Causses et vallées

Un crime de fausse monnaie à Cantobre en 1677

Les habitants de Cantobre ont depuis le XVIIe siècle porté le surnom de « Lous monedies » :  les monnayeurs. Cette appellation remonte à 1677, date à laquelle Jean de Fombesse, seigneur de Cantobre a été condamné pour crime de fausse monnaie.

Mais le délit de fausse monnaie s’est longtemps perpétué, et ce, jusqu’au XIXe siècle. En témoigne un article paru dans la revue religieuse de Rodez en 1872 : « Le 1er mai courant, vers neuf heures du soir, M. le Maire de Nant, averti que des bergers avaient découvert, dans une caverne, aux environs du village de Cantobre, un atelier de fausse monnaie en avisa immédiatement la gendarmerie qui se transporta aussitôt sur les lieux et y passa la nuit. Mais aucun des faux monnayeurs ne vint, cette nuit, à la caverne, et la gendarmerie ne put que saisir les meules et autres ustensiles servant à la fabrication, ainsi que diverses pièces non encore terminées qui s’y trouvaient ». (Progrès, article repris dans la Revue religieuse, 10 mai 1872)

Cantobre vers 1930.

Au-delà de son activité de faussaire, Jean de Fombesse, fils de Pierre est rendu coupable de divers crimes et récidive, on jugea bon d’envoyer de Villefranche une quarantaine d’archers pour se saisir de sa personne.

Camille Couderc a raconté dans une conférence faite à Rodez le 2 août 1924 et publiée le même mois dans le Journal de l’Aveyron (31 août 1924) l’histoire de ce seigneur de Cantobre, convaincu d’avoir fabriqué de la fausse monnaie, commis des rapines diverses, perpétré de nombreux viols et même deux assassinats. Aussi fut-il condamné par le Présidial de Villefranche à avoir la tête tranchée, tandis que plusieurs de ses complices furent pendus. C’est Nicolas Foucault (1643-1721) alors intendant de la généralité de Montauban (depuis 1674) qui raconta comment il fut amené à engager des poursuites contre le dernier seigneur du château de Cantobre.

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Une dizaine de jours avant l’exécution, il écrit à Colbert : « Monsieur, Le sieur de Cantobre a été conduit ici de Montpellier par le sieur de Clérac, grand prévôt de Guyenne ; il y est gardé sûrement, et j’ai cru, Monsieur, y devoir venir moi-même pour lui faire son procès et à ses complices, qui ont commis une infinité de meurtres, d’assassinats, de vols, d’impiétés, de violences et d’exactions dans tous ces quartiers, et particulièrement dans l’étendue du Marquisat de Roquefeuille où ils ont exigé des sommes considérables, le sieur de la Canourgue qui en est châtelain, et le sieur de Bellavenne, agent des affaires de la Marquise d’Alègre, m’ayant assuré qu’ils avaient levé sur les tenanciers de la terre plus de 20 000 écus depuis quelques années.. Il ne tiendra pas, Monsieur, à mes soins que les choses ne changent entièrement de face à l’avenir, et je n’oublierai rien dans cette occasion pour vous faire connaître le respect et l’attachement avec lequel je suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur, A Nant, ce 18 mars 1677, Foucault » (Mémoire de Nicolas Joseph Foucault, 1862, Bibliothèque Nationale, Paris)

Vue aérienne de Cantobre.

Ce même jour, le 18 mars 1677, sous la plume du notaire Lafon de Millau nous apprenons que : « … Divers devaient de l’argent à Messire Jean de Fombesse, seigneur de Cantobre qui fut convaincu de crime, condamné et ses biens confisqués par ordre de Monseigneur Foucaut intendant de Guienne. Les peines et vacations de la prise et conduite au présidial de Rouergue de la personne dud.sieur de Cantobre faite par le sieur de Rochebrune furent taxées à la somme de 800 livres ».

Le 31 mars 1677, le jugement fut rendu sur la place publique de Villefranche, où comparaissaient aux yeux de tous ceux qui avaient commis l’irréparable…
Auprès des condamnés à mort. Jean de Fombesse, seigneur de Cantobre aura la tête tranchée, ses complices : Philippe d’Albignac, chevalier d’Arre, condamné à être rompu vif, Charles d’Albignac, seigneur d’Arrigas Gabriel (?), d’Albignac, seigneur de Ferrières, Louis d’Albignac, seigneur de la Fabrègue à avoir la tête tranchée. Quant aux autres : Jeanne d’Albignac, femme du seigneur de Cantobre, Pierre La molière, valet, Raymond Picquepeyre, juge de Nant, Antoine Bruyères, lieutenant de ce dernier, Pierre Paramis, procureur d’office, et David Vidal, notaire et greffier dud. lieu furent pendus. Parmi les complices du seigneur de Cantobre se trouvait un notaire, âgé parait-il de plus de 100 ans, qui avoua « n’avoir jamais passé un acte véritable » et qui arriva au lieu du supplice « dans une bière » et dans un tel état qu’on estima superflu de lui faire subir sa peine.
L’échafaud pour les uns, et la potence pour les autres furent dans cette circonstance, dressés, à Villefranche, sur « la place publique de la porte du pont ». Les fourches patibulaires, dont on se servait habituellement étaient sur le Puech d’Aigremont (U. Cabrol, Documents sur le soulèvement des Croquants (1910), p. 198-201, les fourches patibulaires).

Le village.

C’est à la suite de cette condamnation que le château de Cantobre fut rasé, ainsi que les maisons des condamnés.

Quelques mois plus tard, on se mit à faire les comptes, nous en trouvons écho dans un acte de Maître Lafon, notaire à Millau (20 août 1678) : « Il fut procédé à la saisie des rentes du sieur de Cantobre et aussi de la somme de 426 livres entre les mains du sieur Valette qui aurait déclaré devant les officiers du marquisat de Roquefeuil devoir la dite somme (17 décembre 1677) somme délivrée à l’agent d’affaires de Madame la Marquise de Roquefeuil, confiscataire des biens dud. seigneur de Cantobre ».

Les condamnations à mort sur la place publique étaient fréquentes à l’époque. Une histoire toujours relatée par Nicolas Foucault, nous fait connaître les dérives de ces pratiques. Le 9 novembre 1677, pour se donner du courage, les hommes chargés de l’exécution, se livrèrent à d’abondantes libations, si bien qu’ils apportèrent beaucoup de négligence à l’accomplissement de leur sinistre besogne. Lorsqu’ils eurent fini, ils rentrèrent à Villefranche et s’arrêtèrent au cabaret où ils avaient fait une première station et pris un très large acompte. Ils venaient à peine de s’asseoir, quand ils eurent la stupéfaction, sans doute un peu nuageuse, de voir entrer un personnage qui ressemblait étrangement à l’un des criminels qu’ils venaient de pendre. Ce dernier était allé au cabaret pour « réparer ses forces… Quelques-uns des archers qui avaient assisté à l’exécution le reconnurent et lui demandèrent si ce n’était pas lui qui venait d’être pendu ». Ce à quoi il répondit avec calme :

– Oh ! non, c’était mon frère.

Mais l’exécuteur peu satisfait par cette affirmation et poussé par le sentiment du devoir le saisit au collet, dégagea son cou et ne fut pas trop surpris d’y voir les traces laissées par la corde. Le misérable fut immédiatement ramené aux fourches patibulaires, dont il s’était tiré et fut pendu, cette fois selon toutes les règles (Exécution du 9 novembre 1677, non relatée par les annalistes de Villefranche).

Marc Parguel

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