Causses et vallées

La statue décapitée de Louis XVI à Nant

Pierre François Marie d’Icher de Villefort, né le 31 janvier 1767, passa son enfance à Nant puis fit ses études au collège des Pères Doctrinaires. Officier de chasseurs en garnison en Corse quand éclate la Révolution de 1789, il provoqua Camille Desmoulins. Menacé d’être pendu par ses soldats, il émigre en 1791 et rejoint l’armée des Princes en Allemagne. Sous Napoléon, il rentre chez lui à Nant et après une tentative manquée de mariage, il se consacre au culte de Louis XVI, portant sur lui un médaillon représentant le roi guillotiné et cette inscription : « Français, pleurez et vengez ! ».

Dans une lettre qu’il écrivit à Marie-Louise d’Autriche, impératrice des Français, le 28 juin 1812, il fit part de son retour à Nant et du culte qu’il voue à la Monarchie : « J’ai voulu, une fois rendu à mes foyers, au vallon où tout souriait au souvenir de mon enfance, honorer la ville de Nant de deux monuments dont le seul défaut était une éclatante magnificence au niveau de mon zèle et de mon dévouement. Le premier existe encore (il s’agit d’une croix), et en même temps qu’il atteste ma religion et ma foi, il est pour tous les hommes un signe de rédemption. Celui-là fut élevé sur la place publique, et l’autre fut dédié, dans mon parterre, à la France repentante, dans la statue de Louis XVI ».

Cette statue qui pèse plus de vingt quintaux, il l’a fit sculpter, à ses frais par Muzy, et la plaça dans un petit jardin tenant à sa maison (l’actuel presbytère) au début de l’année 1811, il fête l’évènement avec une vingtaine d’amis royalistes fin janvier et tempête contre le curé de Nant, Jean Réfrégier, qui refuse de célébrer un service funèbre à la mémoire de Louis XVI.

Dans un ouvrage intitulé « Réfutation de la dénonciation au Roi de M. Méhée de la Touche, par un baron sans baronnie », paru en 1814, Pierre d’Icher Villefort nous donne plus de renseignements sur cette période : « L’Europe a lu dans nos journaux la réponse que Sa Majesté honora la députation de la ville de Nant, qui sollicitait la permission d’élever un monument à Louis XVI ; et qu’elle fut sa réponse ? La voici : « On ne pouvait rien me demander qui fût plus agréable à mon cœur, que le monument qu’on désire élever au meilleur des Rois…Je suis sensible aux sentiments que vous m’exprimez au nom des habitants de la ville de Nant… Aujourd’hui, je ne connais que de bon français » (Page 49).

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Le même ouvrage nous apprend que le jour de l’érection de la statue de Louis XVI, le baron d’Icher comptait réunir chez lui toutes les personnes les plus marquantes des environs ; chacune eût été invitée à porter des couplets ou une pièce de vers en l’honneur du Monarque ; mais le refus que le curé de la ville fit de donner un service solennel et de prononcer une oraison funèbre, fut cause qu’il se borna à donner une simple fête aux personnes qui avaient travaillé au monument (page 106).

Luc Rouvière, dans l’ouvrage qu’il a consacré à Nant nous donne une description de la statue : « Il s’en faut de beaucoup que cette statue soit une œuvre d’art. Elle est due à un artisan de la région. Le roi est présenté nu-tête, des cheveux ou une perruque bouclée. Il porte le long manteau du sacre, parsemé de fleurs de lys et entrouvert sur le devant. La main droite pend le long du corps ; la gauche est posée sur un casque. A côté, un tronc de palmier d’où émerge une palme qui ombrage la tête du monarque. A la base, un serpent qui se mord la queue symbolise la Révolution. La date 1793 est gravée au pied de la statue posée sur un socle. » (Nant, jardin de l’Aveyron, 1997).

La statue de Louis XVI (photo de M. Baldeyrou).

Le sous-préfet de Millau, Randon, originaire de St-Jean-du-Bruel, surveille ce royaliste, et transmet son rapport au préfet, rapport qui parvient au ministre de la police, enfin à Napoléon en personne. L’ordre est donné de détruire la statue et d’arrêter d’Icher de Villefort.

Nous sommes le 6 avril 1811, les gendarmes de Millau, Saint-Affrique, Sévérac, Saint-Jean du Bruel, et l’Hospitalet déferlent sur Nant. Voyant qu’on voulait l’arrêter, D’Icher de Villefort se réfugie alors sur le toit de sa maison, mais encerclé, il ne peut que se soumettre et on peut lire dans son ouvrage : « Je me rends…et alors sans jugement, on s’empare de mes papiers, on m’attache sur mon cheval, un cavalier s’empare des rênes de la bride, un autre de celles du bridon, et l’on me conduit dans des cachots… » (Page 76).

Il passera des prisons de Millau, Rodez, puis Montpellier, à la prison du château d’If, célèbre prison d’Etat, sur un îlot à deux kilomètres de Marseille, où, trente ans plus tard, Alexandre Dumas fera vivre son célèbre comte de Monte-Cristo. A. Maury ajoute dans une conférence qu’il a faite sur le sujet : « Là, le prisonnier Icher-Villefort aurait connu des conditions particulièrement dures de détention, du fait surtout de la saleté repoussante de son codétenu de cellule » (communication Sté Etudes Millavoises, sortie foraine à Nant, 29 juin 1996).

Quant à la statue, elle est renversée par les gendarmes, et décapitée, une première fois, sous le choc. Cette répétition de l’exécution de Louis XVI frappe fort l’esprit du maire de Nant, Hilaire Amilhau, qui met la statue à l’abri. Dans son ouvrage intitulé : « Réfutation de la dénonciation au Roi de M. Méhée de la Touche, par un baron sans baronnie », paru en 1814, Pierre d’Icher Villefort pourrait nous confirmer ces propos : « Après que les satellites m’eurent arraché de mes foyers, on renversa la statue de Louis XVI, on lui coupa la tête : mais les habitants secondant les soins du maire, et surtout du vicomte de Fressinet, on parvint, en l’enterrant, à la soustraire aux ordres du ministre de la police, qui enjoignit de la détruire en entier » (Page 76)

En fait de dégradation, il n’y avait que la tête qui était tombée, à l’image des faits réels, la statue avait bel et bien survécu et resta cachée jusqu’en 1814, après la chute de Napoléon. Libéré du château d’If par les nouvelles autorités, après un séjour à Marseille, D’Icher revint à Nant, et apprend avec joie que la statue n’a pas été détruite. Il la fait réparer en faisant fixer la tête au tronc par une tige de fer et l’expose sur la place du Claux. Quelque temps après, dans la nuit du 10 au 11 juin 1814, la statue subit un nouvel attentat sans gravité.

Vue aérienne de Nant (1950).

D’Icher offre la statue à la ville de Nant, qui décide de l’élever sur une colonne en pierre sur la place du Claux. Le retour de Napoléon en 1815 contrarie ce projet. Comme tant d’autres villes, le conseil municipal de Nant se rallia à Napoléon alors que peu de temps avant il soutenait encore Louis XVIII. D’Icher, contrairement à la Mairie, n’est pas versatile et fait preuve de son opposition à Napoléon. Il est de nouveau en prison. La défaite de Napoléon, à Waterloo, le délivre une deuxième fois. Louis XVIII revient à Paris et remonte sur le trône. La colonne dressée sur un piédestal est prête à accueillir la statue de Louis XVI place du Claux, et l’inauguration fixée au 21 janvier 1816 sera précédée le samedi 20 d’une cérémonie religieuse.

Ce jour-là, le maire M. Fadat étant malade, ce fut le premier adjoint, accompagné de la garde nationale, qui se présenta à l’église pour assister à l’office prévu. Debout, au milieu de la nef, le baron l’arrêta et le pria de quitter les lieux. Voulait-il marquer son mépris et son désaveu pour une municipalité qui restait en place, quel que soit le régime. Le maire Jacques Fadat démissionne et c’est le beau-frère d’Icher, Gabriel d’Yzarn Freissinet qui devient maire. La statue enfin peut être inaugurée et cette fois bénite par le clergé, avec service funèbre solennel.

La place du Claux s’appellera place Louis XVI, de 1815 à 1830.

Après la Révolution de 1830, et le départ du dernier roi de France, Charles X, au profit du premier roi des Français, Louis-Philippe, Jacques Fadat redevient maire. Dans la nuit du 28 au 29 mars 1831, la statue est décapitée pour la deuxième fois, et sa tête, probablement jetée dans la Dourbie, n’a jamais été retrouvée malgré d’actives recherches d’Icher-Villefort et de ses amis légitimistes. On attribua cet attentat à des républicains de Millau. C’en était fini des jours de gloire de la statue. La colonne servira à placer une statue de la Vierge, qui fut elle-même remplacée en 1921 par celle de Jeanne d’Arc.

La statue mutilée de Louis XVI est alors restituée à son ancien propriétaire, sur les instructions du Préfet.

Pierre d’Icher-Villefort, ulcéré, lui fait attribuer une nouvelle tête cette fois bien implantée afin qu’elle ne connaisse jamais plus une malveillante décapitation. Cette tête, cependant même si elle était de même pierre, était disproportionnée au corps, et fixé au moyen d’une cheville.

Il l’installe sur un piédestal dans un enclos, probablement pour les volailles, au fond du jardin de sa maisonnette, route de Millau. Il voit avec fureur l’avènement de la IIe république, puis de Napoléon III, mais par respect pour son âge, on ne s’émeut plus guère de ses esclandres qui n’ont plus de prise sur l’opinion nantaise. Il meurt le 7 janvier 1855, à l’âge de 88 ans, et repose au cimetière de Nant. Sa pierre tombale sans nom porte une croix de Malte et deux ailes.

Son neveu Joseph d’Yzarn de Freissinet, annonçant sa mort à la marquise de Pardieu sa fille, lui écrivit : « Il était le drame et la poésie de cette vallée. Il passera, je crois, dans cette contrée à l’état de légende et longtemps les vieillards raconteront à leurs petits-enfants les audaces et les prouesses de ce chevalier d’un autre âge ». Un siècle plus tard, dans les années 1960-70, la statue resta toujours à sa place, respectée par les divers propriétaires successifs du tènement de Pierre d’Icher-Villefort.

« C’est une histoire peu commune, un long temps s’est écoulé depuis ces évènements, les passions se sont apaisées. Pourquoi ne pas replacer la statue sous les yeux du public ? » écrivait Gaston Laurans vers 1970.

En 1989, c’est une dame âgée qui habite cette maisonnette. Au fond du jardin, il y avait un petit enclos entouré de grillage avec, à son centre la statue de Louis XVI, intacte et n’ayant pas souffert des intempéries, cachée des regards par une haie de buis et d’arbres. Pendant une nuit d’hiver, en 1989, on a décapité, sans raison pour la troisième fois cette statue… on ignore les raisons d’un tel geste ?

Dans le hall de la mairie.

Si D’Icher avait été là, il aurait sans doute dit : « Il est bien évident que c’eût été un nouveau crime, que c’eût été renouveler, d’une manière infâme, le souvenir déplorable du plus grand forfait de la révolution : quoique l’image du Roi ne soit qu’une pierre froide et inanimée, la détruire, ce serait un crime punissable aux yeux de l’honneur, de la justice et de la royauté. Ce serait presque aussi coupable que lorsqu’on brisait la croix de Jésus-Christ, car on renouvelait par là, en quelque sorte, le déicide des Juifs. Ce n’est pourtant qu’un monument de fer, de marbre ou de bois, travaillé pour l’adoration avec un vil instrument, comme la statue de Louis XVI l’est pour le respect. » (Réfutation de la dénonciation au Roi de M.Méhée de la Touche, par un baron sans baronnie, 1814, page 79).

Après le décès de la propriétaire, chez qui la statue trônait, un jeune couple a acheté cette maisonnette et vendu à la commune de Nant, la statue de Louis XVI, qui a été placée, toujours sans tête, dans le hall de la mairie en juin 2001. Notons que ce fut la première statue élevée en France à la mémoire de Louis XVI.

Marc Parguel

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