Situé au cœur du centre ancien de Millau, l’hôtel de Pégayrolles reconverti en musée depuis 1987 fut construit à partir de 1738 pour un président au Parlement de Toulouse. Il fut Hôtel de Ville de 1856 à 1937, hébergea aussi la Poste, le Commissariat, la Caisse d’Epargne et la bibliothèque municipale.
La construction (1738-1745)
Lorsque M. Jacques Julien de Pégayrolles, fort d’une ascension sociale sans précédent, décida de se faire construire un hôtel particulier dans le goût du temps, il ne fit pas les choses à moitié. Quittant son antique demeure familiale rue Peyssière, il demanda à faire bâtir sur la place principale de la ville, à proximité immédiate du prieuré Notre Dame de l’Espinasse, un hôtel qui sera le symbole et le couronnement de l’ascension continue de sa famille dans l’échelle sociale depuis plusieurs générations, autant que la consécration de sa propre carrière.
Il fait démolir deux maisons (dont la principale était l’ancienne maison de la famille de St Rome), qu’il avait acquises pour élever sa nouvelle résidence. Il abat aussi le sestayral ou pierre foiral, petit bassin permettant de mesurer les grains, qui se trouvait juste en face de son hôtel en construction et le fait rebâtir à ses frais « en bordure de la muraille du cimetière » (Archives de Millau, B.B.18).
En 1738, l’aile nord est élevée, en bordure du prieuré. Mais elle empiète sur la place, et avec elle, le bâtiment entier, tel qu’il est projeté par son commanditaire. Un long procès voit le jour, intenté par son voisin immédiat Antoine de Sambucy, ancien avocat général à la cour des Aides et Finances de Montauban, en raison de ce que la nouvelle bâtisse préjudiciait « aux vues d’aspect et de prospect » de son immeuble, situé à côté.
Mais Jacques Julien de Pégayrolles ne lâche rien et obtient l’assentiment de la Communauté et des représentants. Les consuls voient en cette construction un bâtiment bien proportionné qui donne un nouveau cachet à la place, à la fois moderne et régulier.
Le procès gagné, il continue la construction de son magnifique hôtel jusqu’à son achèvement en 1745.
Douze ans plus tard, le 14 avril 1757, Jacques Julien de Pégayrolles meurt à Millau.
Description de l’hôtel
L’hôtel de Pégayrolles représente une des premières réalisations d’édifice entre cour et jardin. Synonyme de richesse et reflet de la puissance de ses propriétaires, il représente une nouveauté dans le tissu urbain de Millau qui demeure toutefois une construction austère.
J. Artières, et C. Toulouse le définissent comme suit : « Ce beau monument, à peu près contemporain du Lavoir, porte bien l’empreinte du XVIIIe siècle. Il se compose d’un corps de bâtiment flanqué de deux ailes ; une sorte de chemin de ronde, limité extérieurement par une balustrade en pierre, le couronne au niveau du toit et lui donne un aspect à la fois imposant et gracieux » (Millau, ses rues, ses places, ses monuments, 1924).
Initialement, une terrasse ceinte d’une balustrade en pierre de taille le surmontait. En 1905, celle-ci menaçant ruine, on décida de la démonter et on la refit, cette fois en béton en 1906-07.
Un nouveau projet de façade vit le jour en 1966, et on décida de supprimer la balustrade lors de l’aménagement des combles.
Alain Bouviala ajoute : « L’entrée monumentale, au linteau ouvragé avec clé pendante et tête sculptée. Des colonnes engagées l’encadrent, terminées par des simulacres de chapiteaux sculptés. Les armoiries furent détruites par les révolutionnaires. Ne reste que ce visage avec sa parure qui lentement se dégrade. » (Millérances, millavois.com, 10 mars 2019)
Françoise Galès donne ces précisions complémentaires : « L’hôtel était enduit comme le confirme le procès-verbal de 1855 et les matériaux employés, de qualité médiocre (parement de moellons) à l’inverse de ceux utilisés pour les encadrements des baies, des cordons et de l’entablement. La décoration extérieure reste austère et les seuls éléments décoratifs sont concentrés sur la porte principale (mouluration et balcon en fer forgé) et les masques de l’entablement. Au nombre de vingt, régulièrement répartis sur les trois principales façades, ils présentent des figures humaines grimaçantes. » (Les dossiers d’inventaire, Midi Pyrénées, 2008).
Tourmente et incendies
Son fils qui reprit le flambeau, Etienne-Hippolyte, né en 1721 prit sa retraite assez jeune, en 1767, pour mieux profiter des avantages dont il avait su entourer son existence et, si tel était son dessein, il avait bien raison de s’y prendre s’y tôt, car les évènements devaient un jour, mal tourner pour lui. Ayant échappé de peu à l’échafaud révolutionnaire, qui fit périr tant de ses collègues, il mourut misérablement à Paris, le 29 octobre 1794.
Entre temps, son bel hôtel eut à subir de nombreux avatars. Un premier incendie se déclara en 1789.
Le 22 mai 1791, cet hôtel, qui était le siège du « Club des amis de l’ordre et de la paix » ou « Club monarchiste » fut envahi par la foule, qui brisa les meubles, les emportant pour les brûler sur la place. Ils mirent ensuite le feu à l’immeuble. Seule, heureusement, la charpente fut incendiée. On envisagea de démolir l’hôtel mais il fut sauvé de justesse par l’intervention des autorités.
Craignant pour sa sécurité, la famille de Pegayrolles quitte alors la ville, faute d’une résidence convenable. Pris en pleine tourmente révolutionnaire, on l’enferma dans la prison de la tour carré du Beffroi puis dans l’ancien couvent de la Visitation à Toulouse. Devenu misérable, on le retrouvera à Paris, où il mourra âgé de 73 ans.
En 1810, la percée de la rue Pasteur actuelle coûta aux descendants de Pégayrolles, l’abandon de quelques parcelles, mais améliora la situation de leur immeuble en dégageant sa façade nord.
Dans la nuit du 15 au 16 décembre 1817, ce fut la catastrophe. Un détachement de militaires faisait étape à Millau, venant de Rodez. Il était commandé par le chef de bataillon marquis de Suffren qui logeait chez les Pégayrolles. Le soir, pendant qu’il dînait avec ses hôtes, le feu se déclara dans l’appartement qui lui avait été réservé. Comme il était situé derrière, sur le jardin, on s’en aperçut trop tard et le corps central du bâtiment fut bientôt la proie des flammes.
Voici un extrait du procès-verbal dressé par le sous-préfet : « Le feu se manifesta à l’appartement…et comme cet appartement donnait sur les jardins, il ne fut aperçu que lorsqu’il eut fait assez de progrès pour embraser la croisée et les contrevents. M. le commandant courut aussitôt à son appartement, avec les domestiques et quelques soldats.Il leur fut impossible d’y pénétrer. Dès lors, on fit sonner le tocsin, battre la générale…les progrès rapides de l’incendie firent bientôt juger de l’impossibilité de conserver le corps de bâtiment qui déjà était la proie des flammes. M. Montels, conducteur principal des ponts et chaussées qui, sur le champ, était monté sur les toits pour diriger les travaux, chercha à garantir les deux pavillons attenants au principal corps de logis et les maisons voisines…ce n’est qu’après six heures de travail qu’on s’est rendu maître du feu : on n’a pu sauver que les linges et les effets précieux. On peut évaluer à 50 000 francs les dommages qu’a éprouvés la famille de Pégueirolles » (Archives municipales de Millau, 2D36).
La famille de Pégayrolles subit là une lourde perte et obtint même en conséquence, une réduction d’impôt, en faisant valoir notamment que les 38 portes et fenêtres pour lesquelles l’immeuble était imposé se trouvaient réduites à la moitié de ce nombre.
Devenu Hôtel de Ville (1856-1937)
Encore fortunées, les dames de Pegayrolles font réparer l’hôtel familial et font agrandir le corps de logis central, mais n’ayant aucun hériter direct, le dernier propriétaire en 1855, Marie-Jean Hippolyte, dernier rejeton de la branche cadette , qui avait fixé son domicile à Montpellier, met en vente son hôtel de Millau.
La commune se montra très vite intéressée : « M. le Maire expose que M. de Pegayrolles vient de mettre en vente son hôtel… depuis longtemps, les habitants de Millau ont généralement exprimé le désir que la commune fît l’acquisition de cet immeuble pour servir d’hôtel de Ville et d’hôtel de sous préfecture » (Délibération communale, 10 juin 1855).
Jusqu’ici, c’est la maison de Tauriac, devenu vétuste et incommode, situé rue droite, à côté de la Tour du Beffroi, qui servait de Mairie, et ce, depuis 1794.
M. de Pégayrolles proposa à la ville de lui céder son immeuble de la Place d’Armes (Foch) ou de l’échanger contre l’Hôtel de Ville moyennant une soulte. Après de longs pourparlers et grâce à la constance du maire Achille Villa, financier avisé qui était bien décidé à ne pas laisser échapper cette occasion favorable, la maison de Tauriac fut échangée le 29 juillet 1856, moyennant une soulte de 52 000 francs (Archives municipales Millau, 1D31). L’acte de vente fut définitivement signé en août 1856.
Voici comment fut annoncée la nouvelle aux Millavois : « La ville de Millau vient d’acquérir la magnifique maison de Pégayrolles pour en faire l’hôtel de la Mairie. C’est une heureuse et patriotique idée de l’autorité municipale de l’avoir dotée d’un monument digne d’une grande cité et offrant les plus grandes ressources pour tous les besoins du service : on y remarque un jardin spacieux et très bien distribué, plusieurs superbes salles, propres aux réunions du conseil du recrutement et à des concerts de charité, de nombreuses pièces destinées aux archives, aux bureaux et à des cabinets, une belle façade sur une des places les plus fréquentées. Millau peut se féliciter d’avoir le plus bel hôtel de ville du département » (L’écho de la Dourbie, 2 août 1856).
On fit disparaître plusieurs petites constructions particulières, afin d’agrandir et de rendre plus symétrique le jardin qui s’étendait, avant la construction de la Maison du Peuple jusqu’au boulevard Saint-Antoine, et Millau fut ainsi doté d’un Hôtel de Ville en rapport avec l’importance de la Cité et l’extension toujours croissante de la vie communale.
Dès 1858, on prévoit que les bureaux des télégraphes occupent une aile de l’hôtel. Le rez-de-chaussée de l’autre aile est occupé par un café jusqu’en 1864, date à laquelle on pense y installer provisoirement la sous-préfecture. Au-dessus, dans la seconde aile, le commissariat de police vint élire domicile.
En 1878, les pièces sont remaniées. Les bureaux de poste et de télégraphes sont réunis et conservent l’aile nord, ceux longeant la place Foch l’aile sud, la Caisse d’Epargne, le bureau des agents et celui du Commissaire de police.
De 1880 à 1898, poste et télégraphe désormais réunis furent logés dans l’aile nord, où le commissariat se transféra après leur départ, jusqu’en 1966.
L’immeuble allait donc abriter la Mairie jusqu’en 1937, où par un curieux retour du sort, la commune transféra son siège dans le bel hôtel qu’Achille Villa s’était fait construire, avenue de la République en 1876.
Après le départ de la Mairie, la Bibliothèque Municipale vint la remplacer et le musée fut réorganisé.
La création d’un musée (1904)
Bien qu’il existait une pièce servant de Musée (ancien salon polygonal en 1878), il faudra attendre l’année 1890 pour que soit évoquée pour la première fois l’idée de créer un musée à Millau suite au don d’un portrait du général Rey : « La famille du général Rey offre gracieusement à la ville, pourvu qu’elle se charge du port et de l’emballage, le portrait de ce général, peint par un maître, Raffet, à qui l’on doit les portraits des maréchaux du Premier Empire. On accepte ce don » (Messager de Millau, 24 mai 1890).
Deux semaines plus tard, nous pouvions lire sous la plume d’Henri Arlabosse « Il est probable que ce portrait sera placé dans la grande salle de l’hôtel de ville. Prenant compte de ce fait, nous émettons le vœu de voir, dans un temps peu éloigné, cette salle transformée en musée, dans lequel on pourrait admettre le public, quand la ville possèderait une collection méritant d’être visitée… Il y a peu de villes de l’importance de la nôtre, qui ne possèdent des collections de peintures, de gravures, de numismatique, de céramique, de géologie, etc.
A Millau, on n’a jamais songé à rien collectionner. Les richesses géologiques ou autres qu’on extirpe de notre sol servent à alimenter et à embellir le musée de Rodez ; les tableaux d’un de nos grands peintres décorent les musées de Paris et de Toulouse ; et les portraits des célébrités millavoises sont la propriété de familles qui les conservent avec un soin pieux. Eh bien ! ne serait-ce pas le moment opportun de commencer des collections ? L’exemple de la famille du général Rey trouverait certainement des imitateurs et, si on en faisait de ce don le cas qu’il mérite, nous posséderions bientôt et peut-être rien ne coûte, une galerie convenable…
Nous y voudrions voir les portraits des généraux Solignac, Sarret et Thilorier ; du peintre Richard, ainsi que ses principales œuvres ; de l’auteur dramatique de Planard ; de Mgr Julien de Gualy, ancien évêque de Carcassonne, qui fut un grand bienfaiteur de notre hospice… » (A propos d’un musée, Messager de Millau, 7 juin 1890).
La municipalité de Millau installa dans la salle de ses délibérations le portrait du général Rey (Journal de l’Aveyron, 12 juillet 1890).
La petite salle faisant office de Musée accueillit au fil du temps de nouveaux portraits venus de dons divers : « Mlle de Longuiers dont nous annoncions la mort ces jours derniers a fait don à la ville de Millau de plusieurs portraits de membres de sa famille, parmi lesquels celui de Mgr Julien de Gualy, ancien évêque de Carcassonne, et celui de Mgr Edouard de Gualy, neveu du précédent, qui occupa successivement les sièges de St Flour et Albi » (Journal de l’Aveyron, 17 avril 1892).
En 1904, fort d’une collection de plus en plus importante, fut crée officiellement « Le Musée de Millau » dans l’Hôtel, mais les œuvres présentées n’étaient pas à l’abri des pillages, comme nous le rappelle P.E.Vivier : « il avait été installé dans ce bâtiment, mais dans des conditions de conservation ou plutôt de dilapidation dont il ne vaut mieux ne pas parler… » (Journal de Millau, 21 mai 1982) Bientôt l’espace devint insuffisant.
La municipalité millavoise (maire : Charles Dutheil, 1948-1965), à la recherche d’un local apte à recevoir les trésors de la Graufesenque, « des centaines de kilos de poteries, fruit des nombreuses recherches effectuées ces dernières années à Condatomag », porte son dévolu sur le Vieux Moulin, placé en évidence à l’entrée sud de la ville : l’ancien musée trop à l’étroit dans son grenier de l’hôtel de Pégayrolles ne faisant plus l’affaire. Les archéologues millavois, dirigés par Louis Balsan, investissent l’immeuble durant l’hiver 1954 (Midi Libre, 23 février 1954) bientôt rejoint par la Société d’Etudes Millavoises (1957) et mettent aux yeux du public le fruit de leurs recherches. Déménagement des collections en 1976 dans l’hôtel de Pégayrolles,
Le musée prend définitivement possession de tout l’hôtel en 1987, après avoir partagé ses locaux avec la bibliothèque et l’école municipale de musique qui déménage au Créa. Ce musée abrite désormais des collections régionales de géologie, de préhistoire et d’archéologie médiévale. Des travaux effectués en 1988 ont permis la création de six nouvelles salles et un réaménagement des pièces ouvertes au Public. On ouvre au public une salle méconnue de l’hôtel Pégayrolles : « La chapelle Saint Antoine ».
En 1989, voici comment se présentait le Musée de Millau : le sous-sol est une partie du rez-de-chaussée abritent les vingt salles du Musée Municipal, l’ancienne salle de réunions du rez-de-chaussée est réservée à des expositions de type Art-Cuir. Au premier étage, la grande salle accueille l’exposition « ganterie », l’ancien bureau de la bibliothèque présente au public une collection de poupées en cuirs et peaux. Le deuxième étage est occupé par les bureaux, les salles de formation et les réserves (D’après Bulletin Municipal de Millau, 1989) Aujourd’hui, ce sont 30 salles d’exposition qui présentent les collections liées à la situation de Millau au sein des Grands Causses.
Marc Parguel