules Artières nous rappelle son origine : « Comme pour beaucoup de rues anciennes de la ville, elle provient du nom, ou plutôt du surnom, d’une famille qui habitait autrefois ce quartier : les Albouy, qui, de père en fils, depuis plusieurs générations, étaient appelés lou copel blanc. » (Millau à travers les siècles, 1943).
On évoque la rue du chapeau blanc en 1910 lors de l’acquisition du champ Bouquier, futur Parc de la Victoire. Le rapport d’achat de ce champ par M. H. Aldebert mentionnait que celui-ci était « d’une contenance de 8 hectares 63 ares et 10 centiares, au prix de 80 000 francs, soit 0 fr.92 le mètre carré ; la longueur de la façade sur la route nationale est de 187 mètres, sur la rue du chapeau blanc de 241 mètres ».
La principale propriété de la famille, encore visible de nos jours au numéro 24 de l’avenue Charles de Gaulle porte l’inscription : « Villa Chapeau Blanc ». Dernier souvenir de ce temps révolu.
C’est la « voix publique » qui avant donné à ce quartier le nom qu’il porta une trentaine d’années avant que la rue du chapeau blanc soit rebaptisée « rue André Balitrand » (1864- 1931), ancien maire de Millau (1905-1912), député de Millau (1902-1919 et 1924-1928) à qui on a aussi élevé un buste en marbre au Parc de la Victoire.
La chapellerie à Millau
L’industrie de la chapellerie est mentionnée à Millau pour la première fois en 1780.
En 1830, dit A. de Tauriac : « Notre ville offrait 16 maisons de chapellerie occupant 110 ouvriers et 45 coupeuses. L’Espagne, le Midi de la France, l’Auvergne et les environs de Rodez venaient enlever les chapeaux dit flamands, les oursons, les claques, les chapeaux blancs, gris et rosés ; les campagnards et leurs ménagères coiffaient nos chapeaux de laine ; l’armée et la garde nationale de 1791, de 1814 et de 1830, ont trouvé à Millau des coiffures guerrières ou civiques ; les chapeaux de soie, portés par presque toutes les classes de citoyens, ont arrêté notre fabrication. En 1842, il n’existe plus que huit ateliers, où 25 ouvriers et 15 femmes mettent en œuvre la matière première ; en travaillant dès l’aurore au coucher du soleil, un ouvrier fait deux chapeaux par jour » (Esquisses sur Millau et sur sa vallée, p.106-107, 1844).
La rue droite, parmi ses nombreux commerces, compta plusieurs chapelleries longtemps renommées. Tout au long du XIXe siècle, s’établirent les Jammes, les Caussignac, les Sylvestre, les Escorailles… Le plus connu fut sans doute Jules Dhombres qui s’établit lui aussi, rue Droite au numéro 35 en juillet 1867. Son fils Raoul lui succéda.
Les Albouy n’étaient pas les seuls à porter ce sobriquet lié à leur chapeau. Une femme qui travaillait dans les chapeaux et les feutres à Millau était également surnommée « la Capelièira ». Cette industrie des chapeaux, jadis florissante déclina tout au long du XIXe siècle.
Marc Parguel