Causses et vallées

Notre Dame de la Salvage (commune de Millau) (1/2)

Située à 730 mètres d’altitude, au carrefour d’une antique « draille » qui reliait le Larzac au Causse Noir, Notre-Dame de la Salvage se profile à 9 kilomètres à vol d’oiseau à l’est de Millau sur le bord septentrional du Larzac.

Pour accéder à la chapelle qui s’élève sur ces premières pentes déclinantes de ce plateau vers la Dourbie, on pouvait emprunter par la vallée dès le Moyen-âge, le sauvage ravin de Laumet (petit ormeau), après être passé sur un pont de pierre encore debout au XIIIe siècle qui enjambait la rivière. Ceci nous est confirmé par D. Rey : « Jusqu’à la fin du XIIIe siècle, les troupeaux pour se rendre au Causse Noir transitaient du Larzac en traversant la Dourbie sur le pont de Saint Amans de Bouffiac, près de Laumet ou l’Olmet, comme on disait alors (Ipse testis stetit pastor in Larziaco, scilicet illo anno quo fuit dies nox…cundo et transeundo per pontem de Boffiaco quando ibat vel rediebat de Barres » (Barre ou Embarry, vaste tènement de dépaissance du Causse Noir).

Ce pont qu’on doit attribuer aux moines de Saint Guilhem était vraisemblablement en pierre ce qui était très rare à cette époque. Il fut détruit par une crue avant l’année 1413 « usque ad pontem fractum de Boffiaco (31 mai 1413, Boissac notaire) (D.Rey, les fortifications de Millau, p.113, 1924). Dans des notes manuscrites, Albert Carrière indique :  « Pourrait-on découvrir vis-à-vis de l’Eglise de Bouffiac des vestiges de l’ancien pont et par suite la draye qui y aboutissait… Cette draye qui franchissait la Dourbie au pont de Laumet se continuait sur le Causse Noir certainement, car les troupeaux transhumants allaient beaucoup plus loin vers le Nord. N’y aurait-il pas de traces de draye en direction du N.Ouest ou Nord ? Un répertoire de M. Layral porte : « Vente d’une pièce de bois al pont de Bouffiac del saltz del ranc (du saut des falaises) jusques al pla del Larzac (1292, registre Vitalis, f.337) » ». Ce pénible sentier serpentait et entaillait de hautes falaises qui sont comme les gigantesques remparts de la forteresse du Causse du Larzac.

Au sommet de la côte en venant du Pont, là ou bêtes et gens arrivaient assoiffées, une grande citerne était placée sur le parcours de la draille, d’une aire au sol de 57,75 m2, et d’une contenance de 147m3 (Henri Nogaret, la Salvage, des Gallo-Romains à nos jours, mars 2003), celle-ci donna son nom à l’église primitive de la Salvage, puisque mentionnée à de nombreuses reprises dans les actes : on l’appellera Sainte-Marie de la Cisterne, Notre-Dame de la Citerne et quelquefois tout simplement l’église de la Cisterne ou tout court « Cisterna ».

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Carte réalisée à partir du Pouillé du XIVe siècle (Archives municipales de Millau)

Tentant d’expliquer le nom actuel de la Salvage, les étymologistes avancent des origines différentes : pour les uns, il viendrait du bas latin « salvatgium » ou « silvatgium » qui aurait donné salvage puis sauvage en Français ; pour les autres, il viendrait du bas latin « salvare », sauver. (Messager de Millau, 9 juillet 1881). D’autres y voient une référence aux terres sauvegardées au profit des ayants droit qui auraient été appelées « salvatga » au Moyen Age.

Mais n’oublions pas le mot « silvatica » signifiant étendue boisée. Du latin silvatica > occ.salvaja : des bois, zone boisée (haute futaie, sapins, chênes, hêtres) au voisinage d’une chapelle ou d’un château. C’est de mon point de vue, la définition la plus exacte car en terme de bois, la Salvage était riche. D’ailleurs ne parlait-on pas, et les archives le mentionnent à de nombreuses reprises sous le terme de territoire de Salvatga, la vaste forêt de la Salvage qui donnera plus tard son nom à la chapelle de Notre Dame.

Cette forêt comptait de nombreux chênes blancs, des pins sylvestres et des ormes. En 1201, la forêt fut partagée entre le commandeur du Temple de Sainte Eulalie et noble Aldebert Senhoret. Avant la Révolution, sa contenance était de 1685 arpents, soit 956 hectares et 90 ares (J. Artières, Millau à travers les Siècles, p.479). Perdue dans cette vaste forêt, la chapelle dédiée à Notre Dame, se trouve vers la lisière Nord. Elle relevait de la métairie de Lamayou « La Maison » située à environ un kilomètre au sud de celle-ci, qui longtemps appartint à l’ordre de Malte. Le cadastre mentionne  dans sa section L : Lamayou. Domaines : Lamayou et Mauriac ; Chapelle Notre Dame (Salvage)… (1910).

En 1492, lorsque les consuls de Millau voulurent faire rebâtir le toit de leur maison commune, ils demandèrent des poutres au commandeur de Sainte-Eulalie qui leur accorda la permission de prendre le bois nécessaire dans sa forêt de la Salvage. Les troncs d’arbres et autres bois de charpente furent récupérés par des bûcherons et des laboureurs qui les traînèrent avec leurs bœufs jusqu’au sommet de la draille.

Là on les fit glisser la pointe en avant jusqu’à la Dourbie qui les charria jusqu’à la Grave de Millau (d’après A.Carrière, Par monts et par vaux, Midi Libre, 7 juin 1953). Le château de Sainte-Eulalie, par terre en 1564, sera restauré avec du bois de charpente provenant de la Salvage. La forêt de la Salvage a brûlé dans les années 1580, elle était gardée alors par un garde-bois payé par le commandeur de l’Ordre de Malte (Archives départementales des bouches du Rhône).

En 1668, H. de Bonald, juge de Millau et seigneur du Monna, devait utiliser la draille pour faire transporter les lauses extraites à la Blaquière en vue de recouvrir le toit du château du Monna, qu’il venait d’acquérir et faisait restaurer (Archives départementales de l’Aveyron, Notes sur la reconstruction du château du Monna). Au XIXe siècle, encore on venait couper du bois dans la forêt de la Salvage : « Le 18 (janvier 1859), la nommée Rose Agussol, âgée de 45 ans, journalière à la Cavalerie, a été victime d’un bien triste accident. Elle se trouvait dans la forêt de la Salvage, où elle aidait un individu à charger du bois sur une charrette, lorsque, les deux mulets qui y étaient attelés venant tout à coup de reculer, cette malheureuse femme a été poussée contre un arbre et écrasée par le talon de la voiture. La mort a été instantanée. » (Echo de la Dourbie, 22 janvier 1859).

Remontons désormais aux origines. Au-delà de la draille dont nous avons parlé et qui remonte à des temps fort reculés, et de la grande citerne gallo-romaine existe un tumulus appelé aussi motte féodale, situé à cinquante pas environ au nord de la chapelle. En 1934, les recherches archéologiques n’apportèrent rien de concret et Balsan qui avait commencé une tranchée dans ce grand tumulus ne put finir son travail en raison des nombreux arbres à détruire… En fait de tumulus, il s’agirait plutôt selon H. Nogaret, de déblais de la grande citerne gallo-romaine.

Les Gallo-Romains ne pouvaient pas ignorer ce lieu qui relevait alors de la très importante « Villa Solatico » (ancien nom de la Blaquière, d’après A. Soutou) dont le nom restera jusqu’au haut Moyen-âge. Mais seul le nom resta car, en 471, Euric, roi des Wisigoths s’emparant du Rouergue, ses hommes accumulèrent sur notre pays d’incroyables ruines. Les invasions barbares déferlant sur le plateau du Larzac devaient détruire la Villa Solatico. Le mas Cassanac (situé à l’endroit actuel de la Salvage) fut rasé, les troupeaux décimés, les habitants tués ou dispersés. De toutes les constructions édifiées dans cette clairière, il ne resta plus que des ruines et la citerne souterraine (P.E.Vivier).

En 1837, lors d’un agrandissement de la chapelle actuelle de la Salvage, on découvrit des fondations indiquant qu’il y avait eu à la Salvage, une antique construction… Les objets trouvés (clés, briques, poteries sigillées, pièces romaines et de Nîmes, attestaient d’une habitation du temps de Cassanac (domaine ayant appartenu à Cassanus) et dont le nom était resté intact encore jusqu’au XIVe siècle.

Faut-il dater aux temps gallo-romains, l’évangélisation des lieux ? Une statuette de 93 mm en bronze représentant Isis allaitant Horus fut découverte en 1893, par Arjelies, berger à Lamayou chargé de nettoyer un creux de rocher situé sur le flanc de la montagne de la Blaque proche de la lavogne de Revel, ce qui a fait écrire à Louis Balsan que « Le culte d’Isis est bien connu en Gaule. Notre Dame de la citerne à été la christianisation du culte que les Romains rendaient à ce point d’eau où gisait la statuette… Cela ne nous dit pas pourquoi les Romains vinrent s’établir en ces lieux si peu propices à la culture comme à l’habitat » (Revue d’Etudes Millavoises, n°5, 1963) A la religion naturiste primitive (culte des pierres–menhirs, des arbres, des rochers, des sources, des cours d’eau, etc.) s’est superposée la construction des premières églises.

Sainte Marie de la Citerne

L’oratoire de la Citerne qui précéda la chapelle actuelle de la Salvage fut construit au Xe siècle (d’après A. Debat) avec des matériaux issus des ruines du mas de Cassanac. Vraisemblablement, il s’agissait d’une construction fort modeste. Les fouilles entreprises en 1976 par le père Bourrel le confirment, il faut voir dans la petite sacristie, qui se trouve derrière le chœur de l’église actuelle, l’antique sanctuaire du Xe siècle (Rencontre et Paix, Notre Dame de la Salvage, 1983).

En 1856, l’abbé Trémolet, témoin de la reconstruction de la chapelle de la Salvage nous a laissé une image assez précise de ce qu’était le premier oratoire, parlant de l’ensemble des bâtiments, il écrit : « Jadis, c’était un vaste enclos dont on voit encore les vestiges, ayant au milieu un petit oratoire carré avec une voûte en plein cintre et décoré de peintures assez vives dont on voit encore quelques fragments. On y voit encore une fenêtre très étroite, un siège en pierre pratiqué dans l’épaisseur de la muraille et un arceau très épais qui relie cette ancienne construction avec la nouvelle chapelle par son chevet » (Archives diocésaines de Rodez, Histoire du culte de la Sainte-Vierge en France, 1856).

Notre Dame de la Citerne qui relevait du prieuré de Saint Martin de Mauriac apparaît à de nombreuses reprises dans les documents comme nous l’avons déjà écrit : on trouve les premiers documents sous le vocable de Sainte Marie de la Citerne en 1102 ; une bulle du pape Alexandre III datée du 25 octobre 1162 figurant dans le cartulaire de Gellone accordait la dîme à ce monastère.

L’ouvrage de Clovis Brunel apporte d’autres dates : « En 1183, le mas de Forcade relevait de l’église de la Citerne…en 1198, Guillaume Arnal du Monna donnait au temple une ferme qu’il possédait près de la Citerne ». En 1251, on trouve encore une transaction entre le commandeur de Sainte-Eulalie et Arnaud de Mornac, au sujet de certaines terres dans « la paroisse de la Cisterne », tènement de la Salvage, dans le taillable de Millau, diocèse de Rodez. Les actes les plus anciens mentionnent souvent l’église sous le simple nom de la Citerne.

A suivre…

Marc Parguel

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