Education

Millau. Les élèves de Jeanne d’Arc ont une fois encore fait vibrer les planches

Mardi 21 mai dernier, en soirée, les élèves de Collège et Lycée de la 6e à la Terminale ont présenté leurs fins de travaux sur la scène de la salle René Rieux. Le public était une fois encore venu nombreux pour ce rendez-vous annuel à présent incontournable.

Fraîcheur, énergie et couleurs vives pour chanter les années 80

L’atelier chorale accompagné au piano par son professeur et chef de chœur, Sandra Pramil-Aucourt a fait tout au long de l’année le choix d’un travail technique pointu portant à la fois sur la voix, la respiration, l’utilisation du micro sur scène, la mémorisation des textes chantés ainsi que sur l’accompagnement des élèves désireux de « se lancer » seuls ou à deux sur le plateau.

Aussi, c’est par un voyage musical éclectique dans le passé que les chanteuses ont interprété des titres français et anglo-saxons bien connus : « Stand on the word » de Joubert singers, « Nuit de folie » de Début de soirée, « Les démons de minuit », du groupe Images. Citons de même « Eternal Flame » de The Bangles, « Là-Bas » de Jean-Jacques Goldman et Sirima ou bien encore « Thriller » de Mickael Jackson, version chorégraphiée et savamment menée au piano lors de l’apparition extraordinaire de Laurent Furini, professeur de Lettres classiques, tout de paillettes vêtu pour l’occasion.

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Notons que l’atelier était entièrement composé pour l’édition 2019 de voix féminines aussi, les chanteuses ont-elles pu opter à leur gré pour des titres menés en duos ou en solos. Chansons populaires que le public n’a pas manqué de reprendre à l’unisson.

Des bêtes et des hommes : quand « La Troupe de Jeanne » réactualise Rhinocéros, d’Eugène Ionesco

Cette année, les 16 comédiens de l’atelier théâtre âgés de 11 à 18 ans et leur professeur ont choisi de s’emparer du répertoire franco-roumain en jouant, dans un temps record de répétitions hebdomadaires, l’une des œuvres dramatiques d’Eugène Ionesco intitulée Rhinocéros. Cette pièce parue au préalable en 1959 en Allemagne, est représentée pour la première fois un an plus tard en France, au théâtre de l’Odéon à Paris, sous la houlette du fameux metteur en scène Jean-Louis Barrault.

Le sujet de Rhinocéros raconte en trois actes comment les habitants d’une petite ville de Province sans histoire sont tour à tour touchés par une étrange épidémie de « rhinocérite ». Depuis quelque temps en effet, le calme de cette petite cité se voit troublé par l’intrusion massive de plusieurs mammifères périssodactyles, communément appelés rhinocéros, tandis qu’une étrange maladie contagieuse s’abat sur chaque habitant.

De la simple ménagère au patron de café, en passant par les nombreux employés de bureau, le vieux monsieur ou encore par la charismatique figure du logicien, brillant adepte du « syllogisme », tous ou presque, sont touchés. Les symptômes sont avant tout psychologiques et Ionesco fait ici la part belle aux sceptiques de tous bords ne voyant tout d’abord dans cette contagion effrayante qu’« une histoire à dormir debout » issue d’« une machination infâme ».

Or, la transformation apparait peu à peu aux yeux de tous : la peau des victimes se durcit et verdit, le teint pâlit pour devenir verdâtre tandis que la voix se fait rauque. Le souffle, quant à lui court, bruyant et haletant, préfigure le remplacement du langage humain par de terribles barrissements. Ne reste alors que peu de temps pour qu’une corne proéminente ne vienne compléter ce portrait saisissant, parangon de l’agressivité, de l’instinct grégaire et de la bestialité de l’homme en prise avec de dangereux discours porteurs de haine.

En témoigne la métamorphose spectaculaire du personnage de Jean, clamant haut et fort que « l’Humanisme est périmé » tandis qu’il fonce droit devant et sans aucun scrupule sur son ami Bérenger. Bérenger lui, sera le seul des protagonistes à résister (oui, mais pour combien de temps) ? Petit employé d’administration, ce personnage hors-norme, toujours en retard, débraillé, souvent ivre, fait figure d’exception parmi ses congénères désormais affublés d’une corne menaçante pointant au milieu du front.

Le monologue de fin traduit à cet effet ô combien la métamorphose en rhinocéros est à ce point séduisante puisqu’elle parvient à attirer l’espace d’un instant ce marginal qu’est Bérenger. Heureusement, les dernières paroles de ce personnage atypique montrent le courage de celui qui seul, décide de résister :

« Contre tout le monde, je me défendrai ! Je suis le dernier homme, je le resterai jusqu’au bout ! Je ne capitule pas ! »

En 1959, Eugène Ionesco montre dans cette « anti-pièce » obscurément comique et absurde, les conséquences de la montée de la « peste brune », autrement dit de l’autoritarisme en Europe. Etat de fait dans un contexte où le monde prend alors la mesure des désastres du totalitarisme, à travers les récits de retour des camps de concentration et des prisonniers politiques. Rappelons que toutes les strates de la société, y compris celle des « intellectuels », succomberont à la tentation bestiale. Tous, sauf Bérenger, personnage symbolique incarnant tout à la fois espoir et résistance.

Le sujet est sensible, mais terriblement d’actualité. La mise en scène, signée de la main d’Elida Fabre, professeur et comédienne au théâtre de la Fabrick à Millau, est sobre et esthétique. Praticables blancs, mobilier, accessoires et costumes des années 50 complètent un décor se voulant épuré. Le texte d’Ionesco se suffisant à lui-même. De plus, le travail d’apprentissage de corps, de souffle et de voix des comédiens, inspiré de la méthode Stanislavski trouve ici son expression la plus totale, selon les principes théâtraux d’Antonin Artaud.

Le résultat scénique est alors mis au service de l’émotion du spectateur tandis que le plateau devient terrain de subversion propice à la réflexion et à l’engagement. Et, pour qu’il n’y ait pas un jour de redite de l’Histoire, souvenons-nous quelques fois des mots prononcés par Albert Camus. Nous sommes en 1957, lors du Discours de Stockholm :

« Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. »

Au final, une bien belle soirée donnant au public l’occasion de se divertir et de relire ses classiques en attendant de remettre ce rendez-vous toujours très attendu, à l’année prochaine.

Elida Fabre

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