Patrimoine millavois

Patrimoine millavois : Allons aux Abicasses !

Saint-Valentin oblige, nous nous délecterons d’une de ces expressions en perdition, qui avait tout son charme au XXe siècle : Aller aux abicasses, c’est-à-dire en quelque sorte aller aux fraises ! flâner dans les bois, en amoureux, pour aller conter fleurette et tenter de voir à l’envers de la feuille; je vous laisse découvrir vous même le sens profond de ces termes fleuris.

Pour tout bon Millavois, aller aux abicasses, c’était aller sous les saules au bord de la rivière, en charmante compagnie et plus précisément entre le pont de Cureplats et le Pont Lerouge. Au bord du « Tar », comme il conviendrait de dire. Si Edouard Mouly était encore parmi nous, il nous dirait « Nous avons à Millau une belle rivière. Elle est la parure de notre Cité. Officiellement, c’est le Tarn. Or, dans notre savoureux parler local, nous ne mettons pas d’article devant le nom de notre rivière, pas plus que nous ne faisons suivre son nom d’une consonne nasale, si dure à prononcer. Pour nous, Millavois, le Tarn, c’est « Tar ». Et voici des exemples. Le bon poète Grégoire, que j’ai bien connu, a chanté « Naùtres aben Dourbio et Tar » (Au Tarn). De quelqu’un qui ne trouve pas un objet cependant bien visible, on dit « Trouborio pas d’aïgo à Tar » (Il ne trouverait pas de l’eau dans le Tarn). On va à Tar laver lo bugado (la lessive). On va se baigner, pêcher à Tar. On va voir Tar quand il est gros… et l’on pourrait multiplier ces exemples. » (Alades, 1948).

« L’Aribalette » (collection André Fages)

Mais revenons à nos abicasses. Là, en effet, entre Cureplats et le Pont Lerouge, c’était le lieu des rencontres galantes, sous ces saules à feuilles gris argenté qui bordaient alors le cours du Tarn et qui depuis plus de quarante ans ont laissé la place à des peupliers. Lieu de rendez-vous des amoureux, où l’on pouvait mouréjer « s’embrasser », à l’abri des regards indiscrets.

André Fages évoque aussi « L’Aribalette, nom éveillant pour les anciens Millavois la nostalgie de leur jeunesse où ils jouaient à cache-cache dans les abicasses. Plus tard, à leur adolescence, ce puits dut voir défiler des chercheurs de solitude… à deux. » (La Quête de l’Eau, les Adralhans, 2004)

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A l’abri du gerbier : premières confidences, garçon et fillette de la Société Folklorique « La Gantieirelo » (la petite gantière) de Millau.

Les Millavois aimaient prendre aussi la route de Peyre, et après avoir passé le pont des huit œils, ils se retrouvaient sur les rivages de Piquepoul qui depuis a pris le nom de Piquepoul -Les Abicasses.

Ils se rencontraient aussi vers Massebiau où nombre de pêcheurs savaient que les « abicasses » servaient également de refuge à une multitude de truites. D’où l’intérêt de conserver cette flore bienfaitrice. Les multiples inondations ont fait disparaître en grande partie cette végétation. Malgré cela, l’expression reste.

Quant à l’expression « conter fleurette » qui est plus largement connue, elle viendrait « des phrases futiles prononcées par un séducteur prêt à tout pour plaire » (Direct Toulouse, 21 juin 2012). Une autre piste renvoie aux florettes, pièces de monnaie frappées d’une fleur de lys et utilisées au XVe siècle.

On serait passé de « compter florette » à « conter fleurette » deux siècles plus tard, en référence à l’argent promis à une femme pour la conquérir. Quant à la Saint Valentin, il s’agit d’une dérive commerciale d’un saint ou plutôt de deux saints qui n’ont aucun lien direct avec les amoureux, l’un fut prêtre martyr à Rome en 270, l’autre fut évêque de Terni entre Assise et Rome, décapité aussi pour sa foi en 273.

Carte à système (1965)

Il y a cent cinq ans, une de ces histoires d’amour fit la une des journaux locaux, bien qu’elle soit funèbre, elle révèle bien les mentalités des familles de l’époque :

Une jeune désespérée. « Deux jeunes amoureux arrivaient dimanche (16 novembre 1913) à Millau par le train. L’un d’eux, le jeune homme, âgé de 18 ans connaissait notre ville pour y être né et ne l’avoir quitté il y a environ 4 mois, que pour aller couper des gants à Niort. L’autre, la jeune fille âgée de 17 ans, était une jolie couturière Niortaise qui s’était laissé conter fleurette par son compagnon de voyage et voyait notre cité sous les couleurs les plus roses. Hélas, elle fut bientôt désenchantée. Les parents de son amoureux, contrairement aux affirmations de son bon ami, refusèrent de la recueillir et comme les ressources lui faisaient défaut les insurmontables difficultés d’une pareille fugue ne tardèrent pas à apparaître. Elle regretta alors sans doute la tendre sollicitude d’une mère qu’elle avait quittée et connut les amers déboires et les sombres vicissitudes des sans-logis, si bien que la police de notre ville, ayant eu connaissance de sa situation lamentable, intervint pour la protéger et la rapatrier. En compagnie du père du jeune F…l’agent de police Gaubert l’accompagnait donc mercredi soir, vers cinq heures et demie, à la gare, muni d’un permis de circulation pour le chemin de fer. Sous prétexte de prendre des effets qu’elle avait dans sa chambre située, disait-elle, après avoir passé un pont, elle décida l’agent de ville à se diriger vers le lieu indiqué. Les trois personnes se trouvaient vers le milieu du pont Lerouge, lorsque la jeune fille enjamba tout à coup le parapet et se renversa dans le vide. L’agent eut assez de présence d’esprit pour saisir la malheureuse désespérée par une jambe et fut assez heureux pour la remettre saine et sauve sur la chaussée. La jeune fille qui répond au nom de Marie-Thérèse Grandeuil fut conduite à l’hospice où elle fut mise en surveillance, non sans avoir été paternellement admonestée par M. Guibert, maire de Millau. Ses parents ont été avisés télégraphiquement et on n’attend que leur réponse pour leur ramener une infortunée jeune fille qui non seulement déclare ne plus vouloir rentrer au foyer paternel d’où elle aurait été chassée, dit-elle, mais avoir toujours la ferme intention de mettre fin à ses jours. » (L’indépendant Millavois, 22 novembre 1913).

Marc Parguel

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