Patrimoine millavois

Patrimoine millavois : Quand on faisait « tasto bi » pour la Saint Martin

Lorsque le vin nouveau était tiré du foudre, c’était l’occasion de faire un « tastavi » ou tasto bi : un tâte-vin. C’était aussi l’occasion de faire la grillée de châtaigne. Mylou du Pays Maigre (Edouard Mouly) à ce sujet écrivait : « Tastobi ! Goûter le vin nouveau ! Encore une tradition qui, je le crains, est en train de se perdre. Autrefois, au moment même de la vendange, selon les prévisions qu’on pouvait faire sur la qualité et la quantité du vin, on en parlait déjà. Si la récolte était belle, on disait : « le vin sera bon ». Année de sècheresse signifiait : petite récolte, vin supérieur. Année humide, c’est-à-dire raisins tout juste mûrs et noyés d’eau, faisait faire le pronostic suivant : « Se colro orruca de lo poret per lo bioùre » (Il faudra s’appuyer du mur pour le boire), parce que le vin serait faible et aigrelet. Et toutes ces prophéties se terminaient par ce mot : on verra bien quand on fera Tastobi. » (Journal de Millau, 19 septembre 1948).

Après les vendanges, le vin étant soutiré et le marc pressé, c’était la coutume de se retrouver le soir ou le dimanche entre parents, voisins ou amis dans les caves ou au coin de la cheminée. C’était une tradition irremplaçable que ces soirées tasto bi.

Léon Roux (1858-1935) évoquant la vigne nous le rappelle : « les vendanges à Millau, ne donnaient pas lieu, comme en certains pays à des fêtes bacchanales. La fête du vin venait plus tard, c’était l’invitation, lou coubit del tasto bi. Ces repas avaient lieu après le soutirage, vers la mi-novembre et, comme les invitations étaient rendues, et aussi, comme ces repas n’avaient lieu que le samedi soir ou le dimanche à midi, ils duraient jusqu’à Noël, étaient parfois même le réveillon. C’était en général une formidable dinde rôtie- piot ou pioto –qui était le plat de résistance de ces agapes. » (Messager de Millau, 21 mai 1932)

René Gauffre à ce sujet pourrait ajouter « Nous étions plus ou moins serrés autour des foudres pour goûter le vin nouveau. Nous avions, pour agrémenter le pain, du fromage de Cantal ou bien de la rébarbo dérivée du fromage de Roquefort. Il était courant aussi, d’ajouter pour les amateurs, des sardines séchées et salées dans des barils que nous appelions légendairement « gendarmes ». Nous étions là dans la pénombre, éclairés seulement par une bougie et, de temps en temps, au milieu des rires, on entendait notre hôte interpeller « Ané, faï lun qué té serbissé ! ». C’étaient des soirées de gaieté qui se terminaient souvent assez tard par des chansons » (Extrait de « Ma vie , 1924-2000 »).

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Edouard Mouly alias Mylou du Pays Maigre (1883 – 1964) sur le seuil de la cave de son oustalou de Combeléon, au cours d’une dégustation de « taste bi » vers 1910. (Collection André Fages)

Mylou du Pays Maigre raconte le souvenir de son premier tasto-bi, c’était à la fin du XIXe siècle : « Cela se passait dans la cave de l’oncle Eugène, dans la vieille Rue Basse… Le matin aidé de mon père, l’oncle avait nettoyé et rincé la futaille. Dans l’après-midi – ce devait être un jeudi puisque j’étais là – se fit l’opération de couler le vin. L’oncle troua le foudre. C’est-à-dire qu’il enleva le bouchon extérieur de la cannelle. On n’utilisait pas encore les gros robinets- puis chassa avec un bout de bois assez long le bouchon intérieur et mit en place un petit tube coudé en zinc, et le vin jaillit dans le semalou. Mon père alors dit à l’oncle : « – Ce serait peut-être le moment, avant qu’il ne se trouble, de tirer un barralou de vin pour faire la collation et pour le goûter. » L’oncle lui dit : « – Pas encore, le bon vin est dans le milieu du foudre, dins lou noual. » C’était la première fois que je voyais transposé, dans une réalité concrète, le vieil adage latin : In medio stat virtus ! Avec une grande bassine en cuivre, le vin était puisé dans le semalou et versé dans les barriques au moyen du gros entonnoir : lo goujo. Quand l’oncle estima que c’était le noyau qui coulait, il remplit un barral. Puis il se fouilla. De son gousset, il sortit la somme de douze sous qu’il me remit. « Avec ça, me dit-il, tu vas aller acheter, d’abord un boulanjou de trois sous (c’était un pain de forme allongée, terminé à chaque bout par une boule et portant deux gros renflements dans le milieu, et qui devait peser sans doute une livre) ; puis tu iras chez l’épicier demander trois alencados (sardines au barril), qui te couteront les trois cinq sous, et enfin, avec les quatre sous qui restent, tu porteras, toujours de chez l’épicier, quatre sous de rebarbe ou, s’il n’y en a pas, quatre sous de fromage de Cantal. Et avec ça nous ferons une bonne collation en goûtant le vin nouveau. » (Quand on faisait tasto bi, Journal de Millau, 19 septembre 1948).

L’Orphéon de l’Alambic.

Dans le même esprit que les clubs sportifs, mais dans un autre registre furent crées au début du XXe siècle, des bandes telles que le « Spongio Club ol tasto bi », « l’Orphéon de l’Alambic » ou encore « la bande del Grup »… C’étaient des groupes d’amis qui aimaient bien boire, bien manger, bien chanter. « La bande del Grup », devant la crise viticole qui sévissait alors, organisa le 30 juin 1907, une sortie dégustation des vins de la Vallée du Tarn, avec banquet, soupe au fromage, et visite des nombreuses caves de la région. Il semble que ces curieux pèlerins aient réussi à trouver sans trop de mal le chemin du retour puisque le soir, à leur « siège social » ils donnèrent un feu d’artifice, avec illuminations et fête de nuit.

Nos archives conservent des souvenirs mémorables liés à l’excès de la dive bouteille. En voici quelques passages :

Août 1845 Dans la soirée du mercredi 27 (août) le cadavre du nommé Fabreguettes, pauvre de l’hospice de Millau, idiot connu sous le nom de Bourret, a été trouvé sur la route de Millau à Aguessac près de ce village. La justice s’est transportée sur les lieux. L’autopsie a prouvé que la mort de Fabreguettes a été le résultat d’une attaque d’apoplexie foudroyante provoquée par un excès de boisson ».(L’Echo de la Dourbie, 30 août 1845).

Janvier 1876 Oh ! le vin, que de sottises il fait faire ! Dans la journée de lundi (31 janvier), le sieur Caumels s’était rendu à sa vigne. Il en revenait le soir, après sept heures, en compagnie de son voisin Fraysse, lorsque, dans le chemin de la Croix Vieille, il rencontra, attablés chez le nommé Maury, Bousquet et Aldiguier qui l’invitèrent à boire. Il refusa d’abord et continua son chemin avec Fraysse jusqu’à la barrière du chemin de fer. Arrivé là, il s’arrêta et dit à ce dernier : il faut que je retourne chez Maury. Il y revint effectivement et y trouva, outre Bousquet et Aldiguier, d’autres buveurs et nominativement les sieurs Gavinq et Bessodes.
Après avoir bu, ils sortirent tous et, chemin faisant, une discussion s’engagea entre Caumels et Gavinq. Elle dégénéra bientôt en rixe et mit aux prises Gavinq et Bessodes d’un côté et de l’autre Caumels et Aldiguier. Celui-ci a reçu de légères blessures à l’œil droit et au poignet gauche. Caumels a eu le crâne fracturé, c’est ce qu’à constaté l’autopsie, par un violent coup qui lui fut porté au dessus de l’oreille droite.
Cependant malgré la gravité de son état, ce malheureux put se rendre au commissariat de police où il a déposé sa plainte, et de là, chez lui où il est mort quelques heures après. Des arrestations ont été faites. La justice informe. (Millavois, repris dans le Journal de l’Aveyron, 8 février 1876)

Un groupe d’ouvrier travaillant dans l’industrie des peaux (1908).

Juin 1907 Un ivrogne récalcitrant, le nommé Calvet, dit Tiradou, étant en état d’ivresse s’est présenté jeudi soir (13 juin 1907) au secrétariat de la Mairie pour demander un bon de consultation qu’on lui a refusé. Invité à se retirer et à repasser le lendemain, l’ivrogne a refusé menaçant les employés qui ont dû requérir les agents de police pour l’expulser. Calvet a opposé une vive résistance et frappé les agents. Le brigadier de police a reçu un violent coup de pied sur le tibia de la jambe gauche. Conduit au Parquet hier matin, il a été écroué à la maison d’arrêt d’où il n’était sorti que depuis quelques jours venant de purger une condamnation pour des faits analogues. (Messager de Millau, 15 juin 1907).

Octobre 1913 Un dimanche de ce mois, « l’agent Bousquet surprit le nommé Flatrès Eugène, chanteur ambulant, sans domicile, originaire de Brest, au moment où il se livrait à la mendicité dans la rue Peyssière. Aux observations de l’agent, Flatrès répondit par des outrages et des menaces, et finit par se coucher sur le sol. Il dût être conduit au poste sur un chariot et déposé au violon municipal pour y cuver son vin. Le lendemain matin il était amené au Parquet et, après interrogatoire, écroué à la maison d’arrêt. » (L’indépendant Millavois, 18 octobre 1913). A la folie se mêle aussi l’imbécillité : Un autre soir de dimanche 1913, « le nommé Gayraud Prosper, âgé de 34 ans, journalier à Millau, ne trouva rien de mieux, pour passer son temps, que de se livrer à des acrobaties sur la fontaine de la Tine, se suspendant aux tuyaux qui déversent l’eau dans le bassin. Deux de ces tuyaux furent ainsi complètement brisés, et Gayraud, qui se trouvait dans un état d’ivresse manifeste, se vit dresser procès-verbal. Conduit au violon municipal, il y cuva son vin jusqu’au lendemain. Il devra comparaître devant le Tribunal correctionnel sous l’inculpation de dégradation de monument public. » (L’indépendant Millavois, 11 octobre 1913).

Marc Parguel

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