Causses et vallées

Mort par erreur

L’histoire qui suit est selon la tradition orale « authentique ». Elle est transmise de génération en génération sur le Causse Méjean. Edouard Alfred Martel l’ayant lui aussi entendu en fait mention dans son ouvrage « les Causses Majeurs » (p.80, 1936).

Nos conteurs locaux la reprennent encore de nos jours. Cette histoire révèle combien étaient difficiles les liaisons entre les hameaux isolés sur le Causse et le chef-lieu de commune situé au fond de la vallée.

Voici l’histoire telle qu’elle nous est rapportée depuis deux siècles

Cela fait déjà plusieurs jours que dans une ferme du Causse Méjean, le grand-père est malade. En cette veille de jour de foire, voilà qu’il agonise. La grand-mère est catégorique : « l’aïeul est en train de passer ». Alors, vu les nombreux kilomètres à parcourir pour se rendre au chef-lieu de commune pour la foire, le fils du mourant décide d’un commun accord avec tous les membres de sa famille, de profiter de cette descente en bordure du Tarn, pour aller déclarer en Mairie le décès du Grand-Père… Vu qu’il est mourant, ça évitera de redescendre une seconde fois…

Après s’être bien assuré de son état défaillant en début de matinée, il descendit par des chemins escarpés, fit ses achats, une faux neuve, quelques outils et quelques denrées et avant de prendre le chemin du retour, il se rendit à la mairie, déclara le « décès » de son père, que le maire « coucha » sans rechigner sur le registre d’état civil…

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En fin de journée, notre fermier retrouva, après une longue montée vers le Causse sa métairie, sa femme, ses enfants, la grand-mère et le grand-père qui semble-t-il allait beaucoup mieux. La grand-mère s’approche de notre fermier et lui dit « Grand-Père ! Il est rébiscoulé ». En effet, il était assis sur lit et à nouveau lucide, il demandait un bol de soupe à sa femme, et fit « chabrot ».

Inutile de dire l’insomnie du fils, qui, rongé de remords, décida, dès l’aube, de redescendre au village réparer sa démarche hâtive de la veille et rétracter la déclaration de décès.

Le maire le reçoit, bougon, mais bonasse, va alors inscrire dans la marge du registre : « Mort par erreur ».

Racheté de sa faute et rassuré, le fils remonta chez lui d’une grimpée tout aussi pénible et malaisée que la veille. Mais cette fois, en rentrant, harassé, il s’écria « Misère de misère ! », il trouva sa femme en pleurs et ses enfants en larmes : « Lou papeto es passat ! ». Complètement mort !

Le lendemain matin, pour son troisième voyage, il ne fit qu’un trait vers la mairie où l’officier municipal ne s’émeut plus et va parafer en marge de l’acte officiel : « Re-mort » et dater.

Nous n’avons à ce jour, comme Martel en son temps pu retrouver l’acte authentique.

Une variante nous est donnée par André Arnal : « Le fermier est perplexe : Remort, Remords : comme vous y allez Monsieur le Premier Magistrat, on va bien croire qu’on l’a aidé à mourir l’aïeul et qu’on en a du remords. »

— « Tu as raison, dit le Maire, ça peut prêter à confusion »

Et se grattant la tête, le premier magistrat note solennellement l’inscription : « Mort définitivement ».

Marc Parguel

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