Azinières, jadis Inières (de Azeneriis, visites pastorales 1419) est situé sur le Causse Rouge. D’après la description des sols (1780), Richeprey appelle Causse Rouge des terres de grès rouge mêlées de parties calcaires.
A la plupart des endroits, les roches sont à l’état de dolomies à patine brun foncé, dont l’altération donne des sols rougeâtres. Sur ce sol, on cultivait autrefois, une année du seigle, la 2e du froment, la 3e de l’avoine, puis ces terres reposaient 6 ou 7 ans.
Le Causse Rouge est un des plus mal connus de notre région des grands Causses ; ce qui ne change rien à son charme et à sa particularité. Il n’est pas ceinturé de falaises majestueuses, mais s’incline en pentes douces vers les vallées qui le cernent. Il oscille entre 600 et 800 mètres d’altitude.
Au nord, il se perd dans le Causse de Sévérac; à l’est il est séparé du Causse de Sauveterre par le ruisseau de la Lumansonesque ; au sud-est et sud le Tarn, à l’ouest la vallée de la Muse le délimite. Plus que tous les autres Causses il est entaillé de nombreux ravins.
Le Causse Rouge, et plus particulièrement le secteur d’Azinières est connu pour être riche en cazelles. Cazelle (en latin cazella : cabane, hutte) est une cabane parfois circulaire, mais elle peut être aussi carrée ou rectangulaire, elle se caractérise par un petit dôme qui la coiffe. Les murs en sont épais pour supporter cette voûte en encorbellement. Voûte bâtie de manière à laisser glisser la pluie vers l’extérieur. La dernière pierre, celle qui termine l’assemblage en clé de voûte peut se déplacer pour livrer passage à la fumée.
Elles ont été construites par des paysans locaux cultivant la terre, pour servir d’abri temporaire. Les bergers s’y réfugiaient lors d’intempéries, mais malgré leurs dimensions, elles ne servirent jamais de lieu d’habitation.
Longtemps, on a pensé que ces petites constructions de pierres sèches le long des chemins ou en bordure de champ remontaient à un temps très ancien. Ces abris n’ont en fait pas plus de deux siècles et les moellons constitués de calcaire friable et sensibles au gel ne supportent pas l’usure du temps. L’essor démographique du XIXe siècle sur nos diverses communes a conduit les hommes à défricher de nouvelles terres sur les coteaux pierreux et à reconquérir des espaces abandonnés pour leur difficulté d’exploitation ou leur faible rendement.
L’usage nouveau des charrues à soc et versoir allant plus profond détachent les couches superficielles de calcaire altéré et en ramènent les blocs à la surface. Ces nouveaux espaces où la caillasse affleure le sol, bien souvent éloignés du village, ont du être épierrés. Le déblai est abondant et lourd et il est exclu de le transporter au loin, il constitue de petites montagnes de pierre dans un coin du champ.
Ces zones de cultures par l’épierrage vont fournir une trame essentielle du paysage caussenard : « les clapàs » qui sont des tas de cailloux plus ou moins appareillés. Le plus souvent les « clapàs » constituent les limites de parcelle cultivée ou se superposent à des affleurements rocheux inclus dans celle-ci. L’épierrement va s’étendre même aux zones de pâturage (parcours) aux périodes de fortes pressions démographiques (XIXe siècle surtout) là, ils se sont plutôt répartis en tas isolés plus ou moins épars.
Le pastoralisme extensif qui fut dominant sur le Larzac n’a pas permis de développer remarquablement, comme sur les avants Causses, la construction d’un grand nombre de « cazelles » de pierres sèches et voûte en encorbellement. Elles sont sur le plateau d’ailleurs plus l’œuvre de charbonniers (charbon de bois), de carriers ou de cantonniers que de bergers. Leur nombre et leur situation sont plus liés aux cultures et à l’épierrage qu’elles imposent, qu’à un pastoralisme extensif et déambulatoire.
La cazelle qui se trouve actuellement au parc de la Victoire de Millau, dans le jardin botanique a été calquée sur le modèle de celles qui nous intéressent aujourd’hui, c’est-à-dire celles d’Azinères.
Au milieu du XIXe siècle, les cazelles étaient nombreuses dans la banlieue millavoise. Chaque vigne avait la sienne. Un extrait de presse que j’ai pu relever nous indique leur présence : « Annonces judiciaires Etudes de M.Antoine Vezinhet. Le 24 décembre 1846… A la saisie d’une pièce en face de vignes et pâture dite à Tenens, tenant d’un côté à vigne de Pierre Raynal, instituteur, chemin de service entre deux ; d’autre côté aux héritiers du nommé Severac ; et d’autre côté à ravin fournissant chemin public dit des Olmières ou ravin de Crève Cheval ; contenant la vigne environ trente six ares…Dans cette propriété on remarque deux vieilles casatures dites cazelles, construites à pierre sèche et couvertes de même, chacune avec une ouverture sans fermeture donnant à l’aspect du levant. » (Echo de la Dourbie, 13 février 1847).
Trouvées trop modestes, les cazelles furent au cours du XXe siècle converties en « blancs oustalous ». Si quelques-unes s’inclinent lentement vers le « clapàs » dont elles sont issues, d’autres ont subi sans dommage l’épreuve du temps. Ainsi, en est-il de cinq d’entre elles en bon état sur un kilomètre, non loin de la bordure de la route, proche d’Azinières. L’une d’elle est visible de la route, c’est la cazelle des cantonniers, dite « cabane des cantonniers » dont le petit dôme émerge à proximité de la D.911 avec son mur de soutènement à collerette.
Comme l’indique André Fages : « Elle peut dater de la réalisation de la route D.911, due à Ch.Lescalopier intendant, de Montauban, commencée en 1746, elle ne fut terminée que sous l’Empire, 1804-1814, elle possède une cheminée, ce qui laisse supposer un habitat pour les ouvriers qui passaient leurs jours à casser les cailloux à la masse » (A. Fages, Cazelles et Pierres sèches, 2000). Photographiée maintes fois par les chasseurs d’images, elle a figuré en bonne place, et toute étonnée d’une telle promotion, dans la revue « Connaissance du Pays d’Oc » de janvier 1975.
Nous pouvons pour terminer, citer ce petit passage datant de 1935 et écrit par Edouard Mouly dit « Mylou du Pays Maigre », concernant une cazelle : « Et voilà que par le “retentissement” de cette chronique, tu vas entrer dans l’histoire. Nul doute qu’un groupe d’archéologues alertés ne viennent t’examiner et, après de doctes palabres, assurer que tu remontes aux Croisades. De là à apposer une plaque sur tes vieilles pierres et faire de toi un monument historique, il n’y a qu’un pas. Après des siècles d’humilité, tu connaîtras la gloire ». Le temps donnera raison aux cazelles, elles demeureront immortelles.
Marc Parguel