1849-1852 : Gendarmes et braconniers à La Roque-Sainte-Marguerite

Marc Parguel
Marc Parguel
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La Roque-Sainte-Marguerite en 1905.

Nous allons retracer aujourd’hui une histoire qui a fait beaucoup de bruit en son temps et qui fut relatée par le journal local de l’époque « L’écho de la Dourbie ». Cela aurait pu être une banale histoire de braconnage si elle n’avait pas fait tant d’éclat si je puis dire, dans toute la commune de La Roque…

En septembre 1849, nous pouvions lire par voie de presse : « La justice s’est transportée, dimanche dernier, dans le canton de Peyreleau, pour constater un crime. Samedi matin, le maréchal des logis Batut et le gendarme Delmas, de la brigade de Saint-Jean-du-Bruel, étaient en tournée dans la commune de La Roque-Sainte-Marguerite. Arrivés près de Pierrefiche, ils se séparèrent pour surprendre des chasseurs que les aboiements d’un chien leur avaient signalés. Au détour d’un sentier, le maréchal des logis tombe à l’improviste sur deux individus couchés à plat ventre et armés de fusils. Ils se livrent aussitôt ; l’un prend la fuite, l’autre saisit son arme, la dirige contre la poitrine de Batut et menace de faire feu, s’il s’avance vers lui. Tout à coup, une double détonation se fait entendre. Non loin de cette scène, une autre plus terrible vient de se passer. Le gendarme Delmas a découvert le second chasseur.
Celui-ci se voyant pris, jette son chapeau au pied de Delmas, qui est descendu de cheval, et le couche en joue en lui criant : « Si vous faites un pas, vous êtes mort ! ». Au même instant le coup part et atteint presque à bout portant le gendarme à l’épaule ; Delmas veut s’élancer sur le chasseur, mais il reçoit un second coup de feu à l’avant-bras droit et tombe baigné dans son sang. Le maréchal des logis vole au secours de Delmas ; le meurtrier a disparu. Bientôt après, le malheureux blessé recouvrant quelque force, parvient, avec l’aide de son camarade, à se traîner jusqu’à Pierrefiche, où des soins lui sont donnés. Les deux coupables sont en fuite, mais la justice est sur leurs traces. Les blessures de Delmas présentent beaucoup de gravité, on conserve néanmoins l’espoir de le sauver ». (Echo de la Dourbie du 8 septembre 1849).

Dessin de Rosette Laureille-Pendariès (2004)

Le gendarme Battut transporta son camarade comme il put, jusqu’à Pierrefiche, et le lendemain, Delmas fut transféré à l’hospice de Millau, ou il reçut les soins empressés auxquels il doit la vie et la conservation de son bras. Cependant le meurtrier s’est échappé ; mais on su bientôt que Maurice Bétou était l’auteur de ce criminel attentat. Il avait été reconnu par plusieurs personnes pour être l’un des chasseurs que les gendarmes avaient poursuivis, et il avait du reste, déclaré, dans une maison où il avait cherché un refuge aussitôt après le crime, « qu’il était bien malheureux, qu’il venait de tirer sur un gendarme et qu’il s’était bien compromis ». Et le voilà en fuite à travers monts et plaines, la gendarmerie fait des recherches actives.

En janvier 1850, les noms des fugitifs sont exposés dans la presse : « les nommés Rémi Malzac et Maurice Betou, de Pierrefiche, auteurs présumés de cette rébellion et de cette tentative de meurtre » ; l’affaire est envoyée devant la Cour d’Assises de l’Aveyron, mais sans les fugitifs toujours introuvables (Echo 12 janvier 1850). Un mandat d’arrêt fut aussitôt lancé contre Betou ; mais pendant longtemps il parvient à se soustraire aux recherches de la justice. Et le 21 mai 1850, la justice rendit son verdict sans le prévenu : « le nommé Betou Maurice, cultivateur, domicilié à Pierrefiche, commune de La Roque-Sainte-Marguerite, canton de Peyreleau, arrondissement de Millau, déclaré coupable : 1) de résistance avec violences et voie de fait et avec armes envers des agents de la force publique agissant pour l’exécution des lois ; 2) de tentative d’homicide volontaire envers un agent de la force publique dans l’exercice de ses fonctions, laquelle tentative d’homicide avait pour objet de favoriser la fuite ou d’assurer l’impunité des auteurs ou complices de la susdite rébellion, a été condamné par contumace à la peine de mort, et aux frais de la procédure ; le tout en exécution des articles 209…» (Echo de la Dourbie, 1er juin 1850).

Ayant appris la nouvelle et ne souhaitant pas purger sa condamnation, Betou continue de se cacher dans les forêts du Causse. La presse nous apprend qu’en 1852, soit deux ans après sa condamnation, que « Cet individu, favorisé par les profondes solitudes du pays, et par la complaisance des habitants, a jusqu’à présent bravé les recherches les plus actives de la force publique ». Combien de temps tiendra-t-il ?

Le village de La Roque, dessin de Rosette Laureille Pendariès (2004)

Le journal nous informe que le coupable vient enfin d’être capturé en mars 1852, nous pouvons lire : « Malgré la situation scabreuse et isolée de Pierrefiche, malgré la connivence des habitants qui le protégeaient dans toutes les occasions, les efforts et le zèle de la force publique devaient triompher, et ce malfaiteur ne pouvait pas toujours braver l’action de la justice. La brigade de Saint Jean du Bruel résolut d’en finir avec ce braconnier qui était devenu la terreur du pays par ses menaces de mort ou d’incendie. Elle se transporta de nouveau dans les rochers et les bois de la Salvage. Là, par le temps le plus rigoureux et pendant trois jours et quatre nuits elle se tint en embuscade, elle y multiplia les visites, elle parcourut tous les divers hameaux de la commune de La Roque-Sainte-Marguerite, où il avait l’habitude de se réfugier et de se cacher. Elle apprit enfin que Betou était entré à son domicile dans la matinée du 3 mars, après avoir chassé deux jours consécutifs aux environs de Saint-Véran. Soupçonnant que Betou pourrait se rendre dans l’auberge du sieur Malzac de Pierrefiche, pour manger avec ses camarades le produit de sa chasse, les gendarmes s’y transportèrent vers les dix heures du soir après avoir pris toutes les mesures de prudence et de précaution ; effectivement, Betou fut trouvé assis à une table vis-à-vis la porte d’entrée au milieu de quinze individus occupés à boire et à manger. Comme on savait qu’il était toujours armé de pistolets et d’un fusil à deux coups, et disposé à toute tentative désespérée contre quiconque voudrait l’arrêter, les gendarmes fondirent immédiatement sur lui et le saisirent sans lui donner le temps d’opposer la moindre résistance, tandis qu’ils sommaient, au nom de la loi, tous les assistants de respecter le mandat qu’ils allaient remplir, au péril même de leur vie ; les spectateurs restèrent terrifiés et immobiles devant cette conduite courageuse de la gendarmerie et Betou, voyant qu’il était impossible de lui échapper, s’écria : Si vous cherchez Maurice, c’est moi, ne me faites aucun mal. C’est un nouveau service que la gendarmerie vient de rendre au pays, elle mérite les plus justes éloges pour la manière énergique avec laquelle elle a agi dans cette circonstance, et le brave maréchal des logis Battut, a parfaitement dirigé cette opération qui pouvait devenir périlleuse. Betou a été transféré à Rodez pour y purger sa contumace. » (Echo Dourbie, 13 mars 1852)

Dans l’auberge de Pierrefiche, dessin de Rosette Laureille Pendariès (2004)

En juillet 1852, une nouvelle affaire remet tout en question  sur la peine infligée à Betou : « Il y a quelques mois à peine, un évènement tragique se passait à une faible distance de Rodez. Un gendarme de la brigade de Marcillac étendait raide mort d’un coup de carabine un chasseur surpris en flagrant délit de chasse sans permis et qui le couchait en joue pour l’empêcher de constater son identité. Si cet exemple avait été donné plus tôt, il est probable que le sieur Betou ne comparaîtrait pas aujourd’hui devant la cour d’assises ».

La balle est désormais dans le camp du coupable, il ne lui reste plus qu’à se défendre correctement devant le jury, ce qu’il fit : « L’accusé tout en reconnaissant avoir fait feu sur le gendarme, soutient qu’il n’a pas eu l’intention de le tuer ; il affirme qu’il voulait seulement le mettre dans l’impossibilité de l’atteindre, et il en donne pour preuve la direction de ses coups qui auraient dit-il, porté sur d’autres parties du corps, s’il avait eu intention de tuer le gendarme. Le jury déclare en effet l’accusé non coupable sur le chef de tentative d’homicide volontaire ; il répond affirmativement à la question subsidiaire de la rébellion. En conséquence, Maurice Bétou en est quitte pour deux années d’emprisonnement ». (Echo Dourbie, 3 juillet 1852)

Marc Parguel

La tour de La Roque-Sainte-Marguerite (Fonds Pierre Solassol).
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