Opinion

Le sacrifice de deux soldats, et la médiocrité de leurs « admirateurs »

Le 10 mai, les deux touristes en vadrouille au parc de Pendjari ont été délivrés de leurs ravisseurs par un commando de marine. Deux soldats sont morts dans l’intervention.
Et donc, voilà les deux touristes livrés en pâture à la haine des citoyens vertueux et responsables, comme inconscients tragiques et imprudents coupables. On les insulte, on leur souhaite pis que pendre pour le reste de leur vie…

C’est absolument stupide et lamentable.

Depuis quand faut-il évaluer avant de sauver les gens s’ils l’ont bien cherché ou pas ?
Un pompier va-t-il laisser cramer le type coincé au troisième dans les flammes au prétexte qu’il aurait dû faire attention avec sa gazinière ? Non, et si par malheur tout pète, le pompier pètera avec, il le sait avant et il y va quand même.

Nos deux touristes du Pendjari sont juste représentatifs de notre civilisation du plaisir individuel par le divertissement, pas plus, pas moins, et exactement comme des couillons de skieurs qui partent sur les pistes sans regarder la météo, ou les automobilistes plus malins que les autres qui bravent les alertes orange… et qu’il faut aussi aller sauver en prenant des risques le cas échéant.

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Au vrai dans une époque où tout est à durée limitée, on peut comprendre que le caractère définitif du sacrifice absolu en surprenne quelques-uns – mais les seuls qui ne se sont pas posés la question de l’inconscience des deux touristes, ce sont bien les soldats du commando. Leurs seules questions, celles du devoir à accomplir, ont été : « Comment on procède ? » et « À quelle heure on part ? » Voilà en quoi ils sont exemplaires et dignes d’admiration, au contraire des médiocres contempteurs des otages qui touchent vraiment le fond. En persiflant de façon mauvaise sur la finalité du sacrifice des deux soldats ils finissent par salir et déprécier l’attitude qu’ils prétendent admirer. Exactement comme les patriotards de l’arrière en 14-18, qui se moquaient des armes allemandes et de la stupidité boche, enlevant par-là tout mérite aux Poilus qui combattaient un ennemi aussi peu avantagé…

Au final, cette histoire rappelle un peu le film « Il faut sauver le soldat Ryan ». Toute l’escouade désignée pour retrouver le jeune Ryan afin de le renvoyer auprès de sa mère (dont tous les autres fils sont déjà morts en opération) meurt pour accomplir cette mission, et l’officier joué par Tom Hanks dit dans son dernier souffle à Ryan de ne pas culpabiliser, que c’était la mission, la guerre, et qu’il n’a qu’un devoir désormais, c’est de mériter tout ce que ses camarades ont fait pour lui, en menant toute l’existence qui est devant lui de la meilleure des façons… Et quand Ryan revient sur la tombe de son capitaine, en Normandie, longtemps après, il est vieux et entouré d’une jolie famille, il dit merci et il pleure.
Matière à réfléchir pour les grandes gueules, de comptoir ou de salon…

François Bouloc, historien (Millau)

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