Patrimoine millavois : Le cimetière de l’Egalité

Marc Parguel
Marc Parguel
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Le Cimetière de l’Egalité connu aussi sous le nom de cimetière du Cayrel qui est son appellation d’origine s’étend sur six hectares en pente douce face à la Pouncho d’Agast et à proximité du Parc de la victoire. Longé par la rue des lilas et la rue de l’égalité, sur lesquelles travaillent depuis 1860 des marbriers, il s’agit du plus vaste cimetière millavois, on y dénombre pas moins de 7000 tombes.

Ce cimetière, sis au terroir du Cayrel a été ouvert en 1825. La première inhumation qui y fut faite remonte au 1er janvier de cette année-là. Auparavant, les enterrements se faisaient au cimetière de l’Hôpital (Hôtel Dieu) dans la cour même de cet établissement (1710). Devenu insuffisant, on en créa un nouveau (Place Bompaire) qui fut utilisé de 1782 à 1824. Plus anciennement encore, c’était dans un champ, derrière l’église Notre Dame, près de la porte de la Fon que les inhumations se faisaient (1er novembre 1481).

Un article paru dans le Journal de l’Aveyron du 13 juin 1889 nous donne des informations complémentaires : « En creusant sur la place du Mandarous une tranchée d’égout, on a mis à nu un grand nombre d’ossements humains. Il y avait là jadis un cimetière au commencement du dix-huitième siècle ; outre le cimetière paroissial situé sur l’emplacement de la halle et de la cour de Notre Dame, il en existait cinq autres où l’on enterrait les catholiques. Le cimetière protestant était situé dans la rue du Sacré Cœur ».
Mais revenons à notre cimetière de l’égalité.

En 1810, les habitants du faubourg du Pont demandaient l’éloignement du cimetière de l’hôpital (Hotel Dieu) situé Place Bompaire, que les remblais des nouvelles routes avaient encerclé et qui était devenu insuffisant ; il empêchait d’ailleurs le parachèvement du Tour de Ville ; il était plus nécessaire encore, au point de vue de l’hygiène, de transférer extra-muros le lieu des inhumations.

Pour réaliser ces améliorations, le conseil municipal fit une imposition extraordinaire et acheta un terrain au Cayrel. Telle fut l’origine du cimetière actuel, où se font les inhumations depuis 1825. Les diverses dates qu’on peut lire sur les portes d’entrée : 1826, 1847, 1866, 1887, indiquent les agrandissements successifs de notre champ de repos, qui depuis lors s’est encore accru au couchant et au nord.

On estime aujourd’hui à 30.000 le nombre de personnes enterrées à l’Egalité qui, de sa position originelle excentrée, s’est retrouvée quasiment en centre-ville du fait du développement urbain de Millau vers le nord et l’ouest. A l’ombre de ses cyprès centenaires, c’est devenu une véritable petite ville des morts au milieu de celle des vivants.

Photo n°2 : La tombe où reposent l’abbé Pierre Constans, curé de Notre Dame et l’abbé Joseph Rouquette, curé du Sacré Cœur.

Parcourons ces allées et arrêtons-nous devant la croix sous laquelle repose l’abbé Joseph Rouquette, curé du Sacré Cœur (1875-1886) et premier historien de Millau (6 janvier 1818- 27 décembre 1892). C’est à lui que Jules Artières demandait en 1886 d’écrire « L’histoire de Millau », ce à quoi il répondit sur un ton à la fois rude et amical « Donnez-moi vingt ans de vie et je le ferai. »

Il avait demandé à être inhumé dans la chapelle de Notre-Dame-de-la-Salette, dont il avait acquis le terrain de ses propres deniers. Ce projet ne fut pas réalisé. Il dort dans le cimetière de Millau sous l’imposante croix de pierre dressée sur la dalle timbrée des insignes curiaux. Une modeste inscription y rappelle son souvenir : « Joseph Rouquette, ancien curé du Sacré-Cœur, décédé à Millau le 27 décembre 1892, à l’âge de 74 ans ». Il y avait retrouvé là son oncle, l’archiprêtre Constans enseveli en février 1875.

Georges Girard devant la tombe d’Emma Calvé, en 2004, lors de la célébration des 150 ans du félibrige.

Au fil des allées, on verra aussi se démarquer des autres tombes, celle de notre « Carmen » : la généreuse cantatrice Emma Calvé qui mourut dans le dénuement. Elle fut inhumée là, une froide journée d’hiver, le 6 janvier 1942, où l’attendait le caveau qu’elle avait fait construire pour ensevelir son père, décédé en 1902, et où elle a voulu reposer. Sa mère est enterrée au cimetière de Miramont, à Decazeville.

Evoquant la mort, Emma Calvé disait : « Je plains ces vieilles gens qui se croient obligés de rester toujours à la même place afin de vivre plus longtemps. La mort est bien sûre de ne pas les manquer, elle sait où les prendre ! Moi, je tâche de lui échapper ! J’espère continuer de voyager aussi dans l’autre monde où les chemins doivent être aisés puisqu’on y va les yeux fermés ».

Un monument, dû à l’initiative de l’association des Amis d’Emma Calvé, dont Georges Girard fut un des actifs contributeurs, a été élevé sur sa tombe à l’occasion du centenaire de sa naissance, en 1958, avec une cigale sculptée, son emblème, et sa devise en occitan : « Que canto, soun mal encanto » (Celui qui chante enchante son mal).

Un ange veille au repos éternel d’une enfant.

En remontant les allées, c’est l’histoire de Millau qui défile sous nos yeux, des noms bien connus d’industriels, des bienfaiteurs, mais aussi des tombes abandonnées dont le temps a effacé des inscriptions séculaires. On peut voir quelques anges qui pleurent au souvenir d’un enfant trop tôt disparu ou des madones inclinant leur tête de douleur.

Impressionnantes sont les chapelles monumentales dressées dans le carré protestant ou les tombes d’aristocrates qui jalonnent les allées.

Que l’on soit riches ou plus modestes, la mort n’oublie personne et depuis la création du cimetière, le jour de Toussaint a été sacré pour se recueillir comme en témoigne cet article de la fin du XIXe siècle : « Une foule considérable de visiteurs, sont allés pendant la journée du 1er novembre, déposer des bouquets et des couronnes sur la tombe de ceux qu’ils ont perdus. Le temps affreux qu’il a fait, pendant toute la journée n’a point détourné notre religieuse population de ce pieux pèlerinage. » (Journal de l’Aveyron 2 novembre 1892).

Le lanceur de grenade, une œuvre d’Auguste Verdier orne la tombe d’un poilu.

Sur la tombe de Marius Bessière, mort au champ d’honneur le 15 avril 1915, on remarquera une statue magnifique, œuvre du sculpteur Auguste Verdier (17 mars 1871- 13 novembre 1948) représentant le lanceur de grenade. Elle a été réalisée en 1921. De marbre blanc, elle représente le poilu, vêtu de la tenue réglementaire portée par les jeunes recrues.

Un autre monument élevé à la gloire des héros de la guerre de 1914-1918 fut élevé par souscription publique sur l’initiative de l’association des victimes de la guerre et des anciens combattants. Inauguré le 11 novembre 1928 par le maire Barsalou et M. Richard, président de l’association, il devait recevoir sur son mur d’autres noms de victimes tuées au cours des autres guerres tout aussi désastreuses.

Le monument élevé à la gloire de nos morts pour la patrie.

On remarquera comme curiosité dans le cimetière, un grand obélisque. Les Millavois ayant apprit qu’on avait érigé en 1836 sur la place de la Concorde à Paris, un obélisque provenant du temple de Louxor voulurent, en avoir un plus modeste, sur la place du Mandarous.

Aussi, le 23 juin 1838, une pétition des habitants du quartier réclamait que l’on érigeât un obélisque avec quatre bassins. Une fois la décision prise, les travaux furent rondement menés et achevés au printemps 1839.

La suite nous est racontée par Jules Artières : « On éleva sur la place du Mandarous, afin de l’embellir, un obélisque fontaine à quatre robinets déversant l’eau à jet continu. Mais ce monument ne tarda pas à être trouvé gênant ; il était d’ailleurs d’un style bien sévère, peu en harmonie avec la gracieuse animation du quartier le plus vivant de la ville. Aussi, en 1847, la colonne pyramidale disparut et fut transportée au cimetière. On ne pouvait lui trouver une meilleure place. Située vers le centre de notre vaste nécropole, elle la domine et, par la croix (aujourd’hui cassée qui la surmontait), fait planer au-dessus des cyprès et des tombes le signe de la Rédemption, le symbole de l’Espérance » (Jules Artières, Annales de Millau, 1900)

L’obélisque du cimetière.

Quelques épitaphes pour terminer. La plus originale est sans doute celle d’Henri Terral (1852-1897) l’auteur de l’hymne de la ville « O que es polit Milhau ». Il fit graver sur sa tombe cette inscription qui, résume bien son état d’âme durant son existence terrestre : « Pour l’infortuné dont la vie, fut toute vouée à gémir, Est-il sort plus digne d’envie, Que de pouvoir enfin dormir. »

Une autre épitaphe se lit à peine sur un livre de pierre, dont le temps a fané les lettres : « Autrefois sur la terre, nous étions comme vous mortels, pensez y bien et priez Dieu pour nous ». Plus laconique encore : « Hier j’étais ce que tu es, demain tu seras ce que je suis ».

Mais la plus simple, et finalement, la plus belle est celle-ci : « Ici reposent ceux que nous avons tant aimés ad vitam aeternam ».

Marc Parguel

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